Affaire du Concordia : analyse de Jefferson Larue

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Le Monde du Droit a rencontré Jefferson Larue qui répond à nos interrogations sur l'affaire du Concordia. Selon lui, "l'affaire du Concordia sera le procès du gigantisme maritime... La course au gigantisme des croisiéristes emporte d’importants enjeux en matière de sécurité des navires et des milliers de passagers qu’ils sont capables de transporter."

Quelles sont les causes possibles du naufrage?

Ce sont les enquêteurs italiens et les experts techniques qui les détermineront. Cela prendra quelques mois, voire quelques années comme cela est souvent le cas pour ce genre de sinistre.

Il existe déjà quelques pistes : le fait que le capitaine ait volontairement emprunté une route trop proche des côtes. Il se pourrait également que le système de navigation du Concordia ait connu une défaillance qui aurait trompé l’équipage sur le positionnement exact du navire. Ce genre d’incidents peut parfois arriver. Lorsque cela se produit en pleine mer, le capitaine a généralement le temps de s’en apercevoir et de rectifier sa trajectoire sans que cela n’ait de conséquences. Lorsqu’un navire navigue près des côtes, le danger est beaucoup plus grand. Cela étant, il semblerait que le Concordia ait navigué de longues minutes près des côtes, ce qui offrait un repère visuel qui aurait du alerter l’équipage en cas de différence avec les positions indiquées par le système de navigation.

Enfin, il faut rappeler que, toujours d’après les premières informations disponibles, les mesures d’évacuation ne se soient pas déroulées normalement, ce qui pourrait constituer un facteur aggravant et expliquer le nombre de victimes même si, à ce stade, il est impossible de dire si ces procédures étaient adaptées ou si c’est leur mise en œuvre qui a pêché.

Quelles sont les responsabilités encourues par la compagnie exploitant le Concordia ?

Outre l’enjeu économique lié à la perte du Concordia et aux pertes d’exploitation qui vont en résulter (les premières estimations parlent d’environ 600 millions d’euros pour les ces deux postes de préjudice confondus), l’exploitant du Concordia va devoir faire face aux recours que les passagers et les ayant-droits des victimes ne vont pas manquer d’introduire à son encontre, que ce soit sur le plan civil ou le plan pénal.

Sur le plan civil, la presse s’est focalisée sur la responsabilité du capitaine, qui pourrait avoir délibérément emprunté une voie dangereuse. Cela évoque immédiatement la notion de faute nautique, qui peut, dans certains cas, avoir pour effet d’exonérer l’exploitant du navire.

Cependant, la faute nautique comme les règles de limitation de responsabilité s’appliquent au transport de marchandises ou de personnes. Or, en l’espèce, les passagers du Concordia effectuaient une croisière avec escales, donc un voyage. Ils semblent en conséquence devoir être assimilées à des « consommateurs de voyage » et non à des passagers stricto sensu, de sorte qu’ils seraient extraits de la sphère du droit maritime et de ses particularités.

L’exploitant du navire pourrait également être tenté d’invoquer les limitations de responsabilité figurant dans la Convention d’Athènes de 1974, encore que, dans son état issu du Protocole 2002, elle pose maintenant le principe d’une responsabilité objective à la charge du transport en-deçà d’un certain montant. En tout état de cause, la France n’étant pas partie à cette Convention, les victimes française et leurs ayant-droits devraient pouvoir invoquer le droit français, ce que le Règlement Rome I semble autoriser dès lors que la loi applicable aux « consommateurs de voyage » est la loi du lieu de leur résidence principale, et donc les articles L.211-16 et suivants du Code de tourisme.

Ces dispositions ne permettent à l’exploitant du navire de s’exonérer - totalement ou partiellement - de sa responsabilité qu’en établissant que l'inexécution ou la mauvaise exécution du contrat de voyage est imputable soit à l'acheteur, soit au fait, imprévisible et insurmontable, d'un tiers étranger à la fourniture des prestations prévues au contrat, soit à un cas de force majeure. A moins que l’exploitant ne parvienne à revendiquer les limitations de responsabilités admises par la loi de 1966 aujourd’hui intégrée au Code des transports (articles L5121-3 et suivants).

On ne peut en outre exclure des actions contre les agents de voyages et l’organisateur de la croisière pour qui les règles de responsabilité sont, en ce domaine, particulièrement sévères.

Sur le plan pénal, il est rappelé que le juge répressif français dispose, en vertu de l’article 14 du Code civil, d’une compétence générale dès lors que les victimes sont de nationalité française. Des recours ont d’ailleurs déjà été introduits en France sur le terrain de la mise en danger de la vie d’autrui notamment.


Quels sont les autres enjeux de ce sinistre ?

L’affaire de Concordia sera le procès du gigantisme maritime... La course au gigantisme des croisiéristes emporte d’importants enjeux en matière de sécurité des navires et des milliers de passagers qu’ils sont capables de transporter. En outre, le recours à du personnel naviguant ne maitrisant pas nécéssairement les différentes langues parlées par les passagers posent la question de l’efficacité des procédures d’évacuation en cas de naufrage. A ce titre, il parait évident que les professionnels du secteur n’attendront pas une réforme des normes existantes pour adapter leurs procédures et ainsi rassurer leur clientèle.


Jefferson Larue, Avocat au Barreau de Paris


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