Projet de réforme de la responsabilité civile

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Jean-Jacques UrvoasLe garde des sceaux, Jean-Jacques Urvoas, a présenté, lundi 13 mars 2017,  à l’Académie des sciences morales et politiques, le projet de réforme du droit de la responsabilité civile.

"Ce projet est une œuvre collective portée par la Chancellerie. Il doit servir de base aux discussions interministérielles en vue du dépôt d’un projet de loi. La session parlementaire étant achevée, je le laisse à la disposition de mon éventuel successeur, pour qu’il puisse être soumis au Parlement et que soit adoptée une grande réforme du droit de la responsabilité civile, indispensable, qui viendra parachever la réforme du droit des obligations entamée par l’ordonnance du 10 février 2016", a déclaré Jean-Jacques Urvoas, ministre de la justice à l'occasion de la présentation de l'avant-projet de réforme de la responsabilité civile, hier, à l’Académie des sciences morales et politiques.  

Aujourd'hui, le droit commun de la responsabilité civile repose sur cinq articles, demeurés pratiquement inchangés depuis 1804. "Ces cinq articles ont résisté au temps, grâce à l’impressionnante œuvre de construction jurisprudentielle de la Cour de cassation qui a su les adapter à l’évolution des mœurs, de la société et de la langue française" a fait remarquer le ministre de la justice. Il s’agit d’une œuvre remarquable, mais que seule une connaissance de cette riche et subtile jurisprudence permet d’appréhender. Aussi, "la réforme de la responsabilité civile est donc une nécessité impérieuse".

Cette réforme a pour objectif de rendre accessible, moderniser et enrichir le droit de la responsabilité civile.
Elle a pour origine la jurisprudence, qu’elle codifie largement mais aussi plusieurs travaux doctrinaux et parlementaires .

L'avant-projet élaboré par les services du ministère de la Justice a été soumis à une large publique, entre avril et juillet 2016. Plus de 100 contributions écrites représentant plus de 1.000 pages ont été reçues permettant d'enrichir et d'améliorer le texte.

Conservation de certains principes et consécration de principes dégagés par la juridprudence

Le texte conserve  le principe cardinal énoncé par le code civil de 1804 selon lequel "tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer".
De même, conformément à la tradition juridique française, le principe de réparation intégrale du dommage est lui aussi affirmé.

Par ailleurs, le projet consacre en des principes dégagés par la jurisprudence en les inscrivant dans le code civil : responsabilité du fait des choses ; responsabilité du fait d’autrui, avec néanmoins une rupture majeure avec la jurisprudence consistant à poser comme condition commune l’existence d’un fait de nature à engager la responsabilité de l’auteur direct du dommage ; ou encore responsabilité pour troubles anormaux de voisinage.

Fonction préventive

Le projet inscrit dans le code la fonction préventive de la responsabilité civile. Le juge se verra demain reconnaître la possibilité de prescrire toute mesure définitive ayant pour objet de prévenir le dommage ou de faire cesser un trouble illicite : il ne s’agit plus seulement de réparer le dommage, mais d’agir sur sa source.

Amende civile

En outre, le texte introduit dans notre droit commun l’amende civile qui vient conforter cette fonction préventive. Il s'agit d'ouvrir une voie intermédiaire entre la voie civile classique (centrée sur la réparation des dommages) et la voie pénale (axée sur la sanction des comportements).
Lorsqu’un responsable aura délibérément commis une faute lucrative, il pourra se voir infliger une amende civile. Le montant de cette amende sera versé à l’Etat ou à des fonds d’indemnisation, et non à la victime, pour éviter toute dérive vers des enrichissements injustifiés.

 Amélioration de l'indemnisation des victimes de dommages corporels

La protection renforcée des victimes de dommages corporels constitue l’une des autres innovations majeures du projet. La Chancellerie a fait le choix de placer l’intégrité de la personne au sommet de la hiérarchie des intérêts protégés. Le texte propose un ensemble de règles destinées à améliorer et harmoniser l’indemnisation des victimes de dommages corporels.

Cela se traduit par l’introduction de quelques exceptions en faveur des victimes. 
Ainsi, seule la faute lourde de la victime d’un dommage corporel peut réduire son droit à indemnisation.
De même, aucune obligation de minimiser son dommage ne saurait peser sur la victime d’un dommage corporel.
Enfin, les clauses qui excluraient ou limiteraient la réparation de ce type de dommage sont prohibées.

Afin d’assurer l’égalité de traitement entre les victimes, les mêmes règles seront applicables à la réparation de tous les dommages corporels. Il n’y aura plus à cet égard de distinction entre responsabilité contractuelle et responsabilité extracontractuelle. Et ces règles uniques seront applicables aux décisions des juridictions judiciaires aussi bien qu’administratives, ainsi qu’aux transactions conclues entre la victime et le responsable. 

Dans le même souci d’uniformisation des modalités de réparation du dommage corporel, une nomenclature non limitative des préjudices, ainsi qu’une base de données jurisprudentielles et un référentiel d’indemnisation indicatif adossé à cette base sont prévus.

Les recours des tiers payeurs

Le projet propose également de résoudre la divergence de jurisprudence opposant le Conseil d’Etat et la Cour de cassation sur le recours des tiers payeurs. Sera ainsi supprimée la possibilité, admise par la seconde, pour un tiers payeur de récupérer auprès du responsable les prestations versées à la victime au titre de ses préjudices personnels. En effet, ce recours diminue aujourd’hui d’autant les indemnités perçues par la victime.

Extension et amélioration de loi du 5 juillet 1985 dite Badinter

Enfin, le texte intègre dans le code civil les dispositions de la loi du 5 juillet 1985 dite "loi Badinter", et a pour ambition d'améliorer la protection des victimes.
Le champ d’application de la loi Badinter est désormais étendu aux tramways et aux chemins de fer.
Par ailleurs, le sort des conducteurs victimes, jusque-là exclus de la protection offerte par la loi Badinter, est amélioré : seule leur faute inexcusable pourra réduire ou exclure leur indemnisation, sans toutefois exiger qu’elle soit la cause exclusive de l’accident.

Arnaud Dumourier (@adumourier)


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