OHADA : une actualité chargée

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L’organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, l’OHADA, qui est l’une des organisations régionales dont l’Afrique s’est dotée, vit des jours charnières et connaît une actualité chargée en raison d’un succès mérité. Bien que son objectif de fiabilisation soit largement rempli, il reste toutefois à l’OHADA quelques défis à surmonter.

Par Barthélémy Cousin - Norton Rose LLP


Rappels

Depuis sa création en 1993, en marge d’un sommet de la Francophonie tenu à Port-Louis, l’OHADA a fait couler beaucoup d’encre et considérablement agité la communauté des juristes francophones et de tradition civiliste .

Rappelons pour le lecteur distrait que l’OHADA repose sur une architecture éprouvée, par laquelle un traité fondateur emportant délégation de souveraineté  met en place des normes juridiques fondatrices (droit originaire ou droit primaire) et des institutions habilitées à émettre de nouvelles normes (droit dérivé) et/ou à contrôler l’application desdites normes dérivées.

Pour l’OHADA, ces institutions étaient à l’origine : (i) le Conseil des Ministres, chargé d’adopter les actes uniformes, qui constituent les normes dérivées, (ii) le Secrétariat Permanent, chargé d'assister le Conseil des Ministres dans l'exécution de ses fonctions législatives, (iii) la Cour de justice et d’arbitrage (CCJA), qui est une juridiction supranationale unique pour les contentieux relatifs au droit OHADA, et qui a également une fonction consultative pour l'application des Actes Uniformes, des règlements et des décisions pris en application du Traité OHADA , (iv) l’Ecole Supérieure de la Magistrature (ERSUMA), chargée de la diffusion des nouvelles normes au sein de l’espace OHADA au travers notamment de la formation continue des magistrats et auxiliaires de justice .

Rappelons également que les normes dérivées, les « actes uniformes » sont d’application directe et obligatoire au sein des Etats parties, sans qu’il soit nécessaire de les faire transposer par le législateur national . Leurs dispositions s’imposent ainsi au juge national nonobstant toute disposition nationale contraire.

Rappelons pour finir que la cour suprême mise en place par le traité, la CCJA, présente cette singularité d’être le juge naturel de cassation des juridictions de fond des Etats parties : les cours de cassation nationales ne sont - en principe du moins - pas compétentes pour appliquer le droit OHADA.

Un indéniable succès

Un corpus de huit actes uniformes est aujourd’hui en place, couvrant des pans essentiels du droit des affaires (droit commercial général, droit des sociétés, sûretés, procédures collectives…) et de la procédure civile (voies d’exécution et arbitrage) .

Si la diffusion de ces actes uniformes reste perfectible, il faut reconnaître qu’ils sont aujourd’hui à peu près appliqués dans les Etats concernés. La relative facilité avec laquelle cette révolution s’est opérée tient notamment à l’habilité des rédacteurs des actes. Puisant avec pragmatisme à des sources diverses , ils ont su concilier héritage colonial et prise en compte de certaines innovations africaines .

De fait, le droit OHADA est immédiatement compréhensible par l’importante communauté des juristes civilistes qui est formée indifféremment dans les universités françaises ou africaines.

Aujourd’hui, toute opération d’investissement d’envergure qui intervient dans l’un ou l’autre des Etats parties nécessite la mise en œuvre du droit OHADA : protection du financement de l’opération par des sûretés, création d’une entité juridique conforme au droit local, location de locaux, vente ou achat de produits, etc. De même, nombre d’entreprises locales ont recours au droit OHADA de façon routinière.

Une autre raison du succès du droit OHADA tient au fait qu’il symbolise l’amélioration de l’Etat de droit et du fonctionnement de la justice auquel aspire la population des Etats parties.

De changements en bouleversements

Révision du Traité OHADA, réformes en cours, adhésion de la République Démocratique du Congo… Fort de son succès, le droit OHADA est un droit vivant et en constante évolution.

La révision du Traité OHADA

Le traité d’origine qui remontait à 1993, a été retouché par le traité de Québec, le 17 octobre 2008 à nouveau en marge d’un sommet de la francophonie et à quinze ans de distance jour pour jour .

Les principaux changements portent sur la mise en place d’une institution nouvelle, la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement. La Conférence fournit aux représentants des Etats membres un cadre formel qui leur faisait défaut jusque là pour se réunir et statuer sur toute question relative au traité. Présidée par le Chef de l’Etat ou du Gouvernement dont le pays assure la présidence du Conseil des Ministres, la Conférence se réunit sur convocation de son Président, à son initiative ou à celle du tiers des Etats parties.

La CCJA voit ses effectifs portés de sept juges à neuf, avec toutefois la poss ibilité d’en nommer un nombre supérieur en fonction des nécessités du service et des possibilités financières de l'organisation. Si l’effort est à saluer, il est à craindre qu’il ne soit insuffisant eu égard au délai actuel de traitement des dossiers devant la Cour. Le mandat des juges reste fixé à sept ans mais n’est plus renouvelable .

Le français n’est plus la seule langue de travail de l’OHADA : l’anglais, l’espagnol et le portugais ont désormais ce rang. Le geste était nécessaire puisque le Cameroun est partiellement anglophone et que la Guinée Bissau et la Guinée Equatoriale sont respectivement lusophone et hispanophone. Néanmoins, la traduction officielle du traité, des actes et des règlements reste à faire… Sagement, le traité révisé prévoit qu’en cas de contradiction entre différentes versions, c’est le texte français qui fera foi… .

