Pour que le travail retrouve son sens

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Nicolas Bourgeois, expert en politiques sociales, et Alexandre Lamy, avocat en droit social, reviennent ici sur les enseignements de la première conférence du think-tank Néos, dédié aux enjeux du travail, dont ils sont les co-fondateurs. Cette conférence s’est tenue le 28 janvier dernier avec Elisabeth Borne, Ministre du Travail, Pascal Demurger, directeur général de la MAIF, Isabelle Garnier, DRH de Barilla, Jean-Baptiste Achard, co-fondateur de StaffMe et Thibaud Brière, philosophe.  

Nicolas Bourgeois, expert en politiques sociales, et Alexandre Lamy, avocat en droit social, reviennent ici sur les enseignements de la première conférence du think-tank Néos, dédié aux enjeux du travail, dont ils sont les co-fondateurs. Cette conférence s’est tenue le 28 janvier dernier avec Elisabeth Borne, Ministre du Travail, Pascal Demurger, directeur général de la MAIF, Isabelle Garnier, DRH de Barilla, Jean-Baptiste Achard, co-fondateur de StaffMe et Thibaud Brière, philosophe.  

La « valeur travail » occupe une place importante dans les propositions politiques actuelles. Elle reste néanmoins une notion fourre-tout, conduisant à une approche simpliste et mythifiée se résumant soit à « mettre enfin les gens au travail » soit à « partager davantage le travail ».

Il ne s’agit plus du travail pour soi ou pour la collectivité, mais du travail en soi. C’est cette interprétation de la valeur travail qui s’impose aujourd’hui dans le débat public. Et cela est préjudiciable à la qualité du débat et à la précision des propositions.

La valeur travail est une notion polysémique. Son sens premier est monétaire, en mettant en évidence la valeur du travail, le prix d’une contrepartie à un effort humain. Le deuxième sens correspond au travail comme outil de transformation du monde pour le faire à l’image de l’homme. La troisième valorisation du travail, comme outil de sécurisation, découle du fait que le salariat est aujourd’hui le principal support des droits et des protections. 

Le mélange de ces trois sens conduit sans doute à un quatrième, qui sacralise le travail comme source d’émancipation et de lien entre les individus. C’est ce sens qui a été mis en lumière lors de cette conférence.

Les mutations professionnelles à l’œuvre, accélérées par les transformations écologiques et numériques, redessinent les contours du travail. Elles sont porteuses de beaux défis et de grandes responsabilités pour l’entreprise et la puissance publique.

Pour les relever, « donner du sens au travail » est l’enjeu premier cité par les participants à cette conférence. A cette fin, aux côtés de la responsabilité sociétale collective de l’entreprise, en matière sociale et environnementale, sa responsabilité sociale individuelle, auprès de chaque salarié, est cruciale.

Cet impact individuel renvoie principalement à l’autonomisation des salariés et à la mise en place d’organisations horizontales et participatives. Il s’agit de générer la créativité du salarié, de son pouvoir d’action et de jugement, ce que confirme l’une des dernières études de la DARES (« Quand le travail perd son sens », août 2021). 

Pour ce faire, l’entreprise ne peut plus être un îlot de verticalité dans une société participative, où le quotidien de chacun est marqué par l’accès illimité aux informations et par des marges de manœuvre élevées dans les sphères personnelles.

Comme dans le champ politique, l’expression et la prise en compte des aspirations individuelles au sein de l’entreprise est essentielle. Le parallèle entre champ politique et vie de l’entreprise est évident : les crises d’expression et de considération – comme l’a été en partie celle des gilets jaunes – s’expriment aussi bien dans le fonctionnement démocratique qu’au cœur des relations de management, dans le sentiment de n’être ni représenté ni entendu. 

Le développement d’un management par la confiance, l’autonomie et la responsabilité est une pratique croissante dans les entreprises. Il était temps ! Rappelons que si le contrat de travail suppose par nature une subordination juridique, il n’implique en aucun cas de subordination psychologique.

La relation de travail d’aujourd’hui appelle des rapports équilibrés, sans postures hautes. Pourquoi, dans la forme de son interaction, le manager ne serait-il pas aussi respectueux de son collaborateur que de son propre responsable ? Il n’y a aucune raison pour qu’il y ait dissymétrie. Face à ce besoin de considération, la reconnaissance managériale du collaborateur par son manager est un levier puissant. Le reconnaître en tant que personne. Reconnaître ses efforts, ses progrès, ses résultats. Et le faire avec sincérité, en ayant intégré le caractère naturel de la pratique. 

Sur le terrain juridique, le dispositif de droit d'expression directe et collective des salariés né des Lois Auroux, méconnu ou ignoré, apparaît comme l’outil pertinent. Cantonné aux conditions de travail, ce dispositif mériterait d'être rénové pour lui donner un effet utile. Cet instrument de démocratie directe gagnerait en efficacité en s'inscrivant dans une dynamique de reconnaissance d'un pouvoir de choix et d'action du salarié, de nature à favoriser non seulement un resserrement du lien social au sein du groupe, mais encore une reconnaissance du salarié en tant que membre de ce groupe.

L’expérience montre que le développement de dispositifs participatifs, accroissant l'implication décisionnelle des salariés et développant leur autonomie, améliore la performance de l'entreprise. Ce gain de performance est d'ailleurs décuplé lorsque cette implication s'adosse à un dispositif de participation financière.

De plus, il est aujourd'hui acquis que la pertinence de l'organisation de l'entreprise repose sur son aptitude à développer des dispositifs inclusifs et de retours d’expérience. La mise en œuvre de tels dispositifs permet d'éviter les risques de dégradation des compétences et de diminution de l’engagement. Il pourrait constituer une base pour le déploiement d’outils de démocratie participative, permettant la reconnaissance des collectifs de salariés qui se créent en dehors des instances représentatives traditionnelles. En l’adossant à la négociation collective, en amont et en aval, il permettrait un réengagement des salariés, renforcerait alors la démocratie représentative en permettant un dialogue de proximité.

Nicolas Bourgeois et Alexandre Lamy


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