Sanctions américaines contre la Syrie : le Département du Trésor américain (OFAC) impose une amende civile de 8,57 millions de dollars à l’UBAF

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L’Union de banques arabes et françaises (UBAF) dont le Crédit Agricole CIB est l’actionnaire principal à hauteur de 47% s’est engagée à payer plus de 8 millions de dollars au bureau Département du Trésor américain (OFAC) pour mettre un terme à 5 ans d’enquêtes sur des violations d’embargos contre la Syrie. 

Le 4 janvier 2021, l’OFAC (Office of Foreign Assets Control), le bureau de contrôle de l’application des sanctions économiques internationales au sein du Département du Trésor américain, a annoncé être parvenu à un accord avec l’Union de banques arabes et françaises (UBAF) à raison d’opérations enfreignant certaines lois et réglementations des États-Unis relatives à des sanctions économiques à l’encontre de la Syrie. Cet accord intervient alors qu’en 2018, le Département de la Justice américain (DOJ) avait, lui, annoncé qu’il n’engagerait pas de poursuites pénales à l’encontre de la banque.

À l’issue de cinq années d’enquête par les autorités américaines, l’institution financière française, dont le Crédit Agricole CIB est l’actionnaire principal et le référent vis-à-vis de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution, a accepté de payer une amende civile de plus de 8,5 millions de dollars. La banque de financement et d’investissement du Crédit Agricole avait, elle-même, fait l’objet d’une enquête de l’OFAC pour avoir réalisé plus de 4 000 transactions bancaires en violation des embargos américains visant notamment le Soudan, Cuba et l’Iran, et avait été contrainte en octobre 2015 de payer une amende de près de 330 millions de dollars pour y mettre un terme.

Les faits qui ont conduit à cet accord correspondent, selon le communiqué publié par l’OFAC, à 127 transactions bancaires réalisées entre août 2011 et avril 2013 par l’UBAF, en lien avec des clients de la banque – personnes physiques et morales – placés sous sanctions américaines et atteignant un montant total dépassant 2 milliards de dollars.

L’OFAC indique en effet que ces opérations sont susceptibles de violer deux décrets présidentiels (Executive Orders) ordonnant des mesures de gel des avoirs et des biens à l’encontre :

  • De certaines personnes identifiées par les États-Unis comme se livrant à des activités de prolifération d’armes de destruction massive ou soutenant ces activités en Syrie (ExecutiveOrder13382 of July 1, 2005 signé par le Président George W. Bush) ;
  • Des membres du gouvernement syrien (Executive Order 13582 of August 17, 2011signé par le Président Barack Obama).

Il faut en effet rappeler que depuis 2004, les États-Unis ont, par l’intermédiaire de l’OFAC, initié un programme de mesures de rétorsion économique à l’encontre de la Syrie censées sanctionner tant ses activités de fabrication d’armes chimiques que les violations des droits de l’homme perpétrées par son gouvernement.

Ces mesures imposent principalement le gel des avoirs et des biens de certaines personnes morales ou physiques spécifiquement désignées sur une liste prévue à cet effet (Specially designated nationals, « SDN-list ») impliquantpar exemple l’interdiction pour toute personne soumise à la réglementation américaine de réaliser toute remise de fonds, toute transaction financière ou toute fourniture de biens ou de services directement ou indirectement en lien avec ces personnes.

Si ces textes visent principalement les US-persondéfinies comme étant (i) les personnes physiques de nationalité américaine, (ii) les personnes physiques étrangères résidant habituellement aux États-Unis, (iii) les sociétés immatriculées aux États-Unis, en ce compris les établissements financiers américains, ou (iv) les filiales étrangères d’une société américaine, l’OFAC peut exercer sa compétence à l’égard de personnes étrangères dès qu’une opération interdite est réputéavoir été réalisée sur le territoire américain.À cet égard et au grand damne des sociétés non américaines, le lien de rattachement avec les États-Unis peut souvent être très ténu, ce qui accentue – parfois excessivement – la portée extraterritoriale de la règlementation américaine.

Or, l’UBAF a exécuté des transactions bancaires libellées en dollars américains entre certains de ses clients, parmi lesquels des personnes morales inscrites sur la SDN-list. Ces transactions, incluant des opérations d’échanges en monnaie américaine, supposent de transiter par le système bancaire américain, au moyen d’une banque-relais (correspondent banking). Par conséquent, elles créent un lien de rattachement avec le for américain, permettant à l’OFAC d’exercer sa compétence territoriale et d’assujettir les banques étrangères à la réglementation américaine.

