Le phénomène du "copyright trolling" ou lorsque les agences de presse exercent des recours abusifs pour protéger leurs droits d'auteur

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Les agences de presse les plus prestigieuses s'attachent les services de sociétés utilisant l'intelligence artificielle pour protéger leurs droits d'auteur. Partant, elles participent au phénomène dit de « copyright trolling » qui consiste à harceler les internautes pour leur réclamer des indemnités souvent de manière abusive. 

Des agences de presse (Agence-France-Presse, Reuters, Associated Press …) mettent en demeure les internautes qui utilisent des photographies prises par leurs journalistes de leur payer des indemnités au nom du droit d'auteur.

Elles mandatent pour cela des sociétés, telles que la société suisse Picrights ou belge comme Permission machine, qui avec l'aide de l'intelligence artificielle balayent internet et repèrent les utilisateurs des photographies de ces agences. 

Les entreprises qui réutilisent des images trouvées sur le web pour illustrer leur site sont alors victime de menaces de poursuite judiciaire pour contrefaçon de droit d'auteur. 

Des milliers de mises en demeure sont ainsi adressées chaque jour sous une forme automatisée à des petites et moyennes entreprises contraintes de payer des indemnités à ces agences pour avoir usé librement de ces photographies accessibles aisément sur les moteurs de recherche.

Une photographie est originale si elle reflète la personnalité de son créateur 

Pourtant, sous couvert de justice, la plupart des demandes d'indemnisation financière sont abusives. En effet, seules les photographies « originales » bénéficient de la protection du droit d'auteur. Or, pour être « originale » une photographie doit faire apparaître des choix esthétiques révélant l'empreinte du photographe. 

C'est ainsi que les tribunaux déboutent les agences de presse de leurs actions judiciaires lorsque la photographie litigieuse porte sur des prises de vue d'un évènement public, tel un match de football ou un festival de cinéma, le photographe n'ayant pas eu le choix du moment de la photographie, de l'angle de la prise de vue, du cadrage ou encore de la lumière du soleil qui lui ont été imposée par le contexte.

Le photographe ne maitrisant pas les contrastes, la lumière ou les physionomies ne peut revendiquer la protection du droit d'auteur. 

Il a ainsi été décidé par les tribunaux qu'un cliché instantané représentant une personnalité qui ne posait pas devant l'objectif ne révèle aucun apport créatif particulier de nature à justifier la protection du droit d'auteur. Cette interprétation s'applique également aux photographies prises « en rafales » avec un appareil numérique, nécessitant très peu d'intervention humaine pour obtenir un grand nombre de photographies. 

Des milliers de mises en demeure envoyées abusivement 

Des internautes récipiendaire de ces mises en demeure s'interrogent alors sur la légitimité de demandes et leur obligation véritable de payer des indemnités aux agence de presse. De surcroit, alors que ces photographies étaient librement disponibles sur les moteurs de recherche et que rien ne permettait de connaître leur origine.  

Les sociétés d'intelligence artificielle outre leurs technologies sont également chargées du recouvrement et multiplient les menaces à l'encontre de l'internaute jusqu'à ce qu'il cède. S'il demeure récalcitrant des avocats prennent le relai. 

Cette technique de réclamation d'indemnités pour usage sans licence de droit d'auteur est dénommée dans les pays anglo-saxon sous le vocable de « copyright trolling ». Elle vise ces entreprises dont le modèle d'affaire consiste à être mandaté pour des titulaires de droit d'auteurs et à attaquer en justice - ou menacer de le faire - les entreprises ou personnes potentiellement contrefactrices en vue de leur réclamer des indemnités souvent au-delà de ce qu'ils auraient dû payer s'ils avaient payé valablement une licence d'utilisation. 

Un modèle d'affaire "prédateur" reposant sur l'instrumentalisation de la propriété intellectuelle 

La Cour de justice de l'Union européenne chargé d'interpréter le droit européen dans un arrêt du 21 juin 2021 s'est prononcée sur la légalité de ce comportement ().

Le jugeant légal d'un point de vue littéral « il revient cependant à exploiter non pas les droits économiques d'auteur, mais les atteintes à ces droits, en créant ainsi une source de revenus fondée sur la violation du droit. Le droit d'auteur est ainsi détourné de ses objectifs et utilisé, voire abusé, à des fins qui lui sont étrangères ». Pour l'Avocat général de la Cour de la Haye M. MACIEJ SZPUNAR, ce système constitue un abus de droit qu'il revient aux juridictions de chaque État de sanctionner.

Ce phénomène de mise en demeure systématique pour revendiquer un droit de propriété intellectuelle a émergé aux États-Unis au début des années 2000 avec les « patent trolls » après l'éclatement de la bulle internet. Les faillites de nombreuses start-up du secteur informatique ont permis des opportunités d'acquisition de brevets à bas prix et/ou sans valeur pour les grandes entreprises du secteur. La réglementation américaine étant très favorable aux détenteurs de brevets à l'instar des titulaires de droit d'auteur en France aujourd'hui, plusieurs entreprises - ou individus - ont perçu les bénéfices potentiels d'une approche prédatrice en acquérant ces titres de propriété et en multipliant les menaces à l'égard de contrefacteurs potentiels. 

En France, un groupe Facebook intitulé « Litiges avec Picrights / AFP / Cabinet Reynal-Perret » du nom du cabinet d'avocat en charge de relancer les débiteurs récalcitrants, rassemblent les victimes de ce procédé. Les membres s'alarment d'une méthode qui ne fait aucun discernement.

Ici une association d'ancien combattant, là un architecte ou encore un courtier d'assurance sont soumis à des demandes indemnitaires dont les montant peut aller jusqu'à 25.000 euros. 

Une opacité complète sur les méthodes de calculs interdit aux débiteurs « supposés » de contester les sommes réclamées. Concrètement, l'importance de la navigation sur le site, la taille de la photographie mise en ligne devraient être des critères décisifs pour évaluer le préjudice nécessairement mineur pour des sociétés qui ne sont en rien des concurrents des agences de presse. 

Des remises sont toutefois acceptées par les avocats de ces agences qui n'hésitent pas à abaisser jusqu'à 50% la somme initialement réclamée, donnant la mesure d'une méthode visant l'obtention de gain plutôt que de restauration d'un droit.

L'intelligence artificielle est ainsi mise au profit d'Institutions qui abusent de leur prestige pour réclamer des indemnités indues en instrumentalisent le code de la propriété intellectuelle suffisamment flou pour encourager ces agissements. 

Alexandre Lazarègue, Avocat au barreau de Paris


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