Dissolution sans liquidation ou fusion simplifiée, quel instrument de réorganisation privilégier ?

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Le contexte économique incite les groupes de sociétés à rationaliser leur organigramme par des restructurations impliquant la suppression de filiales. Dès lors qu’une filiale est détenue à 100 % par une société française ou étrangère, la fusion simplifiée peut être utilisée comme procédé de restructuration. Toutefois, la dissolution sans liquidation (transmission universelle de patrimoine ou “TUP”), procédé d’extinction de la filiale française, est aussi utilisée. La question se pose de savoir si la TUP est à privilégier à la fusion simplifiée en tant qu’instrument de réorganisation en droit en interne (1) et dans un contexte international (2).     

I - En droit interne

La TUP et la fusion simplifiée ont le même effet : la reprise par l'associé de l’intégralité du patrimoine de sa filiale. Toutefois, chaque opération est régie par un régime juridique propre.  La TUP bénéficie d’une procédure simple avec une déclaration unilatérale de dissolution de l’associé unique alors que la fusion simplifiée requiert l’accord des sociétés participantes dans un traité. 

En l’absence de liquidation en fusion et en TUP, les créanciers des sociétés sont privés du bénéfice de la séparation des patrimoines et mis en concours. Pour sauvegarder leurs droits, ils bénéficient d’un droit d’opposition de 30 jours. L’article L.236-14 al. 2 du Code de commerce prévoit la possibilité pour les créanciers des sociétés participantes de faire opposition à la fusion. En revanche, en TUP, l’article 1844-5 al. 3 du Code civil vise « les créanciers » sans distinction. Le fait que les garanties soient proposées uniquement par la « société » suppose que le droit d’opposition ne soit réservé qu’aux créanciers de la société dissoute. Cette analyse est retenue par la doctrine majoritaire. Le lieu de publication pourrait aussi être considéré. Les créanciers des sociétés absorbante et absorbée sont avertis de la fusion, celle-ci étant publiée dans le ressort de leur siège. En revanche, la TUP étant seulement publiée dans le ressort du siège de la société dissoute, seuls les créanciers ainsi avertis peuvent faire opposition à la TUP. Cette position est défavorable aux créanciers de la société mère qui pourraient être lésés si la société dissoute a des difficultés financières, la reprise du passif entraînant une diminution du patrimoine de la société mère. Les créanciers de la société mère seraient mis en concours avec ceux de la filiale. Le seul recours ouvert aux créanciers de la société mère serait l’action paulienne sous réserve que la TUP ait été réalisée en fraude de leurs droits.  

La maîtrise du calendrier des opérations suppose de prendre en compte le point de départ du délai de 30 jours qui est maîtrisé par les parties en TUP (publication dans un JAL) alors qu’il ne l’est pas en fusion en raison de la publication au Bodacc (sauf publication sur site internet). En revanche, l’opposition suspend la poursuite de la TUP dont la date de réalisation est incertaine. A contrario, l’opposition à la fusion n’a pas d’effet suspensif et n’influe donc pas sur le calendrier.

Sur le plan fiscal et comptable, contrairement à la fusion simplifiée qui permet une rétroactivité fiscale et comptable, la rétroactivité en TUP ne peut qu’être fiscale. 

La TUP ne requiert en outre pas d’état comptable intermédiaire de la société dissoute. En revanche, en fusion, un état comptable de moins de 3 mois est préparé si les derniers comptes annuels se rapportent à un exercice dont la clôture est antérieure de plus de 6 mois à la date du projet de fusion ou si la fusion est décidée avant que l’organe compétent n’ait arrêté les comptes annuels du dernier exercice clos.

La fusion simplifiée peut s’avérer plus avantageuse que la TUP si le patrimoine de la société dissoute se compose d’actifs immobiliers, la taxe de publicité foncière de 0,715% sur la valeur des immeubles étant exigible si des immeubles sont transmis en TUP. 

Le formalisme allégé de la TUP ne conduit donc pas toujours à la privilégier à la fusion simplifiée, l’appréciation des coûts et des délais restant essentielle.

II - Dans un contexte international

Il est également nécessaire de déterminer l’opération à privilégier pour le rapprochement de sociétés de nationalités différentes. 

