Le Conseil d’Etat se prononce sur l’imposition d’une plus-value de cession d’un partnership américain

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Dans une *décision du 2 février 2022, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur l’imposition du gain de cession de parts (interests) d’un partnership de droit américain, jugeant que le droit d’imposer revenait au pays de résidence de l’associé cédant, la France au cas d’espèce. C’est à notre connaissance la première décision rendue par le Conseil d’Etat sur cette question, dont la portée pratique pourrait s’avérer importante.

Commençons par rappeler les faits de l’espèce (1.), puis étudions les enseignements (2.) et les implications pratiques de cette décision (3.).

1.        Faits

Dans cette affaire, un contribuable domicilié en France avait cédé, au cours de l’année 2002, l’ensemble des droits qu’il détenait dans un partnership américain à un groupe pharmaceutique canadien, en contrepartie d’un prix assorti de différents compléments de prix payés sur plusieurs années.

La cession ayant généré une plus-value pour le contribuable, ce dernier avait déclaré le gain initial, au titre de l’année de cession, puis les différents compléments de prix, au titre de l’année de leur paiement, comme des revenus imposables aux Etats-Unis ouvrant droit à un crédit d’impôt intégral en France, conduisant à une exonération de ces revenus en France.

En effet, se fondant sur le principe de transparence fiscale mentionné au paragraphe 4 de l’article 7 de la convention du 31 août 1994 entre la France et les Etats-Unis en matière d’impôt sur le revenu, le contribuable considérait que ce revenu correspondait à la cession d’un établissement stable visé au paragraphe 3(a) de l’article 13 et que le droit d’imposer ce gain revenait aux Etats-Unis.

A la suite d’une vérification de situation fiscale personnelle, l’administration fiscale a considéré, à l’inverse du contribuable, que le droit d’imposer ce gain revenait à l’état de résidence du cédant en application du paragraphe 6 de l’article 13 de cette convention fiscale.

Saisi de l’affaire, le tribunal administratif de Strasbourg avait dans un premier temps fait droit à la demande du contribuable, avant que la Cour d’Appel de Nancy ne casse ce jugement, par une décision du 8 avril 2020. Le contribuable s’étant pourvu en cassation à la suite de cet arrêt, le Conseil d’Etat a ainsi pu se pencher sur cette épineuse question.

2.        Position du Conseil d’Etat

Reprenant les principes dégagés par l’arrêt Artémis du 24 novembre 2014 (n° 363556), le Conseil d’Etat rappelle que l’objet des conventions fiscales est seulement de répartir le droit d’imposer entre les états. Il en résulte une approche, maintenant solidement établie, en deux temps : dans un premier temps, l’application

de la convention fiscale permet de déterminer si la France a le droit d’imposer ; puis, si tel est le cas, elle applique sa propre législation et non les règles conventionnelles pour déterminer les règles d’imposition.

2.1.      Qui a le droit, entre la France et les Etats-Unis, d’imposer une plus-value de cession de parts d’un partnership ?

C’est, selon le Conseil d’Etat, cette question qui relève de la convention fiscale liant la France et les Etats- Unis et dont la réponse dépend de la portée donnée à l’article 7 (4) de la convention fiscale, relatif aux bénéfices des entreprises et de l’analyse de l’article 13, relatif aux gains en capital.

  • Quelle est la portée du paragraphe 4 de l’article 7 de la convention fiscale et du principe de transparence fiscale des partnerships ?

La première difficulté posée par cette affaire résidait dans l’articulation des stipulations de l’article 7 (4) (« bénéfices des entreprises ») et de l’article 13 (« gains en capital ») de la convention fiscale conclue entre les deux états.

En effet, le contribuable se prévalait des stipulations combinées du paragraphe 4 de l’article 7 et du paragraphe 3(a) de l’article 13 pour considérer que la cession des parts d’un partnership exerçant une activité aux Etats-Unis s’analysait en une cession de tout ou partie d’un établissement stable situé aux Etats-Unis et que cette cession était dès lors uniquement imposable aux Etats-Unis.

L’article 7 (4) de la convention fiscale institue en effet un principe de transparence fiscale pour les revenus réalisés à travers des partnerships. En vertu de ce principe, les revenus générés par un partnership sont considérés comme ayant été réalisés par l’associé à hauteur de sa participation dans le partnership et non par le partnership lui-même.

