La transposition post-Brexit de la Directive européenne « Restructuration » : Une occasion à ne pas manquer pour la place de Paris

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A l’heure du Brexit et de la crise du coronavirus, la France doit s’armer pour devenir le centre des restructurations financières européennes.

Jusqu’alors, la scène européenne était dominée par la place de Londres qui mettait en avant son modèle de scheme of arrangement et son système judiciaire efficace, assurant une lisibilité et une sécurité juridique, en dépit de coûts élevés.

Le Brexit conduit à une redistribution des cartes. En effet, les jugements anglais homologuant les accords de restructuration ne devraient plus bénéficier d’une reconnaissance automatique en Europe. Encore faut-il que la France saisisse la chance de la prochaine transposition de la directive européenne « Restructuration » de juin 2019,afin de moderniser son droit des entreprises en difficulté.

A cet égard, la France dispose d’atouts indéniables. Depuis longtemps, les acteurs ont développé des règles de place claires pour le traitement préventif des entreprises en difficulté à travers le mandat ad hoc et la conciliation. La confidentialité et la transparence financière sont assurées. Les conciliateurs spécialisés sont développés un savoir-faire hors pair pour rapprocher les positions des parties prenantes, assistées par des conseils juridiques et financiers. Côté étatique – une spécificité bien française – le CIRI (Comité Interministériel de Restructuration Industrielle) joue un rôle efficace de facilitateur, le tout sous la supervision de juges consulaires expérimentés.

Quelles sont les améliorations nécessaires à introduire dans la prochaine transposition ?

La directiveeuropéenne adopte une vision financière des restructurations. Un créancier doit toujours bénéficier dans le cadre du plan d’une solution au moins aussi favorable qu’en cas de liquidation judiciaire (test du meilleur intérêt des créanciers /best interest of creditors’ test). Le plan de restructuration est nécessairement négocié entre le débiteur et ses principaux créanciers, réunis en classes en fonction de leur rang, les actionnaires étant traités comme des créanciers de dernier rang. Le plan de sauvegarde doit être approuvé par une majorité qualifiée de créanciers. Exit, le plan imposé à la française par le tribunal contre la volonté des créanciersqui est incompatible avec l’architecture de la directive. Ainsi, un plan de sauvegarde – comme dans le dossier emblématique Rallye– où le débiteur impose à l’ensemble de ses créanciers un rééchelonnement de leur dette sur une durée de dix ans serait inconcevable.

Dans un système de répartition en classes, en fonction du rang des créances, les créanciers d’un rang supérieur doivent être remboursés intégralement ou du moins en avoir une garantie suffisante avant que ne soit envisagé le remboursement d’une classe inférieure (règle de priorité absolue / absolute priority rule).Des assouplissements peuvent être envisagés à condition qu’ils soient nécessaires au sauvetage de l’entreprise.

L’exemple anglais démontre l’importance d’une loi lisible et de la confiance des acteurs dans le système judiciaire, qui doit veiller au caractère équilibré du plan (fairness test). Si le droit français coche assurément cette dernière case, un obstacle linguistique doit être surmonté. En effet, à l’heure actuelle, le tribunal de commerce ne peut homologuer un accord de conciliation ou arrêter un plan de sauvegarde en langue anglaise. Pourtant, l’attractivité de la place de Paris vaut bien une exception à l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 sur l’emploi de la langue française.

Aussi, pour affronter la concurrence d’autres places financières tels que Francfort ou Amsterdam, le législateur pourrait créer un scheme of arrangement à la française. Il s’agirait d’une procédure autonome, établie sur la base de la sauvegarde (financière) accélérée, avec une possible organisation des débats judicaires en français et en anglais.

Reinhard Dammann et le Comité JUREM

Reinhard Dammann, Avocat au barreau de Paris, professeur affilié à Science Po, membre du Comité d’expert près de la Commission européenne pour la rédaction de la directive Restructuration

Le Comité JUREM est un espace de réflexion libre et indépendant, ouvert à tous les étudiants ou professionnels du droit qui partagent la même volonté de rénovation profonde et de modernisation de la justice.

Une Tribune du comité  JUREM et Reinhard Dammann qui formule des propositions pour faire de Paris la capitale européenne des restructurations d'entreprises.

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