Le Conseil d'Etat et la bioéthique : à la recherche d'un équilibre efficace

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benjamin pitchoBenjamin Pitcho, Avocat à la Cour et membre du Conseil de l’Ordre, propose une analyse de l'étude du Conseil d'Etat sur la révision de la loi bioéthique.

Les lois bioéthiques sont un peu comme les jeux olympiques : elles sont risquées pour le gouvernement mais doivent changer périodiquement. Pour préparer la nouvelle version, le premier ministre a saisi le Conseil d’Etat d’une demande de cadrage juridique préalable. Ce dernier a remis son Rapport le 6 juillet 2018. A cette occasion, il a su concilier l’exigence de prise en compte des avancées de la science avec le vœu du maintien d’un haut standard éthique. Il invite aussi le législateur à demeurer prudent, à l’image du rôle que lui-même se reconnaît.

Dans un liminaire juridiquement courageux, moderne - et aujourd’hui nécessaire - il rappelle le socle positif sur lequel repose notre droit de la bioéthique. Il souligne son attachement aux principes de liberté, qui valorise l’autonomie de la personne et de dignité, qui justifie l’indivisibilité du corps humain. Il entreprend surtout la consécration du principe de solidarité, fondé sur une conception du