Une approche extensive de ce principe de transparence fiscale aurait pu conduire le juge à considérer que la cession de parts d’un partnership s’analyse en une cession d’une partie des actifs du partnership lui-même. Dans la mesure où le partnership exerçait une activité aux Etats-Unis par l’intermédiaire d’un établissement stable, la cession de ces actifs aurait alors été imposée exclusivement aux Etats-Unis, en vertu du paragraphe 3(a) de l’article 13.

Cependant, ce n’est pas l’analyse retenue par la Rapporteure Publique qui, s’appuyant sur le principe d’interprétation littérale des conventions fiscales, relève dans ses conclusions que « le raisonnement en transparence mis en place à l’article 7 ne concerne que les revenus transitant par le partnership. S’il peut donc s’appliquer aux gains réalisés par une telle entité lors de la cession d’éléments de son actif, il ne saurait en revanche s’appliquer à des revenus ou des gains qui ne sont pas réalisés par l’intermédiaire du partnership, à l’instar du gain réalisé par un associé en vendant ses parts dans une telle entité. »

Suivant ce raisonnement, le Conseil d’Etat considère ainsi que « les revenus issus de la cession d’une participation dans un partnership de droit américain ne sauraient être regardés comme ayant été réalisés par l’intermédiaire de cette entité pour l’application du 4 de l’article 7 de la convention franco-américaine relatif aux bénéfices des entreprises » et ajoute que ces revenus « relèvent de l’article 13 de cette convention relatif aux gains en capital. »

  • Quelles stipulations de l’article 13 appliquer dans le cadre d’une cession de droits dans un partnership ?

Une fois le principe ci-dessus établi, le Conseil d’Etat devait encore qualifier la cession au regard des différents paragraphes de l’article 13, afin de déterminer si cette plus-value de cession était imposable en France ou aux Etats-Unis.

A ce titre, il pouvait toujours conclure à une imposition exclusive aux Etats-Unis, en vertu du paragraphe 3(a) de l’article 13, si la cession relevait de l’aliénation de biens mobiliers faisant partie d’un établissement stable ou d’une base fixe d’affaires du contribuable aux Etats-Unis. Il pouvait également, a contrario, décider d’une imposition exclusive en France, état de résidence du cédant, sur le fondement du paragraphe 6 de ce même article.

Ayant écarté l’application de l’article 7 (4) de la convention fiscale, le Conseil d’Etat ne pouvait plus raisonner par transparence pour considérer l’associé du partnership comme disposant d’un établissement stable ou d’une base fixe d’affaires aux Etats-Unis à travers son partnership.

Ainsi, pour justifier d’une telle qualification, le contribuable entendait s’appuyer sur la qualification d’une telle cession en droit interne, tant en France qu’aux Etats-Unis.

Cependant, ces moyens ne sauraient être pertinents. En effet, concernant la transparence fiscale de la société aux Etats-Unis, l’absence d’application de l’article 7 (4) de la convention fiscale au cas présent privait de portée cet argument. Au surplus, depuis la jurisprudence Artémis susmentionnée, le statut fiscal d’une société étrangère ne saurait avoir d’incidence sur son traitement conventionnel, la règle de l’assimilation nécessitant d’effectuer une analyse juridique et non fiscale des caractéristiques d’une telle société pour identifier en droit français le type de sociétés à laquelle il convient de l’assimiler.

En outre, l’assimilation en droit français de la plus-value de cession de ces titres en une plus-value d’éléments d’actifs affectés à l’exercice de la profession n’avait pas non plus d’incidence car aucun élément dans la convention fiscale ne permettait de rattacher ces éléments à un établissement stable ou une base fixe d’affaires aux Etats-Unis, condition indispensable à la qualification d’une imposition exclusive aux Etats- Unis.

Ainsi, la Rapporteure Publique conclut, à juste titre selon nous, que « juridiquement comme économiquement, l’associé ne cède donc pas une base fixe ou un établissement stable par lequel il exercerait une activité économique en propre : il cède un élément de son patrimoine consistant en une part de partnership, ayant la nature de droits sociaux. Lorsque le cédant n’exerce par ailleurs lui-même aucune activité en propre aux Etats-Unis par le biais d’une véritable base fixe ou d’un véritable établissement stable, répondant à la définition de l’article 5 et auquel sa participation dans le partnership pourrait être rattachée, les parts qu’il détient dans un tel partnership ne relèvent alors d’aucun des paragraphes 1 à 5 de l’article 13, et le gain résultant de leur aliénation doit être traité conformément aux règles de répartition du pouvoir d’imposer énoncées au paragraphe 6 de cet article, c’est-à-dire une imposition exclusive dans l’état de résidence du cédant. »

