Faut-il avoir recours à l'arbitrage ?

Décryptages
Outils
TAILLE DU TEXTE

Efficace et discret pour les uns, long et coûteux pour d’autres, l’arbitrage a toujours fait débat. Est-ce que les spécialistes de l’arbitrage sont les seuls à avoir le réflexe arbitral ? Est-ce que le recours à l’arbitrage est plus souvent l’initiative du conseil ou de la partie concernée ? A quels types de litiges l’arbitrage est-il le plus adapté ? Arbitrage institutionnel ou arbitrage ad hoc ? Toutes ces questions se posent régulièrement à la fois pour les conseils et pour leurs clients.

Dans ce dossier spécial consacré à l’arbitrage, le Monde du Droit a interrogé des spécialistes d’horizons et de profils divers pour faire un état des lieux de l’arbitrage et pour analyser les avantages et les inconvénients de ce mode de règlement des conflits. Le Monde du Droit a aussi voulu aborder ces questions en se mettant dans la peau de celui ou celle qui doit décider pour son client du choix de l’arbitrage ou d’une procédure judiciaire.

France, terre d'arbitrage

La France aime l’arbitrage et l’arbitrage aime la France. Derrière cette amitié réciproque, il y a de nombreuses explications qui ont fait de la France un des hauts lieux de l’arbitrage international.

Paris est d’abord le siège de la Cour d’Arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale, une des institutions les plus respectées en matière d’arbitrage international. En 2007, elle a enregistré 599 nouveaux dossiers, en légère augmentation par rapport à l’année précédente. Ces nouvelles affaires concernent 1.611 parties de 126 nationalités. Les arbitres ou collèges d’arbitres désignés dans ces affaires siègeront dans 42 pays différents et ces arbitres sont de 66 nationalités. Toujours en 2007, dans le cadre des arbitrages CCI, 349 sentences ont été rendues. La Cour d’Arbitrage de la CCI existe depuis 1921 et a géré plus de 15.000 affaires depuis sa création. C’est aussi à Paris que naissent des initiatives comme l’International Arbitration Institute, un réseau de 539 membres de 53 nationalités, tous spécialistes de l’arbitrage aussi bien en qualité d’arbitres que de conseils des parties à un arbitrage.

Ce n’est hélas pas que dans le rayonnement juridique et économique de la France qu’il faut chercher les explications de ce rôle de place forte de l’arbitrage international. Jason Fry, le Secrétaire Général de la Cour d’Arbitrage de la CCI, attribue l’importance de Paris dans le domaine de l’arbitrage international à plusieurs facteurs : la bonne disposition des juridictions françaises vis-à-vis de l’arbitrage, la présence à Paris de nombreux spécialistes dans ce domaine et enfin une image de neutralité.

En effet, depuis fort longtemps, les juridictions françaises et particulièrement la Cour d’Appel de Paris soutiennent l’arbitrage international. Il en résulte que seul un petit nombre de sentences arbitrales sont annulées par les juridictions françaises. La France est donc un lieu sûr pour les sentences arbitrales alors qu’il ne peut en être dit autant de tous les pays. Il faut se rappeler qu’en matière d’arbitrage, la décision rendue est souvent unique et ne bénéficie pas du double degré de juridiction comme une décision judiciaire. Il en résulte que les seuls recours contre les sentences arbitrales sont alors des recours en annulation fondés sur des irrégularités de procédure et que les tribunaux du lieu où la sentence est rendue sont souvent compétents pour statuer sur la nullité.

Il y a également à Paris une forte concentration d’avocats spécialistes de l’arbitrage et des procédures arbitrales que ceux-ci soient français ou non. Les grands cabinets internationaux disposent tous de spécialistes de l’arbitrage à Paris et de nombreux avocats qui n’appartiennent pas à ces grandes structures ont aussi une expérience arbitrale. On peut notamment remarquer que l’image de respectabilité des anciens bâtonniers du Barreau de Paris en font de fréquents arbitres.

A mi-chemin entre l’Amérique et l’Asie, la France a aussi une image de relative neutralité.  Par exemple, dans un litige opposant une société chinoise à une société brésilienne, la décision de situer un arbitrage en France est une manière de ne favoriser aucune des deux parties. Donc, même si de nombreux arbitrages qui se déroulent à Paris sont conduits en anglais, la France et les spécialistes qui s’y trouvent sont très prisés.

