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Jean-Louis Clergerie, Professeur émérite des Universités en Droit public, fait le point sur les dispositions de l’art.44-3 et de l'article 49-3 de la Constitution.

Il est de bon ton chez un certain nombre de politiciens de droite comme de gauche, trop souvent relayés par des médias, soucieux d’abord et avant tout de faire de l’audience, de tenter d’accréditer la thèse selon laquelle l’utilisation de l’art.44-3 et surtout du 49-3 s’apparenterait à un « véritable coup de force », voire à un « coup d’Etat », ou pour le moins à une « pratique anti-démocratique ». Certains accusent même le gouvernement de « dégainer » le 49-3…La polémique est à son comble depuis que, le 16 mars 2023, Elisabeth Borne a malheureusement été contrainte par les oppositions d’y avoir recours une nouvelle fois.

Il me semble donc indispensable de rappeler ce que prévoient ces dispositions, dont le contenu est la plupart du temps ignoré ou mal interprété par nombre de leurs détracteurs !

Le "vote bloqué", moins fréquemment utilisé, est prévu par l'art.44-3 : "Si le Gouvernement le demande, l'assemblée saisie se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement".

La mise en jeu de la responsabilité du gouvernement prévue par l'art.49-3 permet au Premier Ministre d'engager son existence sur un texte qu'il ne parvient pas à faire adopter : « Le Premier ministre peut, après délibération du conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale sur le vote d'un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l'alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session".

Rien n’est donc plus légal que ces procédures :

  • Elles ont en effet expressément été prévues par la Constitution de la Vème République, adoptée par référendum, le 28 septembre 1958, qui plus est à une majorité écrasante (31 123 483 « oui » et seulement 6 556 073 « non ») ! Il s’agissait alors de mettre en place un « parlementarisme rationalisé », permettant à l’exécutif de gouverner efficacement, même en l’absence d’une majorité absolue au Parlement. Alors, que tous ceux qui réclament à corps et à cris l’organisation de consultations populaires pour tout projet de loi important essayent de s’en souvenir !
  • Le 49-3 aura ensuite été utilisé depuis 1959 par tous les gouvernements, dont aucun, qu’il soit de gauche, de droite ou du centre n’a d’ailleurs jamais souhaité la disparition. Michel Debré, le rédacteur de notre Constitution, avait été le premier à s’en servir pour permettre l’adoption de son budget (26 novembre 1959). Cet article aura en tout été actionné 100 fois. Certains en ont même abusé, comme Michel Rocard (mai 1988-mai 1991) : 28 fois, pour 13 textes différents ; d’autres au contraire comme Edouard Balladur, Dominique de Villepin et Édouard Philippe n’y ont eu recours qu’une seule fois ! L’actuelle Première ministre, Elisabeth Borne s’en est servi à onze reprises en matière budgétaire.
  • La France n’est d’ailleurs pas le seul pays européen à avoir prévu une telle procédure. Il existe en effet en Allemagne[1] et en Espagne[2] une « motion de défiance constructive », qui permet au Bundestag, comme au Congrès des députés, d'exprimer son manque de confiance envers le Chef du Gouvernement en le renversant, mais à condition d'en avoir préalablement choisi un nouveau à la majorité du Parlement[3].

Alors que ceux qui, par ignorance ou mauvaise foi, entendent donner des leçons de démocratie au gouvernement commencent par balayer devant leur porte. Ce sont en effet souvent les mêmes qui, à coup de milliers d’amendements parlementaires sans contenu réel, empêchent ou tentent d’empêcher les assemblées de discuter et de voter la loi, se rendant ainsi coupable d’un véritable déni de démocratie !

Jean-Louis Clergerie, Professeur émérite des Universités en Droit public

La France n’est d’ailleurs pas le seul pays européen à avoir prévu une telle procédure. Il existe en effet en Allemagne[4] et en Espagne[5] une « motion de défiance constructive », qui permet au Bundestag comme au Congrès des députés d'exprimer son manque de confiance envers le Chef du Gouvernement, à condition d'en choisir un nouveau à la majorité du parlement[6]

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[1] Cf. art.67 Loi Fondamentale pour la République fédérale allemande du 8 mai 1949.

[2] Cf. art 113 et 114 Constitution espagnole de 27 décembre 1978.

[3] La motion de censure constructive n'a jusqu’à maintenant été utilisée au niveau national que deux fois en Allemagne (27 octobre 1972 et 1er octobre 1982) et trois fois en Espagne (30 mai 1980 , 30 mars 1987 et 1er juin 2018).

[4] Cf. art.67 Loi Fondamentale pour la République fédérale allemande du 8 mai 1949.

[5] Cf. art 113 et 114 Constitution espagnole de 27 décembre 1978.

[6] La motion de censure constructive n'a jusqu’à maintenant été utilisée au niveau national que deux fois en Allemagne (27 octobre 1972 et 1er octobre 1982) et trois fois en Espagne (30 mai 1980, 30 mars 1987 et 1er juin 2018).


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