Ballade juridique dans le métavers : retour à une réalité pas virtuelle

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Le métavers, si nous en entendons tous parler, nous sommes moins nombreux à  l’avoir visité. Ce qui suit est donc encore pour beaucoup de l’anticipation. Mais l’on  peut prédire facilement l’avenir juridique du métavers, par la simple observation des  20 dernières années de droit de l’internet. Le métavers sera-t-il une nouvelle zone de non-droit ? Suivez le guide.

Chez qui sommes-nous ? 

Si nous pouvons facilement convenir que l’univers (le vrai) n’appartient à personne et  que le territoire national appartient à l’ensemble des citoyens, le métavers appartient  à coup sûr à une seule et unique personne : la société qui le développe, l’exploite et  en autorise l’accès. 

Au-delà de la métaphore du méta-univers, les utilisateurs du métavers sont donc bel  et bien, et uniquement, en relation contractuelle avec l’organisateur du métavers qui  les autorise donc à entrer « chez lui ». 

Les voici donc soumis à ce qu’ils ont déjà l’habitude de connaître sur les réseaux  sociaux : « la charte » de la communauté, qui vient à supplanter les bonnes vieilles  lois nationales, charte aussi unilatérale que fluctuante au gré des besoins de celui qui  l’édicte. 

Ceux qui ont été bannis des réseaux sociaux à la suite d’une publication qui « viole les  principes de la chartes » pourront bientôt connaître le bannissement en réalité  « augmentée » en étant bannis du métavers en cas d’écart. 

Sauf que si le métavers réunit tout ce que l’on nous annonce qu’il réunira, le  bannissement, même temporaire, aura une tout autre portée. Ce n’est plus seulement  l’incapacité à communiquer avec votre communauté que vous perdrez : c’est l’accès  à tous les biens que vous aurez accumulés dans le métavers, à tous les services qui  seront devenus indispensables : avec votre banque, avec votre médecin, avec votre  travail, peut-être même avec les services de l’Etat. 

Un droit de l’expulsion du métavers (intra et extra métavers) devra donc se développer  pour lutter contre l’arbitraire du métavers-grand manitou qui pourrait vous expulser  sans jugement… 

Que possédons-nous dans le métavers ? 

Il y a beaucoup de pays sur cette planète pour lesquels le concept de propriété est  important et qui ont organisé leur système juridique pour protéger ce droit. En France,  l’article 2 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen nous présente le droit  de propriété comme un droit naturel et imprescriptible de l’homme.

Mais dans le métavers, les biens virtuels qui pourront être créés, échangés, accumulés seront-ils objet d’un droit de propriété, opposable aux autres utilisateurs, mais surtout  au promoteur du métavers ? Rien n’est moins sûr. Regardons, par exemple, ce que  propose The Sandbox, qu’on cite parfois en exemple d’un métavers, dans ses  conditions de service : « En utilisant les Services, vous accordez à TSB une licence  mondiale, non exclusive, gratuite, perpétuelle, irrévocable, sous-licenciable,  transférable d’utiliser, reproduire, représenter, distribuer et adapter les Actifs et Jeux [de l’utilisateur] aux fins de développer, distribuer, fournir, améliorer et promouvoir les  Services et nos activités ». Pas si propriétaire que ça donc. 

Y sommes-nous libres ?  

Non. Dans le métavers tous vos déplacements, vos interactions avec d’autres  utilisateurs, les propos que vous tenez, les biens que vous y « possédez », les endroits  que vous y visitez seront en direct et en permanence analysés, inventoriés, conservés. 

Le RGPD vous sauvera-t-il du traçage permanent ? Il n’a pas été conçu avec une telle ambition. Sauf qu’avec un métavers prévu pour être le lieu d’une offre démultipliée de  services et de contenus, le promoteur du métavers sera le point nodal d’une collecte  d’informations pléthoriques sur les us et coutumes de ses utilisateurs qu’il pourra  monnayer cher aux annonceurs. 