Et le Conseil d’Etat de suivre cette analyse en considérant que « dès lors que la cession d’une partie des parts d’une telle entité n’est pas constitutive d’une aliénation portant sur l’intégralité d’un établissement stable ou sur des biens mobiliers inscrits à l’actif d’un tel établissement, les stipulations du a) du 3 de cet article 13 ne sont pas applicables aux revenus issus de cette cession. Par suite, en vertu des stipulations résiduelles du 6 du même article, ces gains sont imposables dans l’État de résidence du cédant. »

2.2.      Comment la France impose-t-elle une plus-value de cession de parts d’un partnership ?

Bien que cet aspect soit ici accessoire car non contestée par les parties, la présente affaire permet de rappeler qu’une fois le droit d’imposer attribué conventionnellement à la France, les modalités d’imposition s’établissent uniquement en fonction des critères de droit interne, selon la méthode de l’assimilation développée dans la jurisprudence Artémis.

A ce titre, il est nécessaire de déterminer si la société de droit étranger (en l’occurrence un partnersphip américain) doit être assimilée juridiquement à une société de personnes visée à l’article 8 du Code Général des Impôts (CGI) ou à une société de capitaux.

A l’issue d’une telle analyse, les parts d’une société de droit étranger assimilée à une société de l’article 8 du CGI en France et dans laquelle le contribuable exercerait une activité professionnelle serait qualifiée d’actif professionnel et, en cas de cession, la plus-value dégagée serait une plus-value professionnelle en application des dispositions de l’article 151 nonies du CGI.

A l’inverse, les titres d’une société de droit étranger assimilée à une société de capitaux en France ne seraient pas qualifiés d’actifs professionnels et la plus-value résultant de leur cession ne pourrait que relever du régime des plus-values des particuliers de l’article 150-0 A du CGI.

Si le principe de l’assimilation semble solidement établi, des incertitudes demeurent quant aux critères d’assimilation applicables et à l’analyse des caractéristiques juridiques de la société étrangère.

Par ailleurs, ce principe d’assimilation pose des difficultés en ce qu’il ne semble pas tenir pour important régime fiscal applicable à l’étranger. Or assimiler à une société de l’article 8 une entité qui aurait opté à l’étranger pour être assujetti à l’impôt sur les sociétés pourrait conduire à des situations de doubles impositions ou de doubles exonérations fiscales, qui ne sont évidemment pas souhaitables1.

3.        Portée pratique

La solution donnée par le Conseil d’Etat, si elle a le mérite d’être claire, crée des difficultés pratiques.

3.1.      Une importante divergence d’interprétation avec les Etats-Unis

Commençons par souligner ici que la solution donnée par le Conseil d’Etat est conforme à la doctrine administrative qui indique depuis 1999 que « la cession de ses droits dans un « partnership » par un résident de l'un des Etats contractants s'analyse comme une cession de parts sociales, imposable dans l'Etat de la résidence, conformément au paragraphe 6 de l'article 13 de la convention. Il s'ensuit que la cession de tels droits par un résident de France est taxable en France conformément aux dispositions du droit interne applicable. » (Inst. 26-4-1999, 14 B-3-99 n° 109, puis BOI- INT-CVB-USA-10-20-30, n°1).

L’administration a par ailleurs souligné dans une instruction publiée en 2005 les divergences d’interprétation avec l’Internal Revenue Service (IRS) : « pour la partie américaine, dès lors que le « partnership » est totalement transparent, l'associé n'est pas considéré comme cédant des parts sociales du « partnership » mais comme cédant une partie de l'actif de celui-ci. Si cet actif est en tout ou partie affecté à la poursuite d'une activité commerciale ou industrielle exercée aux Etats-Unis dans le cadre d'un établissement stable, il en résulte que l'associé est considéré comme cédant une partie de cet établissement stable à due proportion de ses droits dans le « partnership ». Il résulte de cette analyse que les Etats-Unis revendiquent le droit d'imposer le gain réalisé à cette occasion par un associé résident de France sur le fondement des stipulations de l'article 13, 3-a de la convention. » L’administration conclut que les contribuables devront le cas échéant solliciter la procédure amiable de l’article 26 de la convention pour « remédier aux situations de double imposition ».

