Laurent Guardelli, avocat associé, Coblence avocats : « Il faut porter au crédit des négociateurs une volonté pédagogique évidente », concernant l'accord national interprofessionnel sur le télétravail

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Le Monde du Droit a interrogé Laurent Guardelli, avocat associé au sein du cabinet Coblence avocats au sujet de l'accord national interprofessionnel du 26 novembre 2020 sur le télétravail. 

L’accord national interprofessionnel du 26 novembre dernier sur « une mise en œuvre réussie du télétravail » a fait l’objet de longues semaines de négociations. Il n’est cependant pas certain que la portée du texte proposé soit proportionnel à sa durée d’élaboration.

Quel est le nouveau cadre du télétravail ?

Le cadre juridique du télétravail n’est pas modifié par l’ANI. En effet, non seulement le MEDEF a voulu faire en sorte que le texte ne soit, selon la formule utilisée, « ni normatif, ni prescriptif » - entrainant d’ailleurs le refus de signature de la CGT – mais, plus encore, les signataires ont d’abord et avant tout entendu que le texte serve à « expliciter l’environnement juridique applicable au télétravail » ainsi qu’à fournir aux « acteurs sociaux dans l’entreprise et dans les branches professionnelles, un outil d’aide au dialogue social, et un appui à la négociation ». La volonté des rédacteurs est donc loin de celle visant à modifier le droit positif.

Cette intention se retrouve d’ailleurs dans le texte lui-même, dont l’examen révèle de nombreux rappels de dispositions existantes ainsi que des incitations permanentes à la négociation décentralisée au niveau de l’entreprise.

Mais il faut porter au crédit des négociateurs une volonté pédagogique évidente, en replaçant certaines problématiques au centre du débat et, à défaut d’en aborder le fond, de rappeler aux négociateurs au niveau de l’entreprise qu’elles devront être traitées avec attention. Il en va ainsi par exemple des règles en matière de santé et de sécurité, où les obligations de l’employeur sont connues et pour lesquelles les signataires de l’ANI rappellent que si ces obligations ont vocation à s’appliquer au télétravail, il devra également être tenu compte du fait que « l’employeur ne peut avoir une complète maîtrise du lieu dans lequel s’exerce le télétravail et de l’environnement qui relève de la sphère privée ». Relevant, presque avec regrets d’ailleurs dans la formulation (« Malgré les difficultés de mise en œuvre pratique, c’est ce que prévoit explicitement le code du travail ») que la présomption d’imputabilité du droit de la sécurité sociale s’appliquera au télétravail, ils pointent là un des véritables enjeux de sa mise en œuvre, dans laquelle le contrôle de l’employeur sur les conditions de sécurité devra s’arrêter aux portes d’une vie privée que le salarié souhaitera légitimement conserver.

Quels sont les ajouts par rapport au texte de 2005 ?

Ils sont rares et relèvent en réalité plus de la précision ou de la réaffirmation que de la nouveauté, si l’on met de côté les points qui n’avaient pas été abordés en 2005 pour la simple raison qu’ils n’existaient alors pas (par exemple le droit à la déconnexion).

Notons cependant les exemples suivants :

- L’accord du 19 juillet 2005 avait prévu dans son article 7 la prise en charge par l’employeur des « coûts directement engendrés » par le télétravail, outre la fourniture et l’installation des équipements (sauf dans les cas bien connus de « BYOD » pour « Bring Your Own Device » où le travailleur utilise ses propres outils et pour lesquels l’employeur doit en assurer l’adaptation et l’entretien). L’ordonnance n° 2017-1387 du 22 novembre 2017 avait pour sa part abrogé le premier alinéa de l’article L. 1222-10 du code du travail qui reprenait ce principe. Si les accords d’entreprise avaient largement comblé le vide, l’ANI prévoit dans son article 3.1.5 que les dépenses exposées par le salarié pour les besoins de son activité professionnelle sont prises en charge par l’employeur, après validation de ce dernier.

Le point peut sembler secondaire, il ne l’est pas, pour au moins deux bonnes raisons. La première tient à la définition des outils nécessaires au télétravail. Ainsi par exemple, jusqu’où un double écran est -il indispensable ? Si un siège ergonomique (au demeurant charmant dans un intérieur…) a été jugé nécessaire sur le lieu de travail, qu’est ce qui le rendrait négligeable dans un cadre de télétravail ? Cette problématique posée, la seconde survient immédiatement, c’est-à-dire celle du coût. L’ANI prévoit que les sommes remboursées par l’employeur sous forme d’allocation forfaitaire seront considérées conformes à leur objet et, ce faisant, exonérées de cotisations et contributions sociales dans la limite d’un barème à fixer.

A la lumière des hésitations auxquelles la question avait donné lieu pendant le premier confinement et des tarifs alors préconisés par l’URSSAF, on peut douter que l’employeur y trouve son compte…

- Autre exemple d’ajout qui comblera les négociateurs impatients, celui relatif à la « continuité du dialogue social », objectif affiché de l’article 6 et qui, en substance, invite les entreprises et les représentants du personnel à faire évoluer leurs rapports grâce aux outils numériques (on note ainsi la référence au « local syndical numérique »). L’invitation est naturelle : l’éloignement physique ne saurait nuire aux droits que les représentants du personnel tiennent de la Loi et singulièrement à leurs contacts avec l’employeur et leurs mandants que sont les salariés. Dans ce contexte, le droit positif apparait à certains égards en retrait de la réalité (le tractage à la sortie de l’entreprise…) et la possibilité offerte par le code du travail de conclure des accords sur la communication électronique devra être exploitée bien au-delà des entreprises y ayant eu recours à ce jour.

Ce nouvel accord s'impose-t-il à l'employeur ou est-ce « un guide des bonnes pratiques » ?

Le terme « bonnes pratiques » apparait dans l’article 3.1.4 de l’ANI, et ce n’est pas un hasard tant, au- delà des problématiques de fond à peine abordées, les précautions scripturales sont nombreuses dans le texte.

Cependant il ne faudrait pas laisser penser que l’ANI du 26 novembre n’est pas un accord collectif ; il en reste un, dans la forme et le fond, de sorte qu’il ne manquera pas d’être utilisé comme base de réflexion dans nombre de préambule d’accords collectifs d’entreprise qui s’en inspireront.

A l’évidence, les négociateurs n’ont pas voulu entrer dans un degré de détail qui aurait rendu l’accord inapplicable au niveau des entreprises et c’est fort louable, de même que la confiance accordée à la négociation décentralisée, seul endroit pertinent où un sujet comme le télétravail peut être traité de manière collective.

Propos recueillis par Yannick Nadjingar-Ouvaev


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