Le Temps de travail des Cadres : Faut-il déclarer forfait ?

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Emmanuelle Sapène et Romain Aupoix, Avocats, Péchenard et AssociésEmmanuelle Sapène et Romain Aupoix, avocats au cabinet Péchenard et Associés sont les auteurs de la chronique de droit social suivante, relative à la gestion de la durée du travail des cadres.

Plusieurs arrêts rendus par la Cour de cassation au cours de ces derniers mois devraient bouleverser les habitudes prises en matière de gestion de la durée du travail des cadres.

La Cour de cassation vient en effet d'encadrer plus strictement les conditions de recours aux conventions de forfaits en jours et apporte des précisions importantes sur la notion de cadre dirigeant. Décryptages...

Le recours aux forfaits jours : un recours encadré

Pour les cadres autonomes qui ne peuvent suivre l'horaire collectif de travail applicable au sein de l'entreprise ou de leur service sans pour autant avoir la qualité de cadres dirigeants, le législateur a prévu la possibilité de conclure des conventions de forfait annuel en heures ou en jours.

Le Code du travail prévoit que le recours à ces conventions de forfait, qui sont nécessairement écrites et qui requièrent l'accord du salarié concerné, doit être prévu par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou à défaut, par une convention ou un accord de branche.

La Cour de cassation vient toutefois de préciser que l'accord instituant ce forfait doit présenter des caractéristiques précises et que ses stipulations doivent être scrupuleusement respectées, sous peine de lourdes sanctions. Les informations figurant au contrat de travail doivent elles-mêmes répondre à certaines exigences.

  • Les exigences se rapportant à l'accord instituant le forfait

Selon la Cour de cassation, tout accord collectif prévoyant l'existence de forfaits en jours ne permet pas d'y avoir recours.

Par un arrêt en date du 31 janvier 2012 (Soc. 31 janvier 2012 n° 10-19807), la Cour de cassation précise en effet que les stipulations de l'accord doivent être de nature à assurer la sécurité et la santé du salarié, notamment en garantissant le respect des durées maximales de travail ainsi que des repos journaliers et hebdomadaires.

Dans cette affaire, il a été jugé que les dispositions de la convention collective des industries chimiques (accord cadre du 8 février 1999), comme celles de l'accord d'entreprise qui avait été négocié sur ce sujet, ne respectaient pas ces exigences.

Ainsi, la convention individuelle de forfait conclue avec le salarié a été jugée comme « privée d'effet », ce qui autorisait ce salarié, désormais soumis au droit commun de la durée du travail, à solliciter le paiement d'heures supplémentaires.

L'accord applicable au sein du secteur des industries chimiques, s'il définit les catégories de cadres pouvant bénéficier d'un forfait jours, se contente en effet de préciser qu'un entretien annuel d'activité doit être organisé entre le salarié et sa hiérarchie et renvoie à la convention individuelle de forfait le soin de préciser les modalités de mise en œuvre et de contrôle du forfait. Pour la Cour de cassation, de telles garanties sont insuffisantes.

En revanche, la Cour de cassation a déjà été amenée à juger dans un précédent arrêt en date du 29 juin 2011 (Soc. 29 juin 2011 n° 09-71107) que la convention collective de la métallurgie, en imposant un contrôle du nombre de jours travaillés et des journées de repos, l'établissement par l'employeur d'un document de contrôle précisément défini et la mise en place d'un entretien annuel avec le salarié, respecte ces exigences.

Compte tenu de ces récentes décisions, il apparaît désormais nécessaire, préalablement à la mise en place d'un forfait jours et en dépit des difficultés d'appréciation que cela peut impliquer, de vérifier que l'accord qui institue ce forfait met en place des garanties suffisantes pour préserver la santé et la sécurité du salarié concerné.

Si l'accord de branche applicable au sein de l'entreprise ne respecte pas ces conditions, l'accord d'entreprise ou d'établissement négocié sur ce sujet devra lui-même instaurer de telles garanties.