Diverses dispositions précisent le rôle du Secrétariat Permanent, et en font la pierre angulaire du dispositif institutionnel.

Enfin, l’ERSUMA, qui se voit dotée de nouvelles attributions, pourrait devenir le pôle de référence régional en matière de formation de perfectionnement et de recherche en droit des affaires dont l’espace OHADA a besoin.

La modernisation de certains actes a été menée tambour battant

Après plusieurs années de pratique des huit actes uniformes, il devenait nécessaire de dresser un bilan de leur application . Les réflexions conduites à ce propos ont opportunément abouti à un projet de modernisation des actes existants, piloté par le Secrétariat Permanent et financé par la Banque Mondiale.

Des équipes réunissant certains des meilleurs juristes français et africains ont été constituées.  Des projets ont été élaborés et diffusés auprès de « commissions nationales OHADA ». Deux des projets de réforme - droit commercial général et sûretés - doivent être très prochainement débattus lors d’une réunion plénière des commissions OHADA et pourraient ainsi être adoptés lors d’un prochain Conseil des Ministres.

Les projets de réforme des six autres actes sont moins avancés mais nul doute qu’ils seront également menés à leur terme.

L’adhésion de la République Démocratique du Congo

D’annonces en reports, l’adhésion de la République Démocratique du Congo (RDC) à l’OHADA a constitué le serpent de mer de l’actualité de l’OHADA au cours de ces dernières années. Cette adhésion vient enfin de se matérialiser avec la promulgation récente de la loi d’adhésion.

L’état du droit des affaires dans ce pays rappelle l’intérêt du projet OHADA. La plupart des textes datent de l’époque coloniale et sont souvent lacunaires  (par exemple, en matière de procédures collectives ou bien encore la procédure de référé qui est inexistante). Cette modernisation va permettre d’attirer plus d’investisseurs  qui voient dans le système OHADA une stabilité juridique et judiciaire.

Les différents facteurs qui ont présidé à la bonne compréhension du droit OHADA au sein des Etats parties sont pour la plupart présents en RDC (notamment Code civil, langue française) et il y a lieu d’espérer que sa diffusion s’y fasse rapidement.

Néanmoins, la RDC sera de loin le plus important membre de l’OHADA par sa superficie, sa population et ses ressources minières, et l’arrivée de ce géant est porteuse de bouleversements, ne serait-ce que lorsque le contentieux correspondant sera porté devant une CCJA dont les délais de traitement sont déjà bien longs.

Les défis

L’OHADA est incontestablement une réussite mais en cette période charnière, il lui reste plusieurs défis à surmonter.

Le défi du droit international privé

En choisissant de poursuivre son objectif d’intégration juridique au travers de normes matérielles uniformes, l’OHADA a donné à tort le sentiment que le droit international privé n’était plus nécessaire . De fait, l’OHADA se présente comme un écosystème tourné sur lui-même, dépourvu de normes régissant ses relations avec les systèmes juridiques des pays hors de la zone OHADA.

Or, le droit OHADA ne fournit pas toujours l’intégralité des règles permettant de régir une situation donnée, ce que l’on a pu appeler l’incomplétude du droit OHADA. Il est donc parfois nécessaire de rechercher la loi de fond applicable, conjointement aux normes OHADA. Cette recherche s’opère selon les règles de conflits de loi en vigueur . Or, le droit international privé des Etats parties reste fréquemment embryonnaire : des règles fondamentales telles que la définition du contrat international et la loi d’autonomie ne font l’objet d’aucune réglementation particulière. En d’autres termes, le règlement Rome I du droit OHADA reste à écrire !

Le défi de l’approfondissement

Droit incomplet, le droit OHADA doit fréquemment être appliqué conjointement avec le droit national de l’un ou l’autre des Etats parties. Ainsi, un contrat de vente est, pour ce qui est de ces effets régi par l’acte uniforme droit commercial général, alors que pour sa formation, il est régi par le droit national d’un Etat partie.

La résolution d’un litige portant à la fois sur la formation et sur les effets d’une vente est donc problématique, ne serait-ce que pour déterminer la cour suprême compétente : la CCJA ou bien la cour suprême nationale concernée.

L’adoption d’un acte uniforme droit des contrats, dont il existe aujourd’hui un avant-projet mais qui est malheureusement en sommeil permettrait de résoudre cette difficulté.

Par ailleurs, des travaux d'harmonisation spécifiques du droit du travail, eu égard à la sensibilité de la matière, ont été engagés et le droit de la vente aux consommateurs est également un chantier en cours dans le cadre de l'OHADA.

Le défi du judiciaire

Autant il peut être affirmé que l’OHADA remplit son objectif de contribuer à fiabiliser le droit des affaires de la région en fournissant des normes modernes et accessibles, autant, l’objectif de la fiabilisation du judiciaire reste lointain.

Les deux difficultés majeures sont respectivement le mauvais état général de la justice dans la plupart des Etats parties et l’encombrement de la CCJA, dont les délais de traitement sont actuellement décourageants.


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