Le temps des juristes est revenu

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Marc Mossé, Directeur des affaires juridiques et publiques, Microsoft FranceAprès avoir exercé comme avocat, étant ancien Secrétaire de la Conférence des Avocats au Conseil d’Etat, et avoir été collaborateur parlementaire de Robert Badinter, Marc Mossé est entré en entreprise et est devenu en 2006 Directeur des affaires juridiques et publiques de Microsoft France et membre du Comité de Direction.

Marc Mossé, décrivez-nous le département juridique dont vous êtes à la tête.

Notre département traite l’ensemble des questions juridiques liées à la vie de l’entreprise mais aussi veille à son environnement institutionnel et réglementaire tout comme à sa responsabilité sociétale.
Le département est composé de 10 juristes et responsables affaires publiques, toutes et tous de grand talent.

Pouvez-vous nous expliquer la relation entre la fonction de juriste et celle des affaires publiques ?

Je préfère le terme affaires publiques à celui de lobbyiste, trop connoté à force de fantasmes sur l’intérêt général comme une vérité révélée. Ce sont en réalité deux faces d’un même métier : participer à l’élaboration du droit et l’appliquer. Le concevoir et le faire vivre. Il sera de plus en plus vain de distinguer ces différentes fonctions. Par une vision à 360° des questions posées à l’opérateur économique, le Juriste 3.0 participe à la stratégie de l’entreprise.
Un projet de loi peut menacer un modèle économique, une crise sectorielle, sanitaire par exemple, peut peser sur un cadre juridique, un contentieux en cours ou à imaginer peut influer un règlement en gestation. En anticipant on se différencie souvent. Un exemple me vient à l’esprit. Pour être les premiers à introduire les clauses contractuelles types de l’UE dans nos contrats de Cloud pour entreprise, nous avons réalisé à la fois un travail de perspective très en amont sur la place que la privacy allait occuper – des années avant l’affaire Snowden -, puis un exercice juridique classique d’insertion dans les contrats et enfin un dialogue intense avec les régulateurs européens du Groupe de l’Article 29. Juristes et affaires publiques ont travaillé ensemble, évitant les effets de silo.

La fonction de juriste peut-elle être plus largement reconnue grâce aux affaires publiques ?

Oui ! Un peu comme le Tiers Etat de Sieyès, il aspire à devenir plus qu’il n’est aujourd’hui. Il est business partner, gardien et facilitateur, notamment en sachant identifier les « sales drivers » de son secteur d’activité. Il doit éviter ou réduire les deal blocker aussi bien contractuels que réglementaires ou politiques. Gestion du risque, anticipation des challenges et des opportunités, diffusion d’une conscience aigüe de la compliance, il est au coeur de la diffusion d’une culture d’entreprise agile.
C’est aussi pour les équipes une formidable opportunité de regards croisés et d’expériences complémentaires.
Dès lors, en termes de management, de développement individuel et collectif, cela ouvre à chacun des perspectives d’évolutions continues de carrières en épousant des métiers différents autour du droit. Notre profession en bénéficiera en attirant toujours plus de talents curieux et ouverts sur le monde.

Peut-on dire que l’expertise du juriste est aujourd’hui de plus en plus sollicitée par les pouvoirs publics ?

Oui, le temps des juristes est revenu… Les pouvoirs publics sont confrontés à des questions nouvelles et éprouvent le besoin d’expertises extérieures y compris porteuses de regards internationaux.
C’est particulièrement vrai pour celles posées par les innovations de tous ordres. Dans notre secteur, par exemple, chaque jour se posent des questions nouvelles liées à la privacy, à la sécurité, à la neutralité d’internet,à la liberté d’expression. Beaucoup de pages blanches sont à écrire. Parfois la loi est nécessaire. Encore faut-il la rendre intelligible pour être source de sécurité juridique. Parfois, les réponses peuvent venir de la soft Law en faisant vivre le tryptique complémentaire « régulation – corégulation – autorégulation ». Le juriste est bien placé pour penser les nouveaux besoins d’harmonie de nos sociétés dans un monde globalisé qui semble comprimer le rapport au temps. Il sait bâtir et rassurer.

En quoi le lobbying intégré à la fonction de la direction juridique est-il un allié du développement et de la compétitivité de l’entreprise ?

C’est un accélérateur des particules élémentaires du Droit. Le droit se construit dans un rapport quotidien à la société.
La compréhension des signaux forts et faibles est ici essentielle. Cela va de l’agenda politique en passant par l’actualité jurisprudentielle, des projets réglementaires à l’activité des associations de consommateurs ou des organisations professionnelles, et la veille des réseaux sociaux. Ici le juriste 3.0 joue un rôle clé.
Il va contribuer à expliquer, anticiper les sujets, parfois désamorcer les crises, structurer le cadre de nouveaux marchés, redéfinir d’anciens modèles économiques, etc. Plus que jamais il est un atout maître de l’entreprise. C’est tout aussi vrai dans la compétition internationale où le droit occupe une place essentielle.
Si le gouvernement voulait penser la grande profession du droit comme une force pour l’attractivité de notre pays et un levier pour sa compétitivité et l’exportation de ses outils intellectuels, peut-être oserait-il enfin l’action.

Un mot sur le fait que le directeur juridique devient un interlocuteur incontournable et influent pour la direction générale ?

Anticiper est clé dans le champ de la compétition internationale. Le juriste 3.0 est cet innovateur qui dégage des solutions techniques mais qui donne aussi le temps d’avance pour faire gagner l’équipe. Il est celui qui écoute attaché à la confidentialité. Il est aussi celui qui, par ses capteurs, comprend en amont certaines questions qui pourront devenir cruciales pour l’entreprise et participe ainsi à la définition des décisions stratégiques.


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