L’Affaire Hoskins : la justice américaine fixe des limites aux poursuites extraterritoriales du DoJ pour corruption

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Manon Krouti, avocate chez August Debouzy, et Pauline Dufourq, avocate au sein du cabinet Soulez Larivière et Associés, analysent la décision United States of America vs. Lawrence Hoskins de la United States District Court (District of Connecticut), rendue le 26 février 2020.

Le 26 février 2020, le ressortissant britannique, Lawrence Hoskins, condamné par un jury le 8 novembre 2019 pour des faits de corruption d’agent public étranger en lien avec sa participation au schéma corruptif initié par Alstom en Indonésie, a finalement été relaxé par un tribunal fédéral américain (United States District Court District of Connecticut). Retour sur une épopée judiciaire riche en enseignements tant la compétence extraterritoriale du procureur américain dans le cadre des poursuites exercées sur le fondement du Foreign Corrupt Practices Act (« FCPA ») suscite un vif débat.

Et pour cause, la norme édictée par le législateur américain réprime la corruption d’agent public étranger, infraction largement réprimée dont le caractère transnational conduit souvent à interroger la légitimité des autorités d’un État à poursuivre des faits qui peuvent avoir été commis par une personne étrangère hors de son territoire. Et l’on sait que le débat peut être particulièrement vif lorsque les poursuites américaines pour violation du FCPA concernent des entreprises françaises ou européennes, à l’instar de la houleuse affaire Alstom.

L’affaire Hoskins est justement un énième épisode de cette saga au cours de laquelle l’entreprise française, avait accepté en 2014 de payer une amende de 772 millions de dollars en contrepartie de la suspension des poursuites initiées par le Département de la justice américain (« Department of Justice » ou « DoJ ») pour des faits de corruption d’agents publics en Arabie Saoudite, en Indonésie, en Égypte, aux Bahamas et à Taiwan. Plus récemment, c’est la découverte du traitement judiciaire subi par le français Frédéric Pierucci, ancien vice-président du groupe pour la région Asie, qui a suscité une vive émotion en France.

Quant à Lawrence Hoskins, il était, au moment des faits qui lui étaient reprochés, salarié de la filiale Alstom U.K détaché à Paris auprès de la filiale française de la société, Alstom Resource Management S.A. et vice-président du groupe français pour les régions Europe et Asie-Pacifique. Les accusations à son encontre sont en lien avec l’obtention du contrat relatif au projet Tarahan concernant la construction d’une centrale électrique en Indonésie. Il était reproché à Alstom et à certains cadres dirigeants d’avoir eu recours à des consultants locaux qui auraient rétrocédé une partie de leur rémunération à des fonctionnaires indonésiens afin de sécuriser l’obtention du projet Tarahan, d’une valeur de 118 millions de dollars. 

Le 30 juillet 2013, Lawrence Hoskins était mis en examen en tant qu’auteur et co-conspirateur des chefs de six infractions à la législation FCPA, ainsi que pour des faits de blanchiment. D’emblée une défense sur le fond s’avérait difficile dans la mesure où les faits liés à l’obtention frauduleuse de ce contrat avaient successivement été reconnus par le groupe Alstom dans ses différents accords signés avec le DoJ, et par des cadres dirigeants dans leurs accords de plaider-coupable. Lawrence Hoskins a alors entrepris de contester la compétence du procureur américain considérant que les liens qui le rattachaient aux États-Unis étaient particulièrement ténus.

Et pour cause, le FCPA permet aux États-Unis de poursuivre toute personne physique ou morale ayant pris part à des faits de corruption, s’il existe un lien de rattachement entre l’infraction ou son auteur et le territoire américain ; les critères de compétence du procureur américain y sont donc strictement définis. Si aucun fait en lien avec le schéma corruptif n’a été commis sur le territoire américain (cf. 15. U.S.C §78 dd-3), la poursuite de personnes physiques non-américaines doit être limitée aux catégories suivantes :

  • Les salariés, dirigeants, administrateurs, actionnaires ou toute autre personne (« agent ») agissant au nom et/ou pour le compte de sociétés émettrices de valeurs mobilières sur un marché américain (marché boursier, marché de gré à gré ou par le biais d’American Depository Receipts), si un acte constitutif de l’infraction de corruption a été commis sur le territoire américain ou en utilisant les services postaux américains ou tout autre moyen ou instrument de commerce interétatique (cf. 15 U.S.C.§78dd-1 : “issuer”) 
  • Les salariés, dirigeants, administrateurs, actionnaires ou toute autre personne (« agent ») agissant au nom et/ou pour le compte de sociétés de droit américain ou de sociétés possédant leur établissement principal sur le territoire des États-Unis, leurs (cf. 15 U.S.C. §78dd-2 : “domestic concern”).

Or Lawrence Hoskins n’était pas employé par une société américaine et, surtout, il ne s’était pas rendu sur le territoire américain pendant la période de prévention. Si bien que le procureur américain avait dû user, pour fonder ses poursuites, d’une interprétation extensive des principes de droit fédéral américain de « complicité » et de conspiracy. Au terme de plusieurs incidents de procédure (motions) déposés par le britannique, la Cour d’appel fédérale pour le Deuxième Circuit (United States Court of Appeals for the Second Cicruit) avait finalement jugé, le 24 août 2018, que cette compétence « par capillarité » était dépourvue de base légale.