Le précédent BNP Paribas qui, en 2014, s’était vu infliger une amende d’un montant total de près de 9 milliards de dollars par les autorités américaines pour avoir réalisé de nombreuses opérations en violation d’embargos imposés par les États-Unis à Cuba, à l’Iran, au Soudan et à la Libye, a notamment marqué les esprits.

La complexité de la réglementation américaine, ainsi que le montant significatif de l’amende civile encourue, incitent naturellement les entreprises françaises à envisager une démarche de révélation spontanée auprès des autorités américaines en cas de découverte d’incidents de conformité à la réglementation en matière de sanctions économiques internationales.

Cette procédure devolontary self-disclosure est en effet prévue par la réglementation américaine (31 CFR § 501 Appendix A) et permet à une entreprise qui décide de révéler une violation potentielle des programmes de sanctions à l'OFAC, avant que les faits ne soient découverts par d'autres moyens, de bénéficier d’une réduction significative de la sanction susceptible d’être prononcée.

C’est cette démarche qu’a entrepris l’UBAF et qui lui a permis, selon le communiqué de l’OFAC, d’échapper au prononcé d’une amende de plus de 4 milliards de dollars. L’OFAC a en effet relevé au titre des facteurs permettant à la banque consortiale française d’atténuer la sanction encourue, qu’après avoir révélé volontairement et spontanément les faits, l’UBAF, qui n’avait au demeurant pas d’antécédents en la matière, avait :

  • coopéré à l’enquête ouverte de l’OFAC ;
  • amélioré son programme de conformité aux sanctions économiques internationales ; et
  • entrepris un certain nombre d’actions de remédiation telles que :
    • l’adoption d’une nouvelle charte relative à la sécurité financière ;
    • l’organisation de sessions de sensibilisation aux sanctions économiques à destination de ses collaborateurs ;
    • la cessation de ses activités en lien avec la Syrie et d’autre en lien avec des pays faisant l’objet de programmes de sanctions américaines tels que le Soudan ; et
    • la mise en place d’un comité de conformité chargé d’effectuer un suivi approfondi de ces actions de remédiations.

Si le fruit d’une telle procédure teintée par une coopération pleine et entière avec l’autorité américaine a permis à l’UBAF de minimiser son exposition au risque de sanction financière, il importe pour toute entreprise française placée dans une situation similaire d’accorder une vigilance particulière au respect de la loi n° 68-678 du 26 juillet 1968 modifiée relative à la communication de documents et renseignements d'ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères (dite « loi de blocage ») qui limite les possibilités d’échanger des informations avec des autorités étrangères.

Son article 1 interdit en effet à toute personne physique de nationalité française ou à tout dirigeant ou représentant d’une société française de communiquer à une autorité étrangère des informations ou documents sensibles, stratégiques ou intéressant la sécurité nationale en dehors des conventions internationales applicables. Or, son non-respect est constitutif d’une infraction pénale punie d’une peine d’emprisonnement de 6 mois et d’une amende de 18 000 euros, selon l’article 4 de la loi même loi.

Si les décisions de condamnation rendues sur ce fondement sont peu nombreuses en l’état du droit positif[1], les autorités françaises semblent, depuis quelques années, accroître leur surveillance en la matière dans un objectif de souveraineté économique et judiciaire de la France.

Le Directeur général des entreprises près le ministère de l’Économie a d’ailleurs confirmé au cours d’un entretien le mois dernier que « nous assistions aujourd’hui à la résurrection de cette loi qui devient un outil à part entière de notre politique de sécurité économique »[2]. Surtout, l’homme à la tête du dispositif français d’intelligence économique a rappelé qu’en plus du renforcement du rôle dévolu au Service de l’information stratégique et de la sécurité économique (SISSÉ) dans la surveillance de l’application de la loi de blocage depuis 2019[3], des recrutements massifs de contractuels avaient récemment été opérés dans les sous-directions des services de renseignements intérieurs et extérieurs dédiées à l’économie.

Olivier Attias, Counsel, avocat aux barreaux de Paris et New York et Manon Krouti, Avocat au barreau de Paris, August Debouzy

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[1]Crim. 12 déc. 2007, n° 07.83-228, publié.

[2]https://www.challenges.fr/france/securite-economique-270-alertes-sur-des-entreprises-strategiques-remontees-en-2020_740026

[3] L’article 3 du Décret n° 2019-206 du 20 mars 2019 prévoit en effet que le SISSÉ a pour mission « de veiller à l’application des dispositions de la loi n° 68-678 du 26 juillet 1968, par les personnes qui y sont assujetties, sous réserve des compétences attribuées par la loi en cette matière à une autre autorité et, le cas échéant, en lien avec celle-ci »


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