Pierre Warin sur le dispositif dérogatoire de l’activité partielle : « La contrepartie de sa rapidité d’accès et son assouplissement est le contrôle a posteriori »

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Pierre Warin, associé fondateur du cabinet Melville Avocats, commente le renforcement des contrôles des entreprises bénéficiaires du dispositif dérogatoire d’activité partielle.

Quelles sont les obligations dont le manquement a pu conduire les employeurs à commettre des erreurs ou des fraudes ?

Sur la demande d'autorisation, le ministère du travail avait publié un organigramme pour expliquer dans quels cas on peut avoir droit au dispositif dérogatoire d'activité partielle. Pour être éligible, il faut soit être dans une activité faisant l'objet d'une fermeture administrative, soit démontrer que les salariés concernés ne peuvent pas être en télétravail, qu'il n'est pas possible de télétravailler, ni de respecter sur site les règles de précautions sanitaires et/ou que l'épidémie a une incidence défavorable significative sur l'activité. L’administration a eu l’occasion de préciser qu'il ne fallait pas se fonder sur une simple crainte de réduction d’activité mais sur une baisse effective de l’activité à date ou a minima du carnet des commandes pour la période à venir, du fait d'annulations ou de reports.
 
Concernant les salariés, ils doivent évidemment être aux effectifs de l’entreprise et l'activité partielle doit s'appliquer de manière homogène au sein d'une unité organisationnelle objective (entreprise, établissement, service ou atelier), la répartition ne pouvant se faire individuellement, « à la tête du client » ou en fonction d’une appréciation subjective des qualités professionnelles de chacun. Par exception, le régime peut être individualisé pour des raisons objectives et en cas d'avis favorable du comité social et économique (CSE).
 
Concernant la déclaration du nombre d'heures, ne peuvent être déclarées qu'un certain nombre d'heures, initialement dans la limite de la durée légale du travail ou d'une durée conventionnelle ou contractuelle inférieure. Dans un premier temps, aucune heure supplémentaire ne devait rentrer dans le champ des heures déclarées en activité partielle, puis une évolution ultérieure est venue préciser en cours de route que lorsque ces heures supplémentaires étaient structurelles, c'est à dire qu'elles étaient prévues par un accord collectif, de branche d'entreprise ou le contrat de travail avant la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2020-460 du 22 avril 2020, elles pouvaient être prises en compte.
 
Au sujet de la base de calcul, l'activité partielle est cadrée par deux bornes, sauf exceptions tenant notamment aux contrats d'apprentissage. Le taux horaire ne peut être inférieur à 8,03 euros de l'heure en termes de versement de l'allocation et d'indemnisation du salarié, et le plafond maximum de remboursement fixé par l’État est de 70% de 4,5 fois le SMIC horaire.
 
Enfin, la dernière obligation pouvant entraîner des erreurs ou fraudes est celle du versement des rémunérations aux salariés. Le dispositif comprend deux flux financiers, l'employeur doit payer les salariés en activité partielle à hauteur d'un certain montant, puis il obtient le remboursement par l’Agence de Services de Paiement (ASP), de l’intégralité ou d'une partie, suivant les cas, de ce qu'il a versé au salarié, lorsque l'employeur en fait la demande a posteriori.

Ces contrôles sont finalement assez factuels, donc une question de preuve, cela pourrait défavoriser les PME ? 

Les grandes entreprises devraient être moins concernées par le risque d'erreur et de fraude d'abord car elles ont plus de personnel en interne pour gérer les ressources humaines et la paie, plus de budget pour être accompagnées par des cabinets d’avocats ou de comptables, et elles disposent de contre-pouvoirs plus importants avec des organisations syndicales et des représentants du personnel en plus grand nombre.
 
Cependant, une des principales difficultés qui se pose aux entreprises de toutes tailles est celle de suivre le temps de travail effectif de ses salariés en activité partielle « réduite » et, télétravail le reste du temps. S’il apparaît que des salariés ont été amenés à télétravailler en-dehors des plages horaires qui auraient dû être chômées au titre de l’activité partielle, une des questions principales sera de déterminer si ce travail potentiellement illégal a été réalisé à la demande de l'entreprise ou à l’initiative du salarié, dans le cadre de la flexibilité que peut par ailleurs offrir en pratique le télétravail. Dès lors que l’employeur était à l’origine de ces heures travaillées ou ne pouvait les ignorer, la fraude pourrait être caractérisée.
 
Une autre difficulté réside dans la nécessité d'homogénéiser l'activité partielle entre les salariés d’une même unité organisationnelle, sauf avis conforme du CSE, ce qui est compliqué à appliquer dans les faits dans le secteur des services, car des contraintes opérationnelles d’affectation de salariés sur des dossiers ou comptes clients spécifiques entrent en compte. Cette question n'est pas soulevée dans le plan de contrôle : Simple oubli ou volonté de tolérance de l'administration à cet égard ? Bien que l’Administration soit muette concernant le cas des entreprises qui n'ont pas de CSE, il est permis de penser qu’en cas de carence valable, elle devront démontrer que l'individualisation de l'activité s'est faite en fonction d'éléments pertinents et objectifs au regard des contraintes d’exploitation..

Le gouvernement invite les salariés à signaler la fraude. Comment cela pourra se faire en pratique ?

Ces signalements volontaires pourront se faire principalement auprès de la DIRECCTE ou de l'Inspection du travail. Ils peuvent être transmis notamment par les salariés, les organisations syndicales ou les instances représentatives du personnel.
L'administration va aussi procéder à des requêtes et croisements de données pour essayer de cibler les entreprises dont les demandes comportent des anomalies manifestes.
 

Propos recueillis par Anne Claire Della Porta

 


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