"Sans rancune !" : la bataille que se livrent les enseignes de la grande distribution pour conserver leurs parts de marché prend encore une fois une tournure judiciaire

Décryptages
Outils
TAILLE DU TEXTE

clairet mirzaKathie Claret, avocat associé et François-Xavier Mirza, avocat, cabinet Bryan Cave Paris, commentent la jurisprudence récente sur les publicités trompeuses dans la grande distribution.

La publicité comparative est admise par la directive 2006/114. Cette même directive condamne en revanche la publicité trompeuse, définie comme "toute publicité qui, d’une manière quelconque, y compris sa présentation, induit en erreur ou est susceptible d’induire en erreur les personnes auxquelles elle s’adresse ou qu’elle touche et qui, en raison de son caractère trompeur, est susceptible d’affecter leur comportement économique ou qui, pour ces raisons, porte préjudice ou est susceptible de porter préjudice à un concurrent". En droit interne, l’article L121-8 du Code de la consommation admet la licéité de la publicité comparative sous réserve, précisément, qu’elle  "n'est pas trompeuse ou de nature à induire en erreur"

Les acteurs historiques de la grande distribution s’affrontent …

En décembre 2012, Carrefour (21% de part de marché en 2016) a lancé une campagne publicitaire télévisée reposant sur une comparaison des prix pratiqués par Carrefour et ceux pratiqués par des enseignes concurrentes dont Intermarché (14,4% de part de marché en 2016). Or, les magasins Intermarché sélectionnés pour la comparaison (des supermarchés) étaient de format et de taille différents des magasins Carrefour (des hypermarchés).

La société ITM, en charge de la stratégie et de la politique commerciale d’Intermarché, a obtenu en 2014 du Tribunal de Commerce de Paris la cessation de cette publicité ainsi que 800 000 euros de dommages-intérêts pour publicité trompeuse.

Ayant interjeté appel de cette décision, Carrefour a réussi à convaincre la Cour d’appel de Paris d’interroger la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE ») sur la question de savoir si une telle publicité, comparant les prix de produits vendus dans des magasins de tailles ou de formats différents, est licite au regard de la directive 2006/114.

La CJUE rappelle, par un arrêt en date du 8 février 2017 (Affaire C-562/15) que toute publicité comparative doit comparer objectivement les prix et ne pas être trompeuse. Or, s’agissant de magasins de tailles et de formats différents, l’objectivité de la comparaison peut être faussée selon la CJUE si la publicité ne fait pas mention de cette différence ayant ainsi pour effet d’induire le consommateur en erreur. L’information faite au consommateur doit être claire et figurer dans le message publicitaire lui-même. C’est donc une analyse au cas par cas qu’il convient d’opérer selon la CJUE.

La CJUE invite ainsi la Cour d’appel de Paris à vérifier si la publicité litigieuse ne satisfait pas à l’exigence "d’objectivité de la comparaison et/ou présente un caractère trompeur, d’une part, en prenant en considération la perception du consommateur moyen des produits concernés, (…) et, d’autre part, en tenant compte des indications figurant dans ladite publicité, (…)".

En l’espèce, l’information figurait sur la page d’accueil du site Internet de Carrefour avec une mention en petits caractères. Dans les spots publicitaires télévisés, apparaissait, là encore en plus petits caractères, la mention "Super" en dessous du nom Intermarché.

… tout en s’alliant contre les nouveaux acteurs qui montent

Carrefour, en défense dans l’affaire ci-avant évoquée, est en demande dans une autre affaire visant cette fois un nouvel acteur qui voit son chiffre d’affaires croitre depuis un changement de positionnement se traduisant par une montée en gamme : Lidl (5,2% de part de marché en 2016).

Carrefour a récemment assigné Lidl en réparation devant le Tribunal de commerce d’Evry, au motif que l’enseigne n’aurait pas respecté la réglementation applicable aux promotions à la télévision prévoyant une durée minimum de 15 semaines de maintien en magasin du prix annoncé et des stocks disponibles. Carrefour a préalablement obtenu la suspension de la diffusion de la publicité en cause, dans le cadre d'une procédure en référé.

Dans le cadre de cette affaire, une société serait prête à intervenir dans la procédure afin de soutenir Carrefour dans la démonstration du préjudice découlant des pratiques mises en cause, une société du nom de … Intermarché.

Tantôt alliés, tantôt adversaires, les enseignes de la grande distribution n’hésitent désormais plus à intégrer la stratégie judicaire dans la défense de leurs parts de marché.

Kathie Claret, avocat associé, & François-Xavier Mirza, avocat, cabinet Bryan Cave Paris


Forum des Carrières Juridiques 2024 : interview de Vanessa Bousardo, vice-bâtonnière de Paris

Forum des Carrières Juridiques 2024 : Laure Carapezzi, DRH, Osborne Clarke

Forum des Carrières Juridiques 2024 : Blandine Allix, associée - Flichy Grangé Avocats