Projet de loi contre la fraude fiscale : l'ère du soupçon contre les avocats

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Communiqué de l'association des Avocats Conseils d'Entreprises (ACE) du 25 juin 2013.

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Le Parlement examine actuellement un projet de loi contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière dont les dispositions sont dangereuses et inacceptables.

La lutte contre la fraude fiscale est évidemment nécessaire, de surcroît dans le contexte de crise économique que nous connaissons. Toutefois, cet objectif légitime ne saurait justifier des dispositions portant atteinte aux libertés les plus fondamentales.

Alors que nous sommes auxiliaires de justice, que notre rôle est, par nos conseils, de sécuriser nos clients en les aidant à choisir la solution la plus favorable à leur situation parmi toutes celles offertes par la loi, et non de les aider à la violer, nous sommes potentiellement visés comme coauteurs ou complices.

Le simple soupçon de fraude fiscale ouvrant le champ de la criminalité organisée, dès lors qu’un enquêteur, un procureur, un juge d’instruction estimera qu’un schéma fiscal pourrait être illicite, il sera incité à mettre en cause non seulement le contribuable mais aussi son conseil, puisqu’ils formeront potentiellement ensemble la "bande" nécessaire pour que toutes les procédures nées de la loi Perben II puissent être utilisées : garde à vue de quatre jours, interceptions sonores,… Les mises en causes d'avocats innocents se multiplieront nécessairement.

Les CARPA seraient désormais astreintes à la déclaration de soupçon en matière de blanchiment. Il a même été envisagé que notre activité judiciaire, jusqu’alors préservée, y soit de même soumise, sous le prétexte de lutter contre d’hypothétiques "faux procès" qui seraient organisés pour mieux blanchir.

La mise en cause des avocats est de plus en plus fréquente, les perquisitions se multiplient, non parce qu’ils se seraient faits complices de leurs clients – les condamnations sont en pratique inexistantes – mais parce que les enquêteurs pensent trouver dans nos cabinets les informations qui leurs manquent, parce qu’ils perçoivent notre secret comme une entrave.

Le projet, ne nous y trompons pas, dépasse par sa portée notre seul exercice professionnel ou la fiscalité.

Des principes fondamentaux du droit pénal sont remis en cause. L’administration pourra utiliser des preuves obtenues de manière illicite. La charge de la preuve en matière pénale sera inversée : il y aura ainsi blanchiment dès lors que la personne poursuivie ne pourra prouver elle-même la légalité de chaque euro dont elle dispose. Enfin, les règles de prescription des délits sont brutalement modifiées.

C’est un véritable changement de société qui s’organise. Le projet vise à inciter chaque citoyen à devenir un véritable délateur : chaque salarié, chaque stagiaire, pourra sans risque de sanction dès lors qu’il est de "bonne foi" dénoncer son collègue dès lors qu’il le soupçonnera de commettre une infraction. La "bonne foi", ou son apparence, justifie tout, permet tout.

Tout cela au moyen d’une procédure parlementaire accélérée, donc sans la concertation pourtant prônée en toute matière par le Président de la République, et surtout sans la sérénité nécessaire à une réflexion aboutie.

Il est évident que nombre de ces dispositions sont contraires à notre Constitution, pourtant le projet avance, sans hésiter. Chaque jour nous a apporté de nouveaux amendements, tous aussi inquiétants…

L’ACE a suivi quotidiennement les travaux parlementaires. Nous avons rencontré les rapporteurs du projet devant l’Assemblée nationale et tenté, en vain, de les convaincre que les intentions les plus louables peuvent conduire aux pires dérives.

Nous poursuivons sans faille notre action auprès du Gouvernement et du Sénat.

C’est l’ensemble de notre profession qui doit se mobiliser.

Non pas seulement parce que nous sommes nous-mêmes concernés, atteints dans nos principes les plus essentiels, mais surtout parce que les avocats ont un rôle social fondamental, dépassant leurs propres intérêts : celui de gardiens et de défenseurs des libertés.

Nous avons le devoir de nous réunir et de porter ensemble la voix du Droit et de la Justice.


Avocats Conseils d'Entreprises (ACE)


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