Adoption par l’Assemblée Nationale de la proposition de loi n°4555 visant à moderniser la lutte contre la contrefaçon

Décryptages
Outils
TAILLE DU TEXTE

Clément Monnet, avocat chez Norton Rose Fulbright LLP, propose un décryptage sur la proposition de loi visant à renforcer la contrefaçon adoptée à l’unanimité à l’Assemblée Nationale le 25 novembre.

Une étude conjointe de l’EUIPO et l’OCDE (« Trends in Trade in Counterfeit and Pirated Goods ») soulignait en 2018 que la France était l’une des principales victimes de la contrefaçon, en deuxième place après les Etats-Unis. Dans le même temps, le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) initiait des travaux de réflexion sur l’état et les moyens de lutte contre la contrefaçon. Les rapports produits dans ce cadre par la Cour des comptes et les députés Pierre-Yves Bournazel et Christophe Blanchet soulignent l’ampleur du phénomène, qui touche tous les secteurs et bénéficie également du développement du e-commerce. Ils insistent également sur les conséquences sanitaires, sécuritaires mais également financières de la contrefaçon, avec un manque à gagner pour les entreprises françaises évalué par la Cour des comptes à près de 8 milliards d’euros.

Ces constatations ont justifié l’élaboration d’une proposition de loi visant à moderniser la lutte contre la contrefaçon, adoptée par l’Assemblée Nationale le 25 novembre 2021. Le texte proposé ne reprend cependant qu’une partie des propositions des rapporteurs et a été allégé après échanges avec le Gouvernement et passage en commission des lois – notamment car la réflexion sur certaines mesures nécessiterait d’être plus aboutie. En l’état des travaux parlementaires, les dispositions de la proposition de loi prévoient de moderniser la lutte contre la contrefaçon au moyen (i) de la collecte d’information, (ii) du renforcement des moyens de constatation et de sanction des infractions ainsi que (iii) de l’implication des intermédiaires dans la lutte contre la contrefaçon en ligne.

Collecte d’information sur la contrefaçon

Certaines mesures envisagées par la proposition de loi telle qu’adoptée par l’Assemblée Nationale ont pour objet la collecte d’information afin de nourrir la réflexion sur la modernisation de la lutte contre la contrefaçon. L’article 1er de la proposition de loi prévoit ainsi un renforcement des missions de l’INPI qui serait chargée en sus de ses missions actuelles de la collecte de données utiles à la quantification de la contrefaçon et au recensement de l’action des administrations. Cette proposition fait suite au constat émis lors des rapports susmentionnés d’un « paysage institutionnel fragmenté » qui ne dispose pas d’informations suffisamment uniformisées et consolidées en la matière.

Un article 4 ter inséré par voie d’amendement prévoit également la réalisation d’un rapport sur la faisabilité de l’utilisation de la technologie de la blockchain dans la lutte contre la contrefaçon. Les députés évoquent à titre d’exemple la possibilité de traçabilité de produits auxquels serait attribué un identifiant unique. Certaines sociétés proposent déjà ce genre de service à des marques de luxe, afin que les clients puissent être assurés de l’authenticité de leurs produits, mais il s’agirait ici de mettre cette technologie au service des douanes.

Renforcement des moyens de constatation et sanction de la contrefaçon

La proposition de loi contient plusieurs articles visant à étendre les compétences des différents acteurs s’agissant de la constatation d’infractions en lien avec la contrefaçon.

Les articles 5 et 5 bis prévoient ainsi l’habilitation des policiers municipaux à la constatation des infractions d’acquisition et de vente de tabac à la sauvette. Respectivement prévues par les articles R. 664-3 et 446-1 du Code Pénal, ces infractions ne peuvent actuellement être constatées et verbalisées que par la police nationale. Les rapporteurs soulignent que cette extension des pouvoirs des policiers municipaux serait « un nouveau levier d’action » contre la vente de contrefaçons dans l’espace public et permettrait une « collaboration plus étroite avec les services de la police nationale ».

L’article 3 de la proposition de loi envisage également que les infractions au droit des marques puissent être constatées par des agents assermentés par le ministre chargé de la propriété intellectuelle, sur le modèle du dispositif prévu en matière d’infractions au droit d’auteur. L’objectif serait de faciliter et accélérer l’engagement d’actions par les titulaires de droits.

Enfin, le texte propose également en son article 2 l’instauration d’une amende forfaitaire pour le délit de détention de marchandises contrefaisantes sans motif légitime. L’action publique serait éteinte par le versement d’une somme de 200 euros, ce qui permettrait la verbalisation de ces infractions sans encombrer les tribunaux.

Implication des intermédiaires pour lutter contre la contrefaçon en ligne

La proposition de loi propose enfin aux articles 4 et 4 bis deux mesures visant à impliquer davantage les intermédiaires dans la lutte des titulaires de droits contre la vente de produit contrefaisants par le biais de sites de e-commerce ou des réseaux sociaux.

Une première mesure entend permettre aux titulaires de droits de demander au juge judiciaire « d’ordonner la suppression des noms de domaine ou des comptes de réseaux sociaux portant atteinte à la marque ou toute mesure propre à en empêcher l’accès ». Il est précisé que l’action pourra être engagée contre les propriétaires réels ou contre les intermédiaires techniques au sens des articles 6-I 1 et 2 de la Loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN). Selon les rapporteurs, le nouvel article L. 713-7 du CPI a été ainsi rédigé pour suppléer aux difficultés pratiques des titulaires de droit dans la mise en œuvre de l’article L. 716-4-6 du CPI qui ne permet pas au juge de prononcer de mesures de blocage lorsque l’auteur de la contrefaçon n’est pas connu. Cette difficulté avait déjà été contournée par une ordonnance du Tribunal judiciaire du 8 janvier 2020 reconnaissant la possibilité pour les titulaires de droits d’agir sur le fondement des articles 809 du Code de procédure civile (CPC) et 6-I-8 de la LCEN pour demander aux intermédiaires techniques le blocage d’accès aux sites contrefaisants. L’article 6-I-8 a cependant été modifié récemment par la loi confortant le respect des principes de la République et prévoit désormais que les mesures de blocages seront adoptées selon la procédure accélérée au fond.

Une seconde mesure souhaite mettre en place une procédure graduée sous le contrôle des agents des douanes, afin d’inciter les plateformes en ligne à être plus vigilantes à l’égard des délits douaniers commis au moyen de leurs services. La procédure est similaire à celle introduite en droit de la consommation et dont la DGCCRF a fait usage récemment pour demander le déréférencement du site Wish suite au constat de la vente de produits non conformes et dangereux pour les consommateurs. Suite au constat de la vente sur une plateforme en ligne de marchandises prohibées, les agents des douanes pourraient donc (i) en informer l’intermédiaire et recueillir observations, (ii) à défaut de réponse suffisante, mentionner cet intermédiaire sur une liste publique et (iii) si la commission d’infraction au moyen des services de l’intermédiaire persiste, demander le déréférencement de l’intermédiaire ou la suppression ou suspension de noms de domaines ou comptes de réseaux sociaux. Dès lors que la procédure vise spécifiquement les opérateurs de plateforme en ligne, l’amendement introduisant cette mesure précise qu’elle est susceptible d’être adaptée suite à l’adoption du Digital Services Act.

Clément Monnet, avocat à la Cour, Norton Rose Fulbright LLP


Lex Inside du 18 avril 2024 :

Lex Inside du 15 avril 2024 :

Lex Inside du 5 avril 2024 :