Il faut cependant apporter quelques nuances à ce joli tableau. Les grandes capitales se livrent une concurrence âpre sur le plan économique mais également sur le terrain du droit. La rivalité entre le droit Français et la Common Law s’exprime aussi sur le terrain de l’arbitrage.

La London Court of International Arbitration (LCIA) concurrence beaucoup la CCI actuellement ", souligne Eric Teynier du cabinet Teynier, Pic et Associés, un des rares cabinets de niche spécialisé dans l’arbitrage. " Il y a une vraie compétition entre Londres et Paris. Le gouvernement anglais promeut une campagne de communication dans laquelle l’arbitrage est mis en avant en dénigrant les systèmes de Civil Law, et donc en creux la place de Paris. Cette campagne est principalement destinée aux pays émergents d’Asie ou du Moyen Orient ", poursuit-il.

Au coeur de ce type de querelle, le débat est souvent technique. C’est le cas de la question clé de l’interrogation des témoins dans une procédure d’arbitrage. Il est vrai que recueillir des témoignages dans la préparation d’une procédure d’arbitrage ne pose aucun problème dans la procédure anglaise ou américaine alors qu’on a pu croire que cela soulèverait des questions déontologiques en France. Heureusement, lebarreau de Paris a pris position sur ce point en acceptant que l’avocat puisse recueillir des témoignages ou des attestations sans porter atteinte à sa déontologie.

Ce dernier point est mis en avant de manière très explicite sur le site de l’International Arbitration Institute, l’organisation présidée par Emmanuel Gaillard, associé du cabinet Sherman & Sterling et figure très respectée dans le monde de l’arbitrage. L’IAI explique que dans un arbitrage situé à Paris, les témoins peuvent être interrogés comme ils le seraient dans le cadre d’une procédure de Common Law. Le site explique également que le fait que ces techniques ne soient pas disponibles devant les juridictions françaises ne décourage pas pour autant les arbitres d’y avoir recours dans la recherche de la preuve.

L'arbitrage : pour quels litiges ?

En matière internationale, les parties qui veulent trancher un différend ont une première préoccupation : ne pas être attirée devant les tribunaux de l’autre. " Il y a toujours eu une réticence de l’une des parties à aller chez l’autre " souligne Jason Fry. Bien que dans un nombre très important de pays, il n’y ait pas lieu de soupçonner une préférence nationale systématique, peu de parties à un litige ne veulent en prendre le risque. Initialement beaucoup d’arbitrages étaient demandés par des Européens ou des Américains qui étaient inquiets des perspectives d’un contentieux devant les juridictions indiennes ou chinoises. Maintenant que les Chinois et les Indiens investissent dans le monde entier, ils sont devenus de fréquents demandeurs de procédures
arbitrales.

Il est à noter que les Européens avaient fini, ces dernières années, par mieux accepter d’être jugés par les tribunaux des autres Etats Membres. Toutefois, ce qui était vrai pour la vielle Europe l’est beaucoup moins pour la jeune et il faudra sans doute attendre encore quelques années pour que les tribunaux de Prague paraissent à certains aussi rassurants que ceux de Manchester ou de Hambourg.

Toujours en matière internationale, l’arbitrage peut présenter des avantages de sécurité et d’efficacité. Se rendre en Corée avec une décision de la Cour d’Appel de Versailles dans l’espoir de la faire exécuter ne sera pas toujours d’une grande facilité. L’existence de la Convention de New York garantit la reconnaissance des sentences (régulièrement rendues) ...

La confidentialité est naturellement un critère majeur dans le choix de l’arbitrage. En effet, de nombreuses entreprises ont une image à soigner et savent que tout contentieux rendu public peut leur être particulièrement dommageable. C’est le cas de certaines multinationales facilement perçues comme de méchants envahisseurs. Elles auront fréquemment une préférence pour l’arbitrage. Un autre domaine dans lequel la confidentialité joue un rôle important est celui de la technologie (v. ci-après la question des arbitrages spécialisés). Une partie disposant d’un know-how particulier ou de secrets de fabrication va souhaiter éviter qu’un litige puisse faire apparaître au grand jour des informations ou des données de nature confidentielles.

