Retour sur la réforme perfectible des pratiques restrictives

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Antoine BRACI, Avocat au barreau de Paris, Docteur en droit de Paris-Dauphine (PSL) commente l'ordonnance de réforme des pratiques restrictives.

Le droit des pratiques restrictives a récemment fait l’objet d’une réforme, en vue de le rendre plus lisible, par un recentrage sur les notions les plus générales. C’est le sens du Rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du code de commerce relatif à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et aux autres pratiques prohibées. Cette ordonnance fait application de la loi n° 2018-938, dite « Egalym », promulguée le 30 octobre 2018. Lors du conseil des ministre du 10 juillet 2019, le ministre de l’économie Bruno LEMAIRE, a présenté un projet de loi de ratification de ladite ordonnance. 

Malgré cet effort de simplification et de lisibilité, le droit nouveau est porteur d’incertitudes, en particulier en ce qui concerne la rupture brutale de la relation commerciale établie.

Un recentrage autour de trois pratiques prohibées au lieu de treize

Les treize pratiques prohibées qui figuraient à l’article L 442-6 du code de commerce, sont effet clarifiées et codifiées aux article L442-1 à 4 – par changement de numérotation. Elles sont ramenées au nombre de trois et leur champ d’application est globalement élargi, étant donné qu’elles peuvent être sanctionnées aux stades de « la négociation commerciale, de la conclusion et de l’exécution d’un contrat » ; les modalités modifiées. Selon le rapport, celles qui sont supprimées étaient très peu utilisées. Cependant, l’on peut se poser la question de savoir si ces pratiques, qui ne sont plus expressément visées par le code, pourront être sanctionnées sur le fondement des dispositions générales maintenues.

Les trois pratiques générales qui sont conservées sont les suivantes : l’obtention ou la tentative d’obtention d’« un avantage ne correspondant à aucune contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie » (1°), la soumission ou la tentative de soumission « à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » (2°) ; la rupture brutale de la relation commerciale établie (C. com., art. L. 442-1, II). Une pratique additionnelle spécifique prohibée maintenue, est celle de la revente hors réseau.

L’extension du champ d’application du texte relatif à l’obtention ou la tentative d’un avantage disproportionné ou sans contrepartie

La réforme étend donc le champ d’application du texte, lequel s’applique à des situations qui échappaient à l’ancien article L 442-6, I-1°. En effet, quant à l’auteur de la pratique, il suffit désormais qu’il s’agisse de « toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services » ; est donc supprimée la référence au « producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers », dans la désignation de l’auteur. Naturellement, la pratique doit avoir été réalisée « dans le cadre de la négociation commerciale ».
De même, en ce qui concerne la victime, elle n’est plus désignée comme le « partenaire commercial », laquelle notion était interprétée restrictivement par les juridictions, mais comme « l’autre partie ». Dès lors, les articles L. 442-1, I, 1° et 2° sont applicables aux relations entre un professionnel et son contractant. Cette formulation est plus adéquate car elle permet d'inclure toutes les situations où la pratique illicite est imposée à un cocontractant pour ce qui est de son activité de distribution, de production ou de services.
Pour ce qui est de la pratique prohibée, l’expression « service commercial effectivement rendu » est remplacée par « contrepartie ». Comme le précise le rapport remis au Président de la République, l’ancienne rédaction était susceptible d’« être interprétée comme limitant le champ d’application de cette pratique aux accords de coopération commerciale du fait de la référence au ‘service commercial’ ».

L’élargissement du champ d’application du texte relatif au obligations créant un déséquilibre significatif

La nouvelle désignation de l’auteur de la pratique étend le champ d’application du texte à « toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services ».
L’on rappelle que le Conseil constitutionnel avait récemment déclaré conforme à la Constitution, l’ancien article L. 442-6, I, 2° du code de commerce en ce qu’il autorisait le juge judiciaire à contrôler l’adéquation entre le prix initialement fixé et celui finalement supporté par le distributeur et l’habilitait à sanctionner ce dernier en cas d’inadéquation caractérisant un déséquilibre significatif au détriment du fournisseur (Cons. const. 30 nov. 2018, n° 2018-749 QPC). Au regard de la volonté d’extension du champ d’application du texte relatif, par les rédacteurs de l’ordonnance, le même raisonnement devrait valoir pour le nouvel article L. 442-I, 2° du code de commerce.
Cette position, qui pourrait sembler contestable du point de vue de la liberté d’entreprendre et de la liberté contractuelle, peut paraître justifiée, en cas d’abus caractérisé d’un opérateur qui exploiterait sa position économique afin d’imposer un prix sans négociation ou contrepartie effective.