C’est une réglementation un peu plus « agressive » que celle sur l’acceptation des  cookies qu’il faudra mettre en œuvre si l’on ne veut pas que le métavers soit le grand  repoussoir des libertés individuelles. 

Est-ce qu’il y a des frontières ? 

Oui. Et de nombreuses.  

Les protocoles qui ont permis à internet d’émerger dans les années 90 ont été conçus  par des chercheurs et universitaires qui ont fait don de leurs efforts et de leurs  créativités à la communauté. Il en est ainsi du TCP/IP, HTTP puis un peu après du WWW. Sur ces bases, des entreprises privées ont prospéré, elles sont devenues ce  que l’on appelle les GAFAM. 

Tout comme le monde iOS ne communique qu’avec parcimonie avec le monde  Androïd, il faut s’attendre à ce que chaque promoteur de métavers recherche à garder  ses utilisateurs dans un univers fermé pour éviter leurs infidélités avec d’autres  métavers, source de pertes de revenus. 

A moins qu’un métavers réussisse à remporter la mise comme l’a fait Google pour les  moteurs de recherche. 

Dans les deux cas, monopole ou cloisonnement des métavers, il faudrait souhaiter  qu’un droit de la concurrence rapide et efficace puisse préserver les consommateurs  de ces deux écueils.  

Mais le droit de la concurrence, au cours des 20 dernières années, n’a pas brillé par 

sa capacité, avec une régulation ex post, à conserver la pluralité d’offres sur le marché des services et appareils numériques. AWS, Google, Facebook n’ont pas eu à s’en  plaindre. C’est donc une régulation ex ante qu’il faut appeler de ses vœux, comme  celle qui a présidé à la dérégulation du secteur des télécommunications au milieu des années 1990. 

Le Digital Markets Act, qui est proche d’être porté sur les fonts baptismaux par l’Union  Européenne, saura-t-il assurer un environnement concurrentiel vertueux dans le  métavers ou bien est-il déjà en retard d’une guerre technologique ? 

Y sommes-nous en sécurité ? 

Tous les contenus susceptibles de causer un préjudice qui circulent aujourd’hui sur  internet se retrouveront dans le métavers : violation des droits de propriété  intellectuelle, diffamation, injures, contenus haineux, harcèlement, etc. Il n’y a pas de raison que le métavers soit plus propre qu’internet. 

S’ajoutera à cette problématique le risque d’être harcelé « en direct » dans le  métavers. Protégés par la distance et l’anonymat, des avatars sans foi ni loi pourraient  venir troubler le méta-univers. A peine accessible, Horizon Worlds de Facebook a déjà  été le lieu de cyber-harcèlement selon le témoignage de nombreuses femmes. Une  forme de harcèlement de rue numérique. 

On connait déjà la réponse du promoteur du métavers lorsque ces problèmes lui seront  remontés : « Je ne suis qu’un « hébergeur », je ne suis pas responsable des contenus  et comportements des utilisateurs. Notifiez-moi le problème, et je verrai dans plusieurs  semaines ou plusieurs mois si je fais quelque chose. Et je ne ferai probablement rien ». 

L’avocat que je suis peut témoigner qu’il faut des années pour qu’une plainte soit  instruite pour retrouver l’auteur de propos illicites tenus sur les réseaux sociaux. 

C’est un échec du droit et de la justice qu’il faut déplorer et dénoncer.  Malheureusement, le Digital Services Act en cours d’élaboration par l’Union  Européenne ne laisse espérer aucune amélioration du sort des victimes de contenus  et comportements illicites en ligne.  

Les rues du métavers ne seront peut-être pas sûres et il ne faudra pas y laisser traîner  ses enfants. 

Est-ce qu’il y aura des impôts ? 

Il ne faut pas rêver. L’Etat (le vrai) prélèvera sa dîme sur les revenus et plus-values  faites dans le métavers et le promoteur du métavers sur toutes les transactions qui s’y  dérouleront. On connait la « taxe Apple » de 30% sur toutes les transactions in-App. Elle a pavé la voie au modèle économique du métavers.

Etienne Papin, Avocat associé, NEXT avocats


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