La Directive 2005/56/CE (la “Directive”) prévoit le régime des fusions transfrontalières de sociétés situées dans l’Union Européenne. Cette Directive étant transposée en droit interne des Etats membres, ceux-ci pourront opérer une fusion transfrontalière normale ou simplifiée avec une société d’un autre Etat membre. Pour les sociétés situées dans des Etats hors UE, une fusion transfrontalière sera faisable si le droit étranger permet cette opération (l’absorption d’une société indienne par une société française est par exemple possible selon l’article 234 du Companies Act, 2013). La fusion s'opère dans chaque pays des sociétés participantes (notamment avec un traité manifestant leur accord de volonté, la prise de décisions de leurs associés et la rémunération par une émission de titres), à l’inverse de la TUP transfrontalière dont l’effet translatif ne s’opère qu’au regard du droit français. 

La TUP, qui résulte d’une déclaration de l’associé unique, n'a pas été prévue par le législateur européen et n’entre pas dans le champ d’application de la Directive. Si l’article 1844-5 du Code civil prévoit que la société dissoute soit une personne morale de droit français, il ne donne aucune indication sur la nationalité de l’associé. Ce texte est donc applicable aux filiales françaises détenues à 100 % par une société étrangère. 

Se pose alors la question de savoir comment le droit de la société étrangère va appréhender les effets de la TUP et recevoir le patrimoine de sa filiale. Certains pays reconnaissent le principe de la transmission universelle patrimoine hors du cadre de la Directive comme l’Allemagne (s’il n’y a plus qu’un seul associé dans un partnership allemand alors le patrimoine lui revient par succession universelle) et le Luxembourg (art. 1865 du Code civil luxembourgeois et 1100-1(2) de la Loi du 10 août 1915 concernant les sociétés luxembourgeoises). Il n’est toutefois pas nécessaire que le droit de la société mère comporte une disposition analogue à l’article 1844-5 du Code civil et donc reconnaisse un principe équivalent à celui de la TUP. Il faudra toutefois que la TUP ne contrevienne pas à l’ordre public étranger.  

Le droit français s’appliquera à la société dissoute. Le transfert de son patrimoine est donc régi par ce droit (règles de procédure, opposition des créanciers, dissolution et radiation). 

Ce n’est pas le principe même de la TUP qui est en cause mais les modalités de réception des actifs et passifs. La société mère devra s’assurer qu’elle puisse recevoir le patrimoine de sa filiale, en vertu de son droit étranger. Il conviendra de vérifier, au cas par cas, les modalités et formalités de transmission conformément au droit de la société mère. A ce titre, bien qu’il n’existe pas de dispositions relatives à la TUP au Royaume-Uni, un mécanisme par lequel l’associé signera un deed poll est prévu pour identifier et accepter le patrimoine de la filiale dissoute. Il conviendra aussi de vérifier la loi régissant l’actif ou le passif transmis. 

Sous réserve, du respect du droit (français) régissant le transfert du patrimoine et de celui régissant l'actif ou passif transmis, le droit régissant la société mère, sauf contradiction avec son ordre public, ne saurait donc, empêcher le transfert du patrimoine. L’associé étranger en signant la déclaration de dissolution sans liquidation consent d’ailleurs volontairement au transfert. 

En pratique, un audit du patrimoine de la filiale française devra être réalisé préalablement au transfert pour identifier sa composition et les conditions dans lesquelles le transfert pourra intervenir. Ainsi, pour les contrats la présence de clauses intuitu personae empêchant le transfert devra être vérifiée. 

Les créanciers de la filiale bénéficieront toujours du droit d’opposition de l’article 1844-5 du Code civil pour se prémunir de la mise en concurrence avec les créanciers de la société mère. La qualité de créancier doit également être considérée. Le risque de contestation d’un créancier tiers est plus important que celui d’un créancier intragroupe, notamment en présence d’une clause intuitu personae dans le contrat liant la filiale française avec un tiers comme une banque. Les conditions de changement de débiteur devront être vérifiées.

La rétroactivité fiscale est aussi un enjeu : l’administration fiscale française la reconnaît alors qu’il pourrait ne pas en être de même à l’étranger. 

Ainsi, la réalisation d’une fusion entre sociétés de l’UE est toujours possible tandis qu’il convient de faire une analyse au cas par cas en fusion transfrontalière impliquant une société hors UE. La fusion transfrontalière implique néanmoins un formalisme plus lourd que celui de la TUP transfrontalière. Le choix de cette dernière n’est toutefois pas automatique, une analyse du patrimoine de la société dissoute restant nécessaire pour déterminer sa faisabilité. 

Déborah Bismuth, avocat et Julie Roullet, avocat, PwC Société d'Avocats


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