La Commission européenne précise les règles encadrant les échanges d’informations dans les situations de double distribution

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Suite aux vives critiques énoncées à l'encontre du schéma relatif aux contrats conclus entre un distributeur et un fournisseur opérant en double distribution retenu en juillet 2021, la Commission européenne a décidé de précise les règles encadrant les échanges d’informations dans les situations de double distribution.

Le terme de « double distribution » ou « distribution duale » est employé lorsqu’un fournisseur commercialise ses produits ou services à la fois par l’intermédiaire de distributeurs indépendants et  « en direct » à des clients finaux. 

Lorsqu’il vend « en direct » aux clients finaux, le fournisseur peut être en concurrence avec ses propres distributeurs indépendants. Les informations commerciales sensibles échangées dans le cadre de leur contrat de distribution risquent alors de fausser les conditions de la concurrence à laquelle se livrent par ailleurs le fournisseur et le distributeur auprès des utilisateurs finaux. Pour rappel, deux entreprises qui se font concurrence sur même marché doivent se comporter de manière indépendante. Elles doivent  notamment s’abstenir de s’échanger des informations commercialement sensibles, comme les chiffres relatifs à leurs ventes ou les conditions commerciales ou tarifaires qu’elles pratiquent à l’égard de leurs clients respectifs. 

La Commission européenne (la « Commission ») révise actuellement les règles de droit de la concurrence encadrant les accords de distribution, et notamment le Règlement européen « d’exemption » n° 330/2010 expirant au 31 mai 2022. Ce Règlement permet de valider certains accords dits verticaux au regard du droit de concurrence, comme les contrats entre fournisseurs et distributeurs, sous réserve de certaines conditions liées notamment aux parts de marchés des parties.

Dans le projet de la Commission publié en juillet 2021, le schéma suivant était envisagé pour les contrats conclus entre un distributeur et un fournisseur opérant en double distribution :

  • Hypothèse n° 1 : la part de marché cumulée du fournisseur et de l’acheteur sur le marché du commerce de détail ne dépasse pas 10%. Compte tenu de cette faible part de marché, le contrat était supposé ne pas soulever de problèmes majeurs en droit de la concurrence. Il pouvait donc être présumé valide, sous réserve de conditions supplémentaires telles que l’absence de clauses qualifiées de restrictions dites « caractérisées » comme une clause fixant des prix de revente minimums.
  • Hypothèse n° 2 : si les parts de marchés cumulées des parties dépassent 10% sur le marché de détail, mais qu’individuellement, le fournisseur et le distributeur ne détiennent pas plus de 30% de parts sur leurs marchés respectifs amont et aval, alors le contrat pouvait tout de même être présumé valide en droit de la concurrence. En revanche, dans cette hypothèse n° 2, les échanges d’informations entre les parties au contrat devaient faire l’objet d’une analyse au cas par cas par les entreprises, afin de déterminer s’ils étaient susceptibles soulever des problèmes de concurrence.

Au terme d’une consultation publique initiée par la Commission en juillet 2021, ce schéma avait fait l’objet de vives critiques de la part des entreprises concernées, de leurs conseils et d’acteurs institutionnels. 

En particulier, le seuil de 10% de part cumulée sur le marché de détail retenu par la Commission a pu être considéré comme excessivement bas et difficile à appréhender. Le calcul de parts de marchés au niveau du commerce de détail peut en effet nécessiter la mobilisation d’importantes ressources, notamment lorsque plusieurs marchés locaux sont susceptibles d’être définis ou lorsque l’accord de distribution concerne différents types de produits ou services. Ce type d’analyse a pu paraître incompatible avec le mécanisme d’exemption par voie de Règlement, censé simplifier les démarches et donner plus de sécurité juridique aux entreprises. La Commission s’est en outre vue reprocher l’absence d’indications suffisantes pour permettre une analyse adéquate des échanges d’informations dans le contexte de l’hypothèse n° 2.

Afin de pallier ce manque de clarté et de sécurité juridique, la Commission a publié, le 4 février 2022, des orientations complémentaires sur l’analyse des échanges d’informations dans le contexte de la double distribution. 

On retiendra en premier lieu que la Commission ne fait plus aucune référence, dans ses orientations, au seuil de 10% de part cumulée sur le marché de détail. La Commission pourrait ainsi avoir renoncé à appréhender la double distribution à l’aune de ce seuil, comme le suggéraient de nombreux acteurs.

La Commission précise en revanche que les échanges d’informations intervenant dans les situations de double distribution seront présumés valides en droit de la concurrence lorsqu'ils sont « nécessaires pour améliorer la production ou la distribution des biens ou services contractuels ». A la lecture des orientations, ce critère semble s’appliquer à tout échange d’informations intervenant dans une situation de double distribution, quelles que soient les parts de marché du fournisseur et du distributeur au niveau du détail, dès lors qu’elles seraient inférieures à 30% chacune sur leurs marchés amont et aval respectifs.

La Commission liste enfin une série d’exemples d’échanges d’informations qui seraient présumés « nécessaires pour améliorer la production ou la distribution des produits ou services contractuels ». Seraient ainsi admis, notamment, les échanges relatifs à l’inventaire, les stocks, les volumes de ventes, sous réserve que les données soient agrégées et non individualisées par client, le partage de données agrégées et non individualisées sur les ventes de produits ou services aux clients finaux, ainsi que sur les préférences et retours des clients sur ces produits et services, ou encore la communication de prix de revente conseillés, et même des prix de revente réels des distributeurs, à l’exception des prix futurs et sous réserve que cela ne conduise pas à fixer les prix de l’une ou l’autre des parties.

Les orientations pourraient dès lors offrir une plus grande sécurité pour les situations de double distribution. En particulier, l’abandon du seuil de 10% de parts de marché, s’il est confirmé, devrait être salué.

D’un point de vue formel, les orientations de la Commission devraient s’intégrer aux nouvelles lignes directrices sur les accords verticaux accompagnant le Règlement européen d’exemption révisé. Il est prévu que ce corpus de règles s’applique à l'expiration des règles actuelles, le 31 mai 2022. 

Dans l’intervalle, la Commission a néanmoins lancé une rapide consultation publique sur le projet d’orientations, du 4 au 18 février 2022. Tous les acteurs intéressés ont eu la possibilité de soumettre leurs contributions, dont on peut espérer que la Commission européenne tienne compte pour clarifier ses orientations. 

Dan Roskis, Avocat associé, et Chloé Charbeaux, Avocate à la Cour, Cabinet Eversheds Sutherland (France) LLP


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