L’analyse de l’IRS est en effet que le gain ou la perte d’un associé non résident d’un partnership qui a une activité (trade or business) aux Etats-Unis ou un établissement permanent aux Etats-Unis est de source américaine et que son imposition relève de l’article sur les cessions d’actifs d’établissement stable (voir en ce sens Rev. Ruling 91-32, 1991-1 CB 107, IRC Sec(s). 864) qui est alors imposable aux Etats-Unis, en application de l’article 7 de la convention entre les deux états.

Les praticiens savent néanmoins que la procédure de l’article 26 n’est pas rapide. Il est donc regrettable que les deux états ne se soient pas déjà entendus pour convenir d’une solution générale, évitant les situations de double imposition, conformément à l’objectif de la convention.

Ajoutons que l’exemple du traitement des prélèvements sociaux aux Etats-Unis montre que les deux états ne font pas toujours les efforts nécessaires pour simplifier la vie des contribuables qui relèvent des deux législations, françaises et américaines, du fait de leur résidence ou leur citoyenneté2.

3.2.      Une décision qui laisse des questions non résolues

Cette divergence d’interprétation entre la France et les Etats-Unis pourrait également avoir des répercussions sur le montant de la plus-value imposable en France et potentiellement générer de nouvelles doubles impositions.

En effet, sur la base de la jurisprudence Quemener (CE du 16 février 2000, 133296), l’imposition en France d’une plus-value de cession de parts d’une société translucide peut faire l’objet d’un retraitement fiscal en France, afin d’éviter une double imposition ou double exonération de revenus. Les résultats bénéficiaires ou déficitaires d’une société translucide étant considérés comme directement appréhendés par son associé même en l’absence d’une distribution effective, la valeur de la société translucide cédée peut inclure des revenus déjà imposés ou des déficits déjà imputés entre les mains de l’associé et qui, sans retraitement fiscal adéquat, se retrouveraient imposés ou exonérés une seconde fois dans le cadre de l’imposition de la plus- value de cession des titres.

Or, dans l’hypothèse de la cession de titres d’un partnership ayant une activité commerciale aux Etats-Unis, les revenus perçus par le partnership sont, en vertu de l’article 7 de la convention, uniquement imposables aux Etats-Unis. En l’absence de distribution effective de ces bénéfices à son associé, une partie de la valeur du partnership au moment de la cession inclut donc des revenus déjà soumis à imposition aux Etats-Unis. Dans ce cadre-là, le contribuable peut-il alors se prévaloir du mécanisme issu de la jurisprudence Quemener et diminuer le montant de la plus-imposable en France des bénéfices déjà imposés aux Etats-Unis ? Une telle position nous semble légitime mais la jurisprudence ne s’est, à notre connaissance, jamais prononcé sur cette question. 

Ajoutons une autre épineuse question, celle de l’éventuel crédit d’impôt applicable en France si le contribuable cédant possède la nationalité américaine. En effet, la convention précitée prévoit le mécanisme spécifique suivant lorsque le contribuable relève de l’impôt fédéral américain du fait de sa nationalité :

« lorsque le bénéficiaire des revenus est une personne physique qui est à la fois un résident de France et un citoyen des Etats- Unis, le crédit d’impôt prévu au i du a (NDLA : le crédit d’impôt égal à l’impôt français) est aussi accordé pour (i) les revenus qui consistent en dividendes payés par une société qui est un résident des Etats-Unis (…) et qui sont payés par (…) une société qui est un résident des Etats-Unis3 (…) et (ii) les gains en capital provenant de l’aliénation de biens générant les revenus visés au i (NDLA : des dividendes). » La question de savoir si le terme société (« company » dans la version anglaise) vise un partnership ou une société traitée fiscalement comme un partnership (une « s-corporation » par exemple) est incertaine même si il semblerait juste et conforme à l’esprit de la convention que ce soit le cas. 

Jean Barrouillet, Avocat au barreau de Paris, et Jérôme Assouline, Avocat aux barreaux de Paris et de New York, Sekri Valentin Zerrouk

_________________________

*CE 9ème et 10ème ch. 2 février 2022, n°443154

1. On sait que la fiscalité américaine permet aux entités de déterminer leur régime d’imposition avec une grande liberté (check the box election).

2. L’Internal Revenue Service a longtemps soutenu que les prélèvements sociaux français (CSG, CRDS et prélèvement social) n’ouvraient pas droit à un crédit d’impôt aux Etats-Unis, ne revenant sur sa position qu’en juin 2019.

3. Avec des conditions liées au pourcentage de détention. Article 24.1.b de la convention.


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