La réduction du préavis en cas de rupture brutale des relations commerciales établies
En matière de ruptures brutales, comme l’indique le rapport remis au Président de la République, l’objectif de la réforme a été de lutter contre les dérives de dispositions initialement prévues pour protéger les fournisseurs des déréférencements abusifs des distributeurs de la grande distribution.
Ces dispositions ne protégeaient plus les fournisseurs, en raison de la précarisation de leurs relations avec les distributeurs, par de multiples appels d’offres. Mais, d’autres opérateurs, qui n’avaient pas besoin de cette protection, demandaient à en bénéficier. Or, ils imposaient à leurs partenaires de rester en relation pendant de longs préavis, alors que leurs offres commerciales ne correspondent plus à l’état du marché

Le texte issu de la réforme prévoit un plafond qui semble pouvoir être contourné. Il dispose qu’« en cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l’auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d’une durée insuffisante dès lors qu’il a respecté un préavis de dix-huit mois ». A première vue, cela pourrait sembler constituer une réduction de la durée du préavis exigé. Pour rappel, jusqu’à présent, la jurisprudence condamne souvent à plus de 24 mois de préavis, pour la rupture brutale des relations commerciales établies les plus longues, par exemple de 20 ans. En réalité, au regard de cette formulation, la victime qui aurait obtenu un préavis inférieur à dix-huit mois, pourrait engager une action afin d’en obtenir un supérieur à cette durée.

En outre, les distributeurs commercialisant des produits sous marque de distributeur, n’ont pas à respecter un délai de préavis doublé.

La réduction des causes de nullité

Seules deux causes de nullité sont maintenues :
- bénéficier rétroactivement de remises, de ristournes ou d'accords de coopération commerciale ;
- bénéficier automatiquement des conditions plus favorables consenties aux entreprises concurrentes par le cocontractant.

L’extension des titulaires de la demande en cessation des pratiques restrictives et en réparation des préjudices subis

Désormais, aux termes de l’article L.442-4 du code de commerce, toute personne qui justifie d’un intérêt, peut demander au juge la cessation des pratiques restrictives de concurrence et leur réparation. Avant la réforme, seul le ministre chargé de l’économie et le ministère public le pouvaient. En revanche, seuls la partie victime, le ministère de l’économie et le ministère public, peuvent faire constater la nullité des clauses ou contrats illicites et demander la restitution des avantages indus.

En continuité avec l’ancien article L442-6 du code de commerce, les personnes qui peuvent introduire une action en responsabilité pour pratiques restrictives, devant les juridictions civiles, commerciales ou pénales, sont les suivantes : toute personne justifiant d'un intérêt, par le ministère public, par le ministre chargé de l'économie ou par le président de l'Autorité de la concurrence (pour ce dernier à l'occasion des affaires qui relèvent de sa compétence seulement).

La modification du plafond de la sanction

La réforme fixe comme plafond de sanction à l’amende civile qui peut être demandée par le ministre chargé de l’économie ou le ministère public, le plus élevé des trois montants :
- cinq millions d’euros,
- le triple du montant des avantages indument perçus ou obtenus,
- 5 % du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par l'auteur des pratiques lors du dernier exercice clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre.

Ces plafonds restent théoriques ; il est peu probable qu’en pratique, les juges en exploitent toutes les potentialités. Dans une décision du 2 septembre 2019, le tribunal de commerce de Paris a condamné Amazon (5 milliards d’euros de chiffre d’affaires dans le monde) pour déséquilibre significatif de clauses contractuelles, sur le fondement de l’ancien article L442-6 du code de commerce, à une amende de 4 millions d’euros. Le ministère de l’économie requérait 9,5 millions. Le tribunal dit avoir pris en compte la bonne foi d’Amazon à modifier rapidement les clauses dénoncées par la DGCCRF.

A propos, aux Etats-Unis, les économistes du droit, ont alerté sur l’utilisation stratégique du droit : des entreprises économiquement très puissantes enfreindraient délibérément le droit, après une évaluation coût / avantage favorable.

Toutefois, l’évaluation du montant des amendes et des préjudices, demeure une sciences assez inexacte. Il serait dangereux qu’un juge fonctionnant, comme dirait l’expression populaire, « au pifomètre », ne fixe des montants excessifs.

Globalement, la réforme des pratiques restrictives modifie à la marge ce domaine du droit. L’objectif affiché de simplification n’a été que partiellement atteint, notamment en ce qu’il crée de nouvelles incertitudes. Cependant, l’on note une avancée en matière de cessation des pratiques restrictives et de réparation du préjudice subi. Mais l’effectivité des amendes civiles, dans leur caractère dissuasif, demeure discuté ; leur montant théorique semble, néanmoins, être suffisamment significatif.

Antoine BRACI, Avocat au barreau de Paris, Docteur en droit de Paris-Dauphine (PSL) et enseignant en droit privé (Université de Paris II – Panthéon-Assas)


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