Covid-19 et pertes d’exploitation : la Cour de cassation a tranché en faveur de l’assureur

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Après des décisions divergentes de juridictions du fond, la position de la Cour de cassation était attendue dans les litiges opposant assureurs et professionnels dans le cadre de l’indemnisation des pertes d’exploitation liées à l’épidémie de Covid à la suite des interdictions pour les restaurants et débits de boissons d’accueillir du public dès mars 2020. Par quatre arrêts rendus le 1er décembre 2022 (21-19.343, 21-15.392, 21-19.341 et 21-19.342, publiés au bulletin), la Cour de cassation a donné une interprétation stricte d’une clause d’exclusion de garantie stipulée dans les contrats d’assurance « multirisque professionnelle » proposés par un grand assureur de la place et rejeté les prétentions de plusieurs assurés.

En l’espèce, les contrats d’assurance comportaient une garantie « pertes d’exploitation » consécutives à la fermeture de l’établissement assuré lorsque deux conditions étaient réunies : la décision de fermeture devait - avoir été prise par une autorité administrative compétente et extérieure à l’assuré et - être la conséquence d’une maladie contagieuse, d’un meurtre, d’un suicide, d’une épidémie ou d’une intoxication.

Cette garantie était assortie d’une exclusion invoquée par l’assureur lorsque les assurés ont fait valoir leur demande, selon laquelle la garantie ne pouvait pas être mise en œuvre, en raison de la clause excluant : « … les pertes d’exploitation, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l’objet, sur le même territoire départemental que celui de l’établissement assuré, d’une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique ».

Les professionnels ont alors assigné l’assureur pour voir écarter la clause d’exclusion. Le débat s’est orienté sur les dispositions de l’article L. 113-1 du Code des assurances permettant à l’assureur de se prévaloir d’une exclusion de garantie à condition qu’elle soit formelle et limitée.

Il appartenait donc à la Cour de cassation d’analyser le caractère formel et limité de la clause d’exclusion litigieuse.

La Cour rappelle qu’une clause d’exclusion n’est pas formelle lorsqu’elle ne se réfère pas à des critères précis et justifie une interprétation.

En l’espèce, les professionnels orientaient le débat sur les termes de « cause identique » visée à la clause qui excluait : « … les pertes d’exploitation, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l’objet, sur le même territoire départemental que celui de l’établissement assuré, d’une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique ». Pour les assurés, la « cause identique » renvoyait à la notion d’« épidémie » qui, selon eux, ne se référait pas à des critères précis et nécessitait donc interprétation.

Telle n’a pas été la position de la Cour de cassation, qui a jugé que la circonstance particulière de réalisation du risque privant l’assuré du bénéfice de la garantie, justifiant l’exclusion, n’était pas l’épidémie mais la situation dans laquelle, à la date de la fermeture, un autre établissement faisait l’objet d’une mesure de fermeture administrative pour une cause identique à l’une de celles énumérées par la clause d’extension de garantie, de sorte que l’ambiguïté alléguée du terme « épidémie » était sans incidence sur la compréhension, par l’assuré, des cas dans lesquels l’exclusion s’appliquait.

Dans ces conditions, la Cour de cassation a pu considérer que la clause d’exclusion litigieuse se référait à des critères précis, ne nécessitait d’interprétation et était donc formelle.

Il est d’ailleurs tout à fait remarquable que le terme « épidémie » n’apparaissait pas dans l’intitulé de la clause d’exclusion. Il semblait ainsi justifiable de ne pas interpréter un terme que la clause d’exclusion ne comportait pas.

En ce qui concerne le caractère limité, la Cour rappelle qu’une clause d’exclusion n’est pas limitée lorsqu’elle vide la garantie de sa substance et ne laisse subsister qu’une garantie dérisoire.

Pour les assurés, la clause aboutissait à l’absence de couverture du risque en cas d’épidémie. Ils invoquaient notamment le cas théorique d’un éventuel « cluster » de l’épidémie de Covid isolé et limité à un seul établissement dans un même département, hypothèse purement fictive. La clause d’exclusion viderait de sa substance la garantie souscrite par l’assuré et ne serait pas limitée.

La Cour de cassation n’a pas fait droit à une telle appréciation en soulignant que la garantie litigieuse était plus étendue que la seule garantie des risques de pertes d’exploitation consécutives à une épidémie puisqu’elle couvrait également les pertes liées à une fermeture administrative ordonnée à la suite d’une maladie contagieuse, d’un meurtre, d’un suicide, d’une épidémie ou d’une intoxication, de sorte que cette clause d’exclusion, qui laissait dans le champ de la garantie les pertes d’exploitation consécutives à une fermeture administrative liée à ces autres causes (que l’épidémie) n’avait pas pour effet de vider la garantie de sa substance.

La clause d’exclusion devait par conséquent être considérée comme limitée et devait trouver application.

Par ces arrêts, la Cour de cassation se montre favorable à une interprétation stricte des termes des polices d’assurance dans le cadre de l’indemnisation des clauses d’exclusion relatives à la perte d’exploitation.

Cette tendance présage-t-elle d’un mouvement général plus strict et plus favorable aux assureurs alors que la position de la Cour était attendue pour uniformiser la jurisprudence quelque peu disparate des juridictions du fond ?

À suivre lors des nombreux contentieux post-Covid que la Cour de cassation aura à juger à l’avenir quant au bénéfice de l’assurance étant rappelé que les arrêts du 1er décembre 2022 ont statué sur les conditions spécifiques de la police litigieuse dont la clause d’exclusion et au regard des moyens soulevés sur un pur plan du droit des assurances par les restaurateurs sur la validité de cette exclusion.

Face à cette tendance d’apprécier strictement les termes des clauses d’exclusion contenues dans les polices d’assurance, il est sage de s’en remettre au proverbe grec selon lequel « la prudence est le plus grand des biens[1] » et d’apprécier et de négocier ses polices d’assurance avec prudence et vigilance…

Emmanuelle Faivre, counsel au sein du cabinet Reed Smith Paris

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[1] Proverbe grec ; Les maximes de la Grèce antique (1855)


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