Loi du 11 mars 2014 renforçant la lutte contre la contrefaçon : commentaire

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Corinne CHAMPAGNER KATZ et Charlotte GALICHET, Avocats, CCK AVOCATS ASSOCIESLa loi du 11 mars 2014 vient compléter la loi du 11 octobre 2007 dont l’objet était déjà "la lutte contre la contrefaçon".

Si les médias spécialisés indiquent que le titre de ces lois est explicite, l’application par les juges du fond des textes fut bien différente et la sanction de la contrefaçon, notamment par la 3ème Chambre du Tribunal de Grande Instance de Paris, a pris une autre dimension comparée  aux décisions prononcées par les Tribunaux de Commerce.

La loi de 2007 de lutte contre la contrefaçon, en attribuant compétence exclusive aux Tribunaux de Grande Instance, a eu, dans les faits, des conséquences contraires à la terminologie de son titre.

Les principaux apports de la loi du 11 mars 2014 sont d’améliorer l’indemnisation des victimes et de clarifier le droit à l’information. Dans ces conditions, le praticien ne peut qu’être étonné de l’introduction d’une nullité supplémentaire des opérations de saisie-contrefaçon en matière de droit d’auteur. Enfin, le texte en vigueur renforce les moyens d’action des douanes.

1)    L’indemnisation des victimes

"Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :

 1° Les conséquences économiques négatives de l'atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;

 2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;

 3° Et les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l'atteinte aux droits.

Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l'auteur de l'atteinte avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée."

(Articles L.331-1-3, L.521-7, L.615-7, L.623-28, L.716-14 et L.722-6 du Code de la Propriété Intellectuelle)

La doctrine en déduit que les juges devront allouer une somme par poste de préjudice.

Les économies réalisées par le contrefacteur en termes d’investissement de création et de promotion pourront également être pris en compte, ce qui était déjà le cas dans la jurisprudence, à la condition que la victime soit capable d’individualiser les investissements engagés pour le produit copié en particulier.

Le dernier alinéa permet en outre de contrer l’argument relatif à l’interdiction des dommages et intérêts punitifs dans la mesure où la somme forfaitaire est désormais nécessairement plus élevée que la redevance.

2)    Le droit à l’information

"Si la demande lui en est faite, la juridiction saisie au fond ou en référé d'une procédure civile prévue au présent chapitre peut ordonner, au besoin sous astreinte, afin de déterminer l'origine et les réseaux de distribution des produits argués de contrefaçon, la production de tous documents ou informations détenus par le défendeur ou par toute personne qui a été trouvée en possession de produits argués de contrefaçon ou qui fournit des services utilisés dans de prétendues activités de contrefaçon ou encore qui a été signalée comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution de ces produits ou la fourniture de ces services." (Article L331-1-2 et L.722-5 du CPI).

La nouveauté du texte consiste à confirmer la jurisprudence actuelle selon laquelle le caractère contrefaisant n’a pas à être établi par un premier jugement et que cette demande de documents pourra être faite au cours du procès.

La preuve de la contrefaçon est libre. La mesure spécifique de saisie contrefaçon n’est pas un prérequis mais est en pratique indispensable pour permettre au titulaire des droits de matérialiser et chiffrer les preuves du préjudice.  La nouvelle loi introduit un tout nouvel article permettant à la juridiction "d’ordonner, d'office ou à la demande de toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon, toutes les mesures d'instruction légalement admissibles même si une saisie-contrefaçon n'a pas préalablement été ordonnée". Du fait de l’annulation fréquente des procès-verbaux de saisie contrefaçon ou encore de la faible surface financière de certains créateurs, cette disposition présente un aspect positif : une mesure d’économie substantielle permettant aux PME/TPE d’ester en justice sans avoir à renoncer pour des motifs de ressources financières (Art L521-4, L615-5-1-1, L623-27-1-1, L716-7-1, L722-4-1).

3)   La saisie contrefaçon

L’huissier de justice peut, comme par le passé, procéder à la description détaillée des produits argués de contrefaçon, avec ou sans prélèvement d’échantillons, et/ou à la saisie réelle des produits litigieux, "ainsi que de tout document s’y rapportant", c’est-à-dire les factures d’achat, de vente, etc…

Par ailleurs, "L'ordonnance peut autoriser la saisie réelle de tout document se rapportant aux œuvres prétendument contrefaisantes en l'absence de ces dernières." (Article L.332-1 du CPI).  

Par cette disposition, le législateur a répondu positivement aux attentes des officiers ministériels. Il était en effet très gênant de ne pouvoir procéder à la saisie de la comptabilité aux motifs, soit, que l’ensemble des produits argués de contrefaçons ait été vendu, soit qu’il s’agissait d’un siège administratif dans lequel aucun produit n’était physiquement entreposé.

La procédure de saisie contrefaçon en matière de logiciel est identique (article L.332-4 du CPI).

