Faute disciplinaire et statut protecteur : perseverare diabolicum

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Indispensable pour permettre à ceux qui veulent représenter leurs collègues sans hésitation ni retenue, la protection « exceptionnelle et exorbitante du droit commun » dont bénéficient les représentants du personnel donne toujours lieu à des débats judiciaires intenses. L’enjeu y est en effet de taille : le licenciement pouvant être annulé et le salarié potentiellement réintégré des années plus tard et/ou indemnisé sur toutes ces années.

La Cour de cassation nous en donne un nouvel exemple récent.

Avant de l’aborder, rappelons que cette protection oblige tout employeur qui souhaite se séparer d’un représentant du personnel (il peut s’agir notamment d’un salarié ayant fait acte de candidature aux élections) d’en obtenir l’autorisation préalable de l’inspection du travail (articles L2411-1 et suivants du Code du travail) ; l’inspection devant s’assurer notamment que le motif de licenciement n’est pas en lien avec le mandat ou la candidature.

Ainsi, pas de rupture possible du contrat d’un salarié « protégé » sans autorisation préalable. Cependant même avec une autorisation obtenue, l’employeur n’est pas à l’abri d’un recours ultérieur du salarié qui en cas de succès entrainerait alors la nullité du licenciement.

On comprend dès lors que cette protection reste un sujet de crispation dans les entreprises tant les montants en jeu sont importants. De plus, les employeurs ne comprennent pas toujours la limite qui est posée à leur liberté de gérer leur entreprise (et donc de licencier) ou qu’on puisse douter de leur probité en ne sachant pas faire la part des choses entre mandat de représentant et contrat de travail. 

Ajoutons que pour éviter toute tentative de contournement de cette protection, la jurisprudence pose le principe selon lequel l’autorisation de l’inspection du travail sera exigée même à l’issue de la période de protection, dès lors que les faits reprochés ont été commis durant celle-ci.

Ces prolégomènes étant posés, intéressons-nous au cas de ce salarié candidat malheureux aux dernières élections professionnelles. Il bénéficiait comme il se doit d’une protection d’une durée de 6 mois réservée aux candidats non élus.

Aux termes de cette durée, son employeur a mis en œuvre une procédure de licenciement en raison d’un « comportement irrespectueux et humiliant à l’encontre de sa collaboratrice et de ses collègues » adopté pour partie au cours de la période de protection mais également ensuite ce pourquoi il faisait l’objet d’un licenciement disciplinaire sans que l’autorisation de l’inspection du travail ait été demandée.

Le conseil de prud’hommes de Metz saisi par le salarié, l’avait débouté de ses demandes en considérant qu’une partie des griefs du licenciement étant intervenus en dehors de la période de protection, son employeur n'avait pas à solliciter l'autorisation de le licencier auprès de l'Inspection du travail. La Cour d’appel de Metz avait au contraire « constaté que les faits reprochés avaient été commis pour partie pendant la période de protection, l'autorisation de l'inspecteur du travail était requise ».

La Cour d’appel avait alors par son arrêt du 11 février 2020, annulé le licenciement prononcé le 23 novembre 2015 et ordonné sa réintégration dans l’entreprise et condamné celle-ci à plus de 120.000 euros d’indemnités…

Cette décision est censurée par la Chambre sociale de la Cour de cassation, qui rappelle que « la persistance du comportement fautif du salarié après l’expiration de la période de protection peut justifier le prononcé d’un licenciement », sans que soit exigée la saisine préalable de l’inspection du travail. C’est le premier et principal apport de cet arrêt.

La Cour profite de son arrêt pour rappeler que le licenciement est également possible sans passer par l’inspection du travail si l’employeur n’a pu avoir une exacte connaissance des faits fautifs qu’à l’expiration de la période de protection. C’est son deuxième apport.

La Cour était également saisie d’une autre question relative à un nouveau mandat de représentant du personnel obtenu par le salarié après qu’il ait été convoqué à un entretien préalable. La Cour rappelle utilement à ce titre que pour déterminer si un salarié bénéficie d’un statut protecteur, il faut se placer à la date d’envoi de la convocation à entretien préalable à son licenciement. Or, à cette date le salarié n’était plus protégé par sa candidature aux élections (plus de 6 mois s’étaient écoulés depuis lesdites élections) et il ne bénéficiait pas encore de la protection offerte par son nouveau mandat de représentant syndical qu’il obtiendra 9 jours plus tard. C’est son troisième apport.

Enfin, la Cour a le mérite également de rappeler « en creux » que le titulaire d’un mandat de représentation du personnel n’est pas propriétaire de son mandat : s’il bénéficie de toutes ses garanties pendant son mandat puisque celui-ci est institué dans l’intérêt de l’ensemble des travailleurs qu’il représente, il n’en dispose pas ni ne peut en prolonger les effets.

Dans cette affaire, le salarié concerné aurait dû se souvenir que son mandat de représentant du personnel a vocation à défendre l’intérêt collectif des salariés et non à servir son propre intérêt.

Cass. Soc. 16 février 2022 n°20-16.171

Guillaume Roland, Associé, Herald Avocats


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