Alexander Marquardt, associé du cabinet Kramer Levin à Paris, a une grande expérience de l’arbitrage dans le monde entier à la fois comme arbitre et comme conseil des parties. Il nous explique que la confidentialité de l’arbitrage a toutefois des limites. En effet, la CCI publie des ouvrages et des recueils dans lesquels des sentences ou des extraits de sentences sont repris. Même si ces textes sont anonymisés, il ne relève pas
toujours de la prouesse de reconnaître les parties concernées.

" J’intervenais comme conseil d’une des parties dans un arbitrage en matière de construction. Il y avait plusieurs arbitrages en même temps dans des affaires parallèles et l’un de ces arbitrages s’est terminé avant le mien. J’ai trouvé la sentence de l’affaire parallèle. Il n’y avait pas de nom mais la clause était identique et il était évident pour les arbitres que c’était un cas parallèle ", raconte Alexander Marquardt pour illustrer son propos.

Il n’en reste pas moins que ces situations relèvent plus de l’exception que de la règle et que l’arbitrage sera toujours plus discret qu’un procès public devant les juridictions étatiques.

Alexander Marquardt salue par ailleurs l’initiative de la CCI consistant à publier certaines décisions car il estime qu’elles sont essentielles pour aider les praticiens à mieux comprendre les finesses et les nuances de l’arbitrage.

L'arbitrage international : combien ça coûte ?

Il y a une trentaine d’années, on entendait beaucoup d’universitaires proclamer que l’arbitrage était plus rapide et moins cher que les recours devant les juridictions étatiques. Une telle affirmation n’est pas forcément juste et il faut la nuancer.

D’abord, les frais de justice ou dépens devant les juridictions sont des sommes symboliques quand on les compare avec les rémunérations des arbitres. Il faut aussi payer les avocats dans les deux cas.

Les plus sceptiques perçoivent l’arbitrage comme un moyen coûteux de trancher les litiges avec des arbitres grassement rémunérés par les barèmes généreux appliqués pour le calcul de leurs honoraires.

En 2004, la Cour d’Arbitrage de la CCI a réalisé une étude sur les coûts réels de l’arbitrage. Compte tenu du volume et de la variété d’affaires traitées par la CCI, ses études ont une valeur statistique incontestable. Cette étude a révélé qu’en moyenne 2% du coût global de la procédure correspondait aux frais et honoraires facturés par la CCI pour l’organisation et le suivi de la procédure, 16% correspondaient aux honoraires des arbitres et les 82% restant étaient les frais et honoraires des conseils des parties et des experts. Ces chiffres répondent à beaucoup de préjugés.

Quand on utilise la calculette sur le site de la Cour d’Arbitrage de la CCI pour faire quelques simulations, les résultats sont les suivants :

Pour un litige de 40 M $, avec un tribunal arbitral composé de trois arbitres, les honoraires moyens des arbitres s’élèveront à 148 285 x 3 = 444 855 $ auxquels il faut ajouter des frais administratifs de 77 400 $, soit une note totale de 522 255 $.

Pour un litige de 1 M $ avec un arbitre unique, l’honoraire moyen de l’arbitre sera de 36 985 $ avec des frais administratifs de 19 500 $.

Il est aussi intéressant de noter que 42% des nouvelles affaires portées devant la CCI en 2007 ne dépassent pas le million de dollars.

Concernant spécifiquement les honoraires des arbitres qui peuvent paraître élevés, surtout quand ils sont calculés en fonction d’enjeux considérables, Jason Fry précise " La Cour d’Arbitrage de la CCI dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour fixer les honoraires des arbitres, le barème est indicatif. Nous tenons compte du temps passé, de la complexité du travail ainsi que de la qualité de la prestation des arbitres ".

Il faut bien entendu ajouter à ces sommes les honoraires des avocats des parties en présence.

Néanmoins, l’arbitrage n’est pas toujours plus cher. Tous les praticiens s’accordent à dire que ce qui rend un arbitrage coûteux n’est pas le prix des arbitres mais la durée de la procédure qui va avoir un impact direct sur le montant des honoraires des avocats. Sur ce point, " l’unique degré de juridiction des arbitrages CCI permet de faire l’économie des honoraires d’avocats et de tout le temps nécessaire pour les recours en appel. Cette économie peut être considérable ", rappelle Jason Fry.

