Matthieu Toret : « Reléguer la transition environnementale au second plan serait une grave erreur »

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Le Monde du Droit a interviewé Matthieu Toret, du cabinet Enerlex, avocat spécialisé dans les questions environnementales et plus particulièrement dans le domaine fiscal.

Les entreprises seront-elles en mesure de relancer leurs activités tout en participant à la transition écologique, souvent synonyme de contraintes supplémentaires ?

C’est une question cruciale dont la réponse n’est vraiment pas facile à donner. Tout dépendra de la volonté de la classe politique et du degré d’acceptabilité des entreprises.

En effet, la crise sanitaire devrait entrainer une crise économique que le Premier Ministre, a lui-même a qualifiée de « brutale », et qu’il sera très tentant pour son Gouvernement de reléguer au second plan la transition environnementale pour se consacrer uniquement à la reprise économique.

Même si cela est facile à dire, ce réflexe de facilité serait, à mon sens, une grave erreur.

Heureusement, des signaux positifs semblent indiquer le contraire. Par exemple, la Ministre de la Transition écologique, Élisabeth Borne a clairement indiqué que les aides envisagées en faveur de certains secteurs d’activités, ne le seront accordées par l’Etat qu’en contrepartie d'engagements en matière environnementale. Cette déclaration d’intention est une bonne nouvelle puisqu’elle permet d’espérer une politique de relance verte.

Dans le même sens, la Convention citoyenne pour le climat a récemment adressé au Gouvernement un plan de sortie de crise l’appelant à ne pas répéter les erreurs de la crise de 2008, dont la relance avait pour rappel donné lieu à des investissements dans les énergies fossiles.

L'effondrement du cours du pétrole lié à la crise du Covid-19 ne va-t-il pas, au contraire, ralentir la transition énergétique dans la mesure où les énergies fossiles vont devenir bon marché ?

Cela constitue indéniablement un élément défavorable, qui pourrait encourager les consommateurs à se détourner des énergies vertes au profit des énergies fossiles devenues meilleur marché.

Encore une fois, le rôle des décideurs politiques sera crucial.

Il leur appartient de préserver la compétitivité des énergies vertes via des outils qui pourront être fiscaux. Par exemple, la filière du méthane qui est un gaz d’origine renouvelable est en plein développement. Dans un souci de préserver son avantage compétitif, il serait, par exemple, judicieux de continuer à exonérer le biogaz de l’impôt qui frappe le gaz, soit la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques.

Est-ce le moment de relancer l’idée d’une taxation flottante des énergies ?

L’effondrement incroyable du cours du baril de pétrole auquel nous assistons rend tout à fait pertinente cette question.

Sur le papier, la taxation flottante des énergies ne présenterait que des avantages, dès lors qu’elle permettrait de générer rapidement des recettes fiscales supplémentaires dont l’Etat a réellement besoin en ce moment, et qu’elle permettrait de neutraliser ou d’amortir les hausses futures du prix du pétrole.

Sur un plan plus pratique, il y a 2 difficultés à lever :  déterminer le prix pivot du pétrole et rendre le mécanisme de flottabilité de la taxation tout aussi réactif que la volatilité des cours du baril.

La Commission européenne devra-t-elle accélérer son Green deal consistant notamment à repenser le régime de taxation des énergies en Europe et à instaurer une taxe carbone aux frontières ?

Accélérer le calendrier de mise en œuvre du Pacte vert européen me parait impossible.

L’objectif sera déjà de ne pas le ralentir. Car, sur ce sujet, la tentation sera également très grande de reporter ou au moins d’atténuer l’ambition du Green deal, qui est, rappelons-le, de parvenir à la neutralité climatique en 2050, avec un point d’étape en 2030.

La Pologne et la République Tchèque ont déjà demandé à la Commission européenne de freiner le calendrier du Green deal. Tel n’est pas le cas de la France ni de l’Allemagne pour le moment.

Les services d’Ursula von der Layen vont devoir faire face à des vents contraires terribles. Par exemple, le secteur aérien actuellement en grave difficulté est également l’un des plus polluants. Doit-on imposer des normes environnementales nouvelles à ce secteur au risque de ralentir son redémarrage économique ?

Une fois de plus, il faudra, bien évidemment, aider ce secteur dans un premier temps, mais également lui imposer, dans un second temps, un verdissement pour favoriser une relance verte efficace.

Propos recueillis par Raphaël Lichten


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