Matthieu Toret : « L’efficacité de la fiscalité écologique dans la lutte contre le réchauffement climatique a été démontrée »

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A l'occasion de la cinquième phase de la Convention citoyenne pour le climat, réunissant 150 citoyens tirés au sort, nous avons interrogé l'avocat Matthieu Toret, spécialiste de fiscalité écologique et environnementale. Il nous livre son expertise en revenant notamment sur les mesures préconisées par la Convention en matière de fiscalité.

La Conventionne citoyenne pour le climat s'est réunie à nouveau les 7, 8 et 9 février derniers dans le but de confronter les propositions qu'ils ont formulées aux décideurs publics. Parmi elles, on retrouve notamment les deux mesures suivantes :

  • faire varier le taux de TVA applicable en fonction de la distance séparant le lieu de production du lieu de vente d’une marchandise,
  • créer une taxe sur les poids lourds étrangers dont les recettes pourraient financer le développement du transport ferroviaire

A cette occasion et pour obtenir un éclairage sur ces deux recommandations, Le Monde du Droit a rencontré Matthieu Toret, avocat spécialisé en fiscalité écologie et environnementale. 

Ces deux mesures proposées par la Convention citoyenne pour le climat en matière de fiscalité écologique sont-elles juridiquement possibles ?

Il serait bien sûr prématuré de trancher cette question, dès lors que les propositions des citoyens évolueront encore. Pourtant, la réponse à cette question sera essentielle, dans la mesure où le Président de la République a indiqué que « Ce qui sortira de cette convention, je m’y engage sera soumis sans filtre, soit aux votes du Parlement, soit à référendum, soit à application réglementaire direct ».

Ce qui est certain, c’est que les mesures qui émergeront de cet exercice démocratique inhabituel devront s’insérer dans le paysage juridique existant, donc être conformes aux règles constitutionnelles et au droit européen, dont le Conseil constitutionnel et les institutions européennes sont les garants.

Justement, le droit européen ne s'oppose-t-il pas à ces projets de taxe en vertu du principe de libre-circulation des marchandises ? Notamment la seconde proposition qui pourrait concerner les véhicules étrangers européens.

En l’état, la proposition d’instaurer une taxe kilométrique qui ne concernerait que les poids lourds étrangers heurterait directement une directive européenne de 1999 consacrée à la taxation des poids lourds. Laquelle interdit les discriminations en raison de la nationalité du transporteur, de son lieu d’établissement, ou encore de l’immatriculation du véhicule.

Il s’agit effectivement de garantir l’application du principe de libre circulation des marchandises, formellement consacré par le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Les 150 citoyens, avec l’aide des juristes de la Convention, devront donc revoir cette proposition.  

Puisqu'il est question d'un taux de TVA changeant, ne pourrait-on pas imaginer un taux de TVA variable pour les entreprises françaises en fonction de leurs externalités environnementales (que ce soit en matière de pollution ou de consommation énergétique) ? Cela suivrait le principe du "pollueur-payeur" et pourrait inciter les entreprises à réduire leurs externalités. 

Actuellement, la réglementation ne le permet pas.

Le régime TVA est encadré par une directive de 2006 qui n’autorise qu’un nombre restreint de taux réduits applicables à une liste limitative de biens. En d’autres termes, un produit ne peut, actuellement, se voir appliquer qu’un seul taux de TVA.

La proposition de la Convention imposerait donc à la France d’entamer des négociations avec la Commission européenne pour modifier cette directive, ce qui peut durer plusieurs années…

Toutefois, il est important de relever que les externalités négatives des entreprises françaises sont déjà prises en compte, via la taxe générale sur les activité polluantes (TGAP) et le système d’échange de quotas d’émissions de dioxyde de carbone. Ces deux dispositifs comportent cependant d’importantes limites, puisque d’une part, ils ne concernent que certaines activités (l’industrie lourde principalement) et d’autre part, les marchandises fabriquées en dehors de l’Union européenne y échappent.

Sur ce dernier point, on peut tout de même relever que la Commission européenne a récemment évoqué la création d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Europe visant à taxer les marchandises importées en fonction des émissions polluantes.

Plus généralement, pensez-vous que la fiscalité puisse être un levier majeur pour lutter contre le réchauffement climatique ?

L’efficacité de la fiscalité écologique dans la lutte contre le réchauffement climatique a été démontrée dans plusieurs rapports.

En revanche, cette partie de la fiscalité est politiquement explosive comme l’on démontré les mouvements des « bonnets rouges », mais surtout celui des « gilets jaunes » (déclenchés suite à la hausse de la taxe sur les carburants).

A mon sens, il est nécessaire que la fiscalité écologique avance sur deux jambes : qu’elle ne soit pas uniquement punitive mais également incitative, et que les recettes qu’elle génèrent soient affectées à des projets environnementaux.

L’exemple type est le bonus-malus automobile consistant à pénaliser d’un malus l’achat d’un véhicule dont les émissions de CO2 par kilomètre parcouru excèdent un certain seuil et à favoriser d’un bonus l’achat d’un véhicule plus sobre en CO2.

Propos recueillis par Raphaël Lichten


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