En matière de droit d’auteur, la loi supprime deux procédures, très peu voire jamais utilisées (pour quelle raison ?) : la saisie contrefaçon par commissaire et par le juge d’instance.

La sanction de l’absence d’action en justice dans le délai réglementaire:

L’ancien article L.332-3 du CPI prévoyait la possibilité pour la société saisie de demander la mainlevée des effets de la saisie contrefaçon si aucune assignation n’avait été délivrée dans le délai de 20 jours ouvrables ou 31 jours civils de la date de l’ordonnance autorisant la mesure de saisie contrefaçon.

En pratique, la disponibilité des huissiers et de la force publique n’étant pas immédiate, l’Avocat disposait d’un délai de moins d’une semaine pour rédiger une assignation en contrefaçon. Si le ou les futurs défendeurs résident en dehors du sol national  et ne sont pas francophones, une traduction de l’acte est indispensable. Le respect du délai est dès lors impossible à respecter.

Cette difficulté n’est pas une difficulté seulement de logistique. Elle entraine avec elle toute une série d’obstacles contraires aux intérêts de la victime des faits de contrefaçon.

C’est encore une fois une incompréhension de l’esprit du législateur d’une part à ne pas être conscient qu’il n’est pas familier de l’industrie et de ses acteurs et d’autre part à instaurer des textes de nature in fine à favoriser le contrefacteur.

(La mainlevée diffère de la nullité dans la mesure où seuls les produits saisis doivent être restitués, la victime pouvant conserver la preuve de la masse contrefaisante grâce au procès-verbal "papier" de l’huissier.)

En droit des marques, dessins, modèles et brevets, cette sanction était la nullité pure et simple : le procès-verbal lui-même était réputé ne pas exister. Le délai court quant à lui à compter de la date du procès-verbal de saisie-contrefaçon, ce qui constituait en définitive un délai plus long qu’en matière de droit d’auteur.

L’article L332-3 prévoit désormais l’annulation de "l’intégralité de la saisie à défaut pour le demandeur de s’être pourvu au fond, au civil ou pénal, ou d’avoir déposé plainte près le Procureur de la République dans un délai fixé par voie règlementaire, "sans que le saisi n’ait à motiver sa demande".

Une fois de plus, cette nouvelle disposition ne présente aucune amélioration de nature à aider les titulaires de droits mais comme dit précédemment à rendre la tâche des contrefacteurs plus facile encore. La victime de contrefaçon qui dépassera le délai de 24 ou 48h, et même si la société saisie ne peut justifier d’un quelconque préjudice, se verra privée des effets de la saisie-contrefaçon qui, rappelons-le, engendre des frais, au total, d’environ 3.000 euros HT. Non seulement, elle devra restituer les produits saisis mais elle ne disposera plus de la preuve matérielle de la contrefaçon : les documents comptables saisis, établissant la masse contrefaisante, ne seront plus admissibles dans la procédure.

4)   Les Douanes

Les Agents des douanes sont désormais compétents pour intervenir en matière d’appellations et d’indications géographiques. Les services des Douanes peuvent procéder à des achats ou se déguiser en clients potentiels afin de matérialiser la contrefaçon. Selon nous, en cas de Question Prioritaire de constitutionnalité, ces dispositions pourront être annulées. La loi facilite également l’intervention des Douanes dans les locaux à usage d’habitation et chez les prestataires de services postaux. Enfin, les douanes voient leurs pouvoirs de contrôle et d’action étendus aux marchandises en  "transbordement" (article 6 de la loi).

Conclusion

Pour des raisons qui échappent à l’entendement des industriels victimes et des praticiens du droit de la Propriété intellectuelle et de l’Intelligence Economique, il est patent que depuis 2007, la lutte contre la contrefaçon a régressé dans les faits, dans les résultats et dans les sanctions.

Toutes les statistiques le prouvent, la criminalité organisée a adopté avec beaucoup d’enthousiasme cette discipline comprenant très vite que les sanctions ne présentaient aucune commune mesure avec celles relatives au trafic de stupéfiants et autres substances interdites par la loi notamment.

Tous les secteurs de l’industrie sont touchés et cela dans le monde entier.

C’est l’un des critères essentiels de la bonne compétitivité des entreprises, la protection des actifs immatériels et la répression des actes de contrefaçon.

Le combat mené depuis plusieurs années par les acteurs de l’industrie et du droit consistant à faire prendre conscience que la contrefaçon doit être sanctionnée financièrement  à la hauteur des bénéfices qu’elle génère au détriment des victimes n’est pas nouveau.

La question est de savoir pourquoi dans les faits ce combat est de moins en moins considéré alors que l’intention publique affiche le contraire ?

A suivre …

Corinne CHAMPAGNER KATZ et Charlotte GALICHET, Avocats, CCK AVOCATS ASSOCIES


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