Cet argument est juste mais les arbitrages peuvent aussi devenir tortueux et procéduriers et traîner en longueur pendant des années. " Les institutions d’arbitrage s’efforcent de trouver des moyens pour en réduire la durée car la durée est le principal facteur qui pèse sur les coûts. Il y a une prise de conscience par rapport à ces dérives, la CCI prend la mesure du phénomène pour essayer de l’endiguer ", explique Eric Teynier. Effectivement, la Cour d’Arbitrage de la CCI a récemment rendu un rapport intitulé Techniques pour maîtriser le temps et les coûts dans l’arbitrage. Ce rapport est un véritable guide de recommandations pour éviter les écueils qui peuvent venir compliquer ou ralentir une procédure d’arbitrage.

Signalons enfin que tous les arbitrages institutionnels internationaux n’appliquent pas des barèmes proportionnels à la taille du litige. La procédure d’arbitrage proposée par la LCIA (London Court of International Arbitration) applique un taux horaire pour les honoraires des arbitres. Toutefois, même quand les enjeux sont considérables, il n’est pas évident que cette méthode aboutisse à limiter les coûts d’arbitrage au regard des honoraires parfois très élevés des arbitres.

Arbitrage institutionnel ou arbitrage ad hoc et le conseil en amont

L’arbitrage ad hoc n’a pas la cote. " Depuis une dizaine d’années, l’arbitrage devient de plus en plus contentieux, analyse Eric Teynier. Les réserves posées par les avocats qui sont rompus à l’arbitrage sur la manière dont la procédure est conduite ne sont pas rares. Il y a un degré de sophistication dans la procédure qui fait qu’un cadrage est de plus en plus nécessaire. Quand il y a un règlement d’arbitrage, on gère mieux les questions de procédure, les nominations et récusations d’arbitres. On a une base sur laquelle travailler. Les arbitrages ad hoc peuvent être des nids à chicanes si la clause d’arbitrage n’est pas assez précise et si les règles applicables au déroulement de la procédure manquent de rigueur ".

Le propos résume clairement le problème. Tous les praticiens, qu’ils interviennent comme arbitre ou comme conseil semblent préférer la sécurité d’un règlement clair qui a fait ses preuves. Ils aiment également l’encadrement que leur donnent les services d’un secrétariat comme celui de la CCI.

" L’arbitrage ad hoc peut devenir une aventure si les deux parties n’ont pas confiance en l’arbitre désigné ", ajoute Alexander Marquardt. A contrario, il précise que l’arbitrage ad hoc peut s’envisager quand les deux parties se mettent d’accord par anticipation sur la personne de l’arbitre ainsi que sur ses honoraires. En effet, sur ce dernier point, il arrive que l’arbitre désigné dans une procédure ad hoc soit tenté de calquer ses tarifs sur ceux pratiqués dans le cadre de certains arbitrages institutionnels sans que le service ne soit à la hauteur.

Les praticiens marquent donc leur préférence pour l’arbitrage institutionnel et l’arbitrage CCI est le plus fréquemment cité, suivi par la LCIA. Très nombreux sont les organismes qui ont élaboré leur propre règlement d’arbitrage. Ainsi, parmi les arbitrages institutionnels les plus connus, il faut citer l’Institut d’Arbitrage de la Chambre de Commerce de Stockholm (fréquemment choisi pour les litiges mettant en jeu les pays de l’Est), la Deutsche Institution für Schiedsgerichtsbarkeit (Institut Allemand d’Arbitrage), le Centre International d’Arbitrage de la Chambre Economique Fédérale d’Autriche qui a son siège à Vienne et dont la compétence est exclusivement réservée aux arbitrages internationaux, qui sont les plus importants.

Le choix de l’arbitrage se fait dès le contrat qui lie les parties, c’est donc une question qu’il faut se poser en amont. De ce point de vue, l’arbitrage institutionnel présente des avantages dès la rédaction du contrat puisque la clause d’arbitrage qui se contente simplement de se référer à un règlement d’arbitrage préexistant sera beaucoup plus pratique pour le rédacteur.

Les praticiens soulignent qu’il faut prendre le temps d’expliquer au client toutes les conséquences du choix de l’arbitrage dès la négociation contractuelle. Ceci est notamment important dans le cadre de procédures d’arbitrage qui ne connaissent qu’un degré de juridiction, comme l’arbitrage de la CCI. La décision des arbitres sera insusceptible de recours, sauf le recours en annulation sachant que la Cour d’Appel de Paris n’annule pas plus de 5% des sentences arbitrales qui lui sont soumises.