La Cour a renvoyé l’affaire devant le tribunal fédéral du Connecticut pour un examen sur le fond, à charge pour le procureur de démontrer que Lawrence Hoskins appartenait à l’une des catégories listées par le FCPA pour pouvoir lui reprocher une infraction. Face à l’impossibilité d’établir sa compétence territoriale, le procureur n’avait d’autres choix que de prouver qu’Hoskins agissait comme « agent » au nom et/ou pour le compte d’une société américaine (domestic concern).

En l’espèce, le procureur américain s’est donc attaché à démontrer que Lawrence Hoskins agissait en qualité d’agent de la filiale américaine Alstom Power Inc. (« API ») en charge de la procédure de passation des marchés publics du groupe et ayant pris part à l’obtention frauduleuse du contrat lié au projet Tarahan. Ce qu’il a vraisemblablement réussi puisqu’à l’issue du procès devant le tribunal fédéral du Connecticut, un jury a considéré qu’Hoskins avait bel et bien agi en qualité d’agent d’API et l’a déclaré coupable de violations du FCPA, le 8 novembre 2019.

C’est dans ce contexte que Lawrence Hoskins, usant de sa dernière carte procédurale, a déposé auprès de ce même tribunal fédéral une post-trial motion for acquittal. Dans la procédure pénale américaine, cette requête tend à faire constater que les preuves présentées par le ministère public lors du procès étaient insuffisantes pour établir une décision de condamnation. En d’autres termes, le britannique a fait valoir au tribunal fédéral que, sur la base des éléments de preuve apportés par le procureur, le jury ne pouvait déterminer au-delà de tout doute raisonnable (beyond a reasonable doubt) qu’il avait agi en qualité d’agent d’une société américaine.

L’analyse du tribunal a le mérite de nous donner une définition de cette notion d’« agent » qui n’est définie nulle part dans le FCPA. Doit donc être considérée comme un agent toute personne qui accepte d’accomplir des actes ou de fournir des services pour le compte d’une autre personne ou société et sous le contrôle de cette dernière. La juridiction fédérale précise à cet égard que la caractérisation d’une relation d’agent est très factuelle mais repose néanmoins sur un élément essentiel qui est le droit du mandant à contrôler les actions de l’agent par exemple « en prescrivant ce que l’agent doit ou ne doit pas faire avant que l’agent n’agisse, ou au moment où il agit, ou aux deux moments ».

En d’autres termes, il ne saurait y avoir de relation d’agent entre une personne physique et une société si cette dernière n’exerce pas de contrôle sur la première. C’est précisément ce que soutenait la défense d’Hoskins en affirmant qu’aucun des éléments présentés lors du procès ne démontrait qu’il avait accepté d’agir sous le contrôle d’API et, plus encore, que ces éléments prouvaient au contraire que la filiale américaine n’avait pas de pouvoir de contrôle sur ses actions y compris sur celles entreprises dans le cadre de l’appel d’offres lié au projet Tarahan. 

Et le tribunal saisi de cette affaire lui a donné raison. Faute pour le procureur d’avoir fourni des « preuves convaincantes » en ce sens, la requête d’Hoskins a été accueillie pour tous les chefs d’accusation du FCPA, mais a été rejetée pour ceux concernant le blanchiment d’argent. 

Une telle solution bien que salutaire amène plusieurs observations. 

En donnant raison à Lawrence Hoskins le tribunal fédéral vient préciser les contours jurisprudentiels trop rares des limites aux poursuites extraterritoriales du procureur sur le fondement de la lutte contre la corruption. Pour autant une telle saga jurisprudentielle ne semble d’abord pas terminée, de nombreux commentateurs Outre-Atlantique indiquent en effet que le DoJ risque d’interjeter un appel. Ensuite, la condamnation pour blanchiment de Monsieur Lawrence Hoskins à quinze mois d’emprisonnement vient conforter le caractère particulièrement extensif de l’arsenal législatif dont dispose le gouvernement américain pour lutter contre la corruption internationale en réprimant les infractions de conséquence.

Au-delà, cette affaire souligne un peu plus les discordances d’interprétation des critères de compétence du procureur américain en application du FCPA lorsqu’elle est analysée à la lumière de l’arrêt du 21 juin 2019, United States v. Firtash and Knopp, lequel complète l’approche casuistique opérée par les juridictions. Dans cette affaire concernant deux européens accusés d’avoir corrompu des agents publics indiens en vue d’obtenir une licence d’exploitation d’une mine, le tribunal fédéral de l’Illinois avait admis que les poursuites pour violation du FCPA soient fondées uniquement sur le principe fédéral de la complicité et de conspiracy en dehors de toute compétence personnelle ou territoriale directe, refusant par la même de faire application de la « jurisprudence Hoskins » de 2018. Si elle était confirmée en appel, une telle décision viendrait, dangereusement, asseoir une application extensive de la compétence du procureur américain à exercer des poursuites à l’égard de non-américains.

Une telle solution pose enfin une difficulté en terme de sécurité juridique des personnes physiques compte tenu d’une part de l’hétérogénéité des solutions jurisprudentielles susceptibles d’être retenues. Surtout, les ressortissants européens pourraient être exposés à un risque de doubles poursuites. Dans la mesure où l’infraction de corruption d’agent public étranger est unanimement réprimée au sein de l’Union européenne, rien n’empêcherait, en théorie, les autorités de leur État d’origine d’user de leur compétence personnelle pour exercer des poursuites à leur encontre. Si la coordination entre les différentes autorités de poursuite ne cesse de s’améliorer s’agissant des entreprises mises en cause pour des faits de corruption, il est à espérer que les personnes physiques ne soient pas laissées sur la touche.

Manon Krouti, avocate chez August Debouzy, et Pauline Dufourq, avocate au sein du cabinet Soulez Larivière et Associés


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