Projet de loi climat et dialogue social

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Avec l’entrée obligatoire de la transition écologique parmi les sujets devant être abordés dans le cadre du dialogue social au sein de l’entreprise, le risque est grand que ces discussions ressemblent à celles du café du commerce plutôt qu’à un débat éclairé et constructif.

Transposant une partie de la proposition dite « PT4.1 : accompagner les salariés et les entreprises dans la transition » de la convention citoyenne pour le climat1 , l’article 16 du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et le renforcement de la résilience face à ses effets, qui sera débattu au parlement dans les prochains mois, aura pour effet de faire entrer le débat sociétal sur l’environnement au sein du Comité Social et Economique.

Il est ainsi prévu que lorsque l’employeur consultera le CSE en application de l’article L.2312-8 sur les questions intéressant l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise, notamment à l’occasion de mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la modification de son organisation économique ou juridique, les conditions d'emploi, de travail, la durée du travail, et la formation professionnelle … L’information et la consultation sur ces mesures devront prendre en compte leurs conséquences environnementales.

De même, à l’occasion des consultations récurrentes du CSE sur (1) les orientations stratégiques de l'entreprise, (2) la situation économique et financière de l'entreprise, ou (3) la politique sociale de l'entreprise, les conditions de travail et l'emploi, il est prévu que ces consultations doivent également tenir compte des conséquences environnementales de l’activité de l’entreprise.

Que ce soit au niveau des branches ou des entreprises, les mesures prises lors des négociations obligatoires sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences devront là encore, si le texte est voté en l’état, répondre notamment aux enjeux de transition écologique.

L’évocation de l’écologie dans les discussions entre les partenaires sociaux sera donc omniprésente et obligatoire.

Si on ne peut à première vue que se réjouir du fait que les problématiques environnementales puissent davantage être prises en compte par les entreprises, il est cependant possible de s’interroger sur la réelle pertinence et efficacité de faire de ce sujet un passage obligé des relations sociales.

Nombre de sujets liés à l’environnement sont en effet aujourd’hui sources de vifs débats pour ne pas dire d’oppositions scientifiques et on peut s’interroger sur la pertinence des discussions qui se tiendront entre non spécialistes au sein d’une instance non préparée à appréhender des sujets pouvant être extrêmement techniques.

Au passage, on peut également s’interroger sur la conformité de la traduction dans le projet de loi de l’intention des membres de la convention citoyenne. D’une volonté affichée de doter les partenaires sociaux d’outils leur permettant de mieux anticiper les conséquences des évolutions nécessaires en termes de produits ou de modalités de productions sur les emplois et les métiers, le projet de texte prévoit aujourd’hui une consultation des effets de l’activité de l’entreprise et de ses évolutions sur l’environnement, ce qui n’est évidemment pas la même chose.

Dans la version résultant me semble-t-il des travaux de la convention citoyenne, les représentants du personnel devaient avoir vocation à participer à l’analyse prospective des incidences de la transition environnementale sur les métiers et les emplois et à l’anticipation de leurs effets.

Dans celle résultant du projet de loi, le rôle des représentants du personnel sera beaucoup moins prospectif et sera une fois de plus comparable à celui d’inspecteurs des travaux finis, devant donner leur avis sur des notions qu’ils ne maîtrisent pas.

S’il est vrai que les CSE pourront faire appel à des sachants pour les aider à se forger un avis sur les informations qui leur seront remises par les directions des entreprises via notamment la nomination d’experts libres qu’ils paieront alors sur leur budget de fonctionnement, il est à craindre que la pertinence des discussions au sein du CSE sur ces sujets ressemblent à celles entendues au café du commerce (bien que ces derniers soient fermés en l’état actuel des choses).

Une fois que chacun aura pris conscience que l’écologie est un sujet sérieux et très technique, il y a fort à parier que l’on verra apparaître des revendications sans doute légitimes en faveur de nouvelles formations spécialisées à destination des représentants du personnel et rémunérées naturellement par l’employeur. On peut redouter que ces demandes de formation soient suivies à moyen terme par l’apparition de nouveaux cas de recours de nominations d’expertises dont les honoraires seraient une fois de plus à la charge de l’entreprise.

Face à cette tendance continue d’accroître le champ d’intervention des membres des CSE au-delà de son périmètre d’intervention naturel à savoir les relations sociales internes, deux attitudes peuvent être envisagées : l’une consiste à tenter de s’y opposer tel Dom Quichotte se battant contre les moulins à vent ; l’autre suppose de tirer les conséquences de ces évolutions et de responsabiliser les représentants du personnel afin d’éviter ce que l’on connaît aujourd’hui en matière d’expertises dans les domaines de la sécurité et des conditions de travail.

Le meilleur moyen serait à mon sens de faire évoluer les textes encadrant le recours par les CSE aux expertises et aux formations qui continue de poser difficultés et suscite de nombreuses contestations judiciaires.

La création d’un budget unique financé par l’employeur dont le montant serait proportionnel aux effectifs et au CA de l’entreprise destiné au financement de l’ensemble des expertises et des formations auxquelles pourraient avoir recours les CSE, serait de nature à accroitre les moyens mis à disposition des élus tout en les responsabilisant, ces derniers devenant ainsi comptables de la bonne utilisation de leur budget.

Une telle évolution présenterait en outre l’intérêt de diminuer le contentieux en la matière.

Guillaume Brédon, Avocat Fondateur du cabinet Edgar avocats, Membre du conseil d’administration de l’Institut Sapiens

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1 « Proposition PT4.1
Par ailleurs, nous avons précisé les modalités suivantes à mettre en place pour accomplir les objectifs précités :
→Renforcer le rôle des CSE (Comités Sociaux et Économiques) dans la transition bas-carbone des produits et des processus des entreprises :

  • • Rendre obligatoire et annuelle la négociation de la GEPPMM (Gestion des Emplois et des

Parcours Professionnels et sur la Mixité des Métiers) ;

  • • Intégrer obligatoirement dans la procédure d’information et de consultation des orientations stratégiques et des politiques sociales de l’entreprise, l’évolution des emplois, des compétences et des formations appropriées liées à la transition bas carbone (ou réduisant les émissions de gaz à effet de serre) des produits et des processus.

→ Créer et généraliser le même type d’instance dans la fonction publique (territoriale, hospitalière et étatique). »


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