Un autre point d’importance concerne la langue de l’arbitrage. La plupart des arbitrages internationaux se déroulent en anglais même s’il s’agit, par exemple, d’arbitrages CCI sur le sol français. Les listes d’arbitres proposées par les organismes d’arbitrage tiennent compte de l’expérience internationale des arbitres. Il est bon de s’assurer que les arbitres désignés ne vont pas être amenés à travailler dans une langue qui leur est complètement étrangère. Ceci peut en effet poser des problèmes de clarté de la sentence rendue.

Le choix de l'arbitrage spécialisé

Les juridictions arbitrales spécialisées foisonnent. Dans de nombreux cas, celles-ci peuvent apporter aux parties le double avantage de la confidentialité et de la compétence technique. Les plus sérieuses de celles-ci sont souvent rattachées à des organismes ou des institutions qui existent depuis fort longtemps et qui ont perçu l’utilité de proposer des arbitrages dans le cadre de litiges survenant dans des domaines très spécifiques. Ainsi, nous avons récemment assisté, en France, à la création de la Chambre Arbitrale du Sport qui a été mise en place par le Comité National Olympique et Sportif Français.

Dans les contrats types proposés à ses sociétaires, la SACD (la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques) intègre la clause suivante : Tout différend qui viendrait à se produire, en suite ou à l’occasion du présent contrat concernant notamment sa validité, son interprétation ou/et son exécution, sera réglé par voie de médiation et, s’il y a lieu, d’arbitrage, conformément aux règlements de l’Association de médiation et d’arbitrage des professionnels de l’audiovisuel (AMAPA) que les parties déclarent accepter, en leur qualité de professionnels.

Les parties acceptent d’ores et déjà qu’il soit fait application des règlements de médiation et d’arbitrage de l’AMAPA dans leur rédaction à la date du litige.

Afin de mieux comprendre le fonctionnement et les avantages de ces arbitrages spécialisés, le Monde du Droit s’est entretenu avec Gérard Portal, Président de la Cour d’Arbitrage de l’Association des Conseils en Propriété Industrielle, également associé du cabinet de conseils en propriété industrielle, Beau de Loménie et Cécile Dupas, avocat associée du cabinet Lerins Avocats et aussi arbitre auprès de la Cour d’Arbitrage de l’ACPI.

L’ACPI a créé une Cour d’Arbitrage compétente pour statuer sur les litiges dans le domaine de la propriété industrielle, incluant les litiges entre les conseils en propriété industrielle (CPI) et leurs clients ainsi que les litiges entre associés des cabinets de CPI. Il faut préciser que tous les patrons de cabinets de CPI sont membres statutaires de l’ACPI. Cette association avait donc une légitimité naturelle à proposer un règlement et une cour d’arbitrage.

" Nous voulions un règlement d’arbitrage qui règle les conflits en six mois. Nous avions un règlement sommaire que nous avons décidé d’adapter au règlement de la Chambre Arbitrale de Paris ", explique Gérard Portal.

Cette démarche est intéressante puisqu’elle consiste pour des professionnels d’un domaine précis à répondre à leur besoin d’arbitrage avec le concours d’une institution qui a fait ses preuves dans ce domaine depuis de nombreuses années. En effet, la Chambre Arbitrale de Paris (CAP) est une des plus anciennes institutions d’arbitrage en France puisqu’elle a été créée en 1926 et elle a, à ce jour, traité près de 30.000 litiges.

Il faut préciser que le règlement de la CAP est adapté aux arbitrages nationaux et internationaux. Il présente l’intérêt de ne pas trancher trop brutalement avec les habitudes judiciaires puisqu’il comprend un double degré de juridiction auquel les parties ont recours dans environ un arbitrage sur quatre.

Les arbitrages de cette Cour d’Arbitrage de l’ACPI sont donc organisés et suivis par la Chambre Arbitrale de Paris et bénéficient de tous les services de son secrétariat. Ainsi, le demandeur à l’arbitrage va déposer sa demande auprès de la CAP en précisant que c’est un arbitrage ACPI qui est requis.