En l'absence d'accord conforme, il convient de renégocier cet accord au sein de l'entreprise. A défaut, la convention individuelle de forfait conclue, qui ne pourra elle-même suppléer à ces carences, sera dépourvue d'effet, avec toutes les conséquences qui en découlent.

  • Le nécessaire respect des garanties prévues par l'accord

Dans un second temps, il est indispensable de respecter les garanties prévues par l'accord instituant le forfait.

Initialement, la Cour de cassation avait jugé que le non respect par l'employeur de ses obligations (absence de mise en place des procédures de contrôle prévues, absence de tenue des entretiens permettant d'évaluer la charge de travail de son salarié etc..), n'avait pas pour effet de remettre en cause la validité de la convention de forfait mais ouvrait droit au salarié à des dommages et intérêts en réparation de son préjudice (Soc. 13 janvier 2010 n° 08-43201).

Mais la Cour de cassation a depuis modifié sa position et affirme désormais qu'en cas de non respect par l'employeur de ses obligations, la convention de forfait sera, là encore, privée d'effet (Soc. 29 juin 2011 n° 09-71107).

  • Les précisions à apporter dans le contrat de travail

Enfin, il est indispensable que la convention individuelle de forfait figure de façon expresse dans le contrat du travail du salarié ou fasse l'objet d'un avenant spécifique.

En l'absence de convention écrite, l'employeur ne pourra se prévaloir du forfait, même s'il existe par voie d'accord collectif, et pourra être condamné au paiement des heures supplémentaires effectuées par le salarié voire à une indemnité pour travail dissimulé (Soc. 28 février 2012 n° 10-27839).

De même, il a été précisé que le contrat de travail du salarié ne pouvait se contenter d'opérer un simple renvoi à l'accord collectif instituant ce forfait (Soc. 31 janvier 2012 n° 10-17593).

Le contrat de travail doit ainsi préciser, à minima, quel type de forfait est mis en place et le nombre de jours travaillés par le salarié (Soc. 1er décembre 2009 n° 07-44010). A défaut, là encore, il ne sera pas possible de se prévaloir de ce forfait.

La notion de Cadre dirigeant : une notion contrôlée

Les cadres dirigeants bénéficient d'un statut dérogatoire en vertu duquel les dispositions sur durée du travail ne leur sont pas applicables.

Ces cadres, qui représentent nécessairement une catégorie restreinte de salariés au sein de l'entreprise, sont définis à l'article L. 3111-2 du Code du travail comme ceux auxquels sont confiés des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement.

Les critères posés par ce texte sont cumulatifs et sont appréciés au regard des fonctions réellement exercées par le salarié.

Par son arrêt en date du 31 janvier 2012, la Cour de cassation a rappelé que compte tenu des critères posés, la participation de ce cadre à la direction de l'entreprise est un élément déterminant (Soc. 31 janvier 2012 n° 10-24412).

Ainsi, quels que soient l'autonomie du salarié, son niveau de responsabilité ou son niveau de rémunération, un cadre qui ne participe pas à la direction de la société ne saurait se voir appliquer le statut de cadre dirigeant.

Tel est le cas, par exemple, de la salariée en charge de la « collection homme » d'une société de prêt-à-porter qui n'était pas associée à la direction de la société et ne pouvait en conséquence se voir opposer le statut de cadre dirigeant inscrit dans son contrat de travail. Sa demande de rappels d'heures supplémentaires est dès lors jugée recevable.

En conclusion, la rigueur des décisions qui viennent d'être rendues appellent à une grande vigilance et à l'exercice d'un contrôle renforcé sur les modalités d'aménagement du temps de travail des cadres en vigueur au sein de l'entreprise.

Emmanuelle Sapène et Romain Aupoix, avocats au cabinet Péchenard et Associés


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