La coopération entre l’ACPI et la Chambre Arbitrale de Paris est étroite et à partir de cette année, Gérard Portal sera membre du Conseil d’Administration de la CAP. Cette procédure d’arbitrage en est encore à ses débuts et il y a actuellement dix arbitres sur la liste des noms proposés par l’ACPI dont cinq sont des Conseils en propriété industrielle et cinq sont des avocats. En effet, l’ACPI est une association ouverte aux avocats spécialisés dans ce domaine qui peuvent en être des adhérents sans droit de vote.

L’arbitrage proposé par l’ACPI repose sur cette complémentarité indispensable entre le juridique et le technique en matière de brevets. " J’essaie de proposer l’arbitrage dans les litiges de brevets avec des questions très techniques. Ce n’est pas toujours évident car il y a deux personnes à convaincre, le CPI avec lequel on travaille et le client ", explique Cécile Dupas. En effet, la procédure est encore nouvelle et certains CPI sont encore hésitants.

Il faudra attendre encore un peu pour savoir si l’arbitrage de l’ACPI connaît le succès car, en propriété industrielle, les délais sont souvent longs entre la rédaction du contrat de licence et les éventuels litiges qui peuvent en découler.

Gérard Portal souhaite voir un développement de l’arbitrage domestique en matière de propriété industrielle. Dans le contexte international, les arbitrages sont fréquents en cette matière pour deux raisons principales : 50% des brevets mondiaux sont américains et ces derniers sont très ouverts aux modes alternatifs de règlement des conflits et, en second lieu, les défendeurs veulent éviter les jurys dont les condamnations sont souvent très lourdes et qui n’ont pas de compétences techniques. Outre l’intérêt de soumettre son litige à des arbitres dont la compétence est établie, une procédure d’arbitrage domestique en matière de brevets présente le grand avantage de la confidentialité.

L’ACPI se veut très rigoureuse dans le choix de ses arbitres tout en souhaitant augmenter leur nombre pour couvrir un plus grand nombre de spécialités techniques. La liste devrait donc prochainement se compléter de spécialistes notamment dans le domaine de l’électronique et des biotechnologies. En plus de ses arbitres, la Cour d’Arbitrage de l’ACPI prévoit d’établir une liste d’experts agrées composée de purs techniciens, d’industriels ou d’ingénieurs.

Bien entendu, la validité des brevets reste de la compétence du TGI mais l’arbitrage pourra pleinement remplir sa vocation dans les contentieux de licence. La compétence des juges n’est pas en cause mais le pragmatisme des arbitres de l’ACPI sera sûrement un atout ; a fortiori dans les litiges portant sur les dessins et modèles qui sont de la compétence des tribunaux de commerce.

L'avenir

Plusieurs tendances semblent se dessiner pour l’arbitrage et ses praticiens. Après un essor marqué de l’arbitrage international jusqu’au début des années 2000, celui-ci a un peu marqué le pas. Parallèlement, la médiation a gagné du terrain. Même si la démarche de médiation est tout à fait différente de celle de l’arbitrage, elle permet de provisionner un montant précis dans une optique de transaction plutôt que d’avoir à assumer les incertitudes d’un litige. Nous constatons maintenant une prise de conscience des institutions d’arbitrage international, soucieuses de corriger leurs défauts, d’accélérer la procédure et d’en contrôler les coûts.

Les arbitrages dans le cadre d’organisations arbitrales spécialisées se développent et compte tenu de la technicité toujours croissante de notre environnement économique, juridique et technologique, il est peu probable que cette tendance s’inverse.

Du côté des praticiens, il y aura du mouvement dans le domaine de l’arbitrage international en raison de l’organisation interne des grands cabinets anglais et américains et de la rivalité des organisations d’arbitrage institutionnel. En effet, les grands cabinets ne veulent pas toujours gérer deux départements d’arbitrage à Londres et à Paris. Il est donc probable que ceci entraîne un recentrage de certaines équipes d’arbitrage sur l’Angleterre.

Ajoutons qu’en matière contentieuse, les conflits d’intérêts sont devenus si difficiles à gérer pour les cabinets géants qu’il n’est pas évident que ceux-ci aient envie de développer une activité contentieuse pour des sociétés qui ne sont pas leurs clients par ailleurs. A Paris, cette évolution pourrait profiter aux praticiens de l’arbitrage qui choisissent ou choisiraient d’exercer en dehors des grands cabinets ...


Lex Inside du 14 mars 2024 :

Lex Inside du 5 mars 2024 :

Lex Inside du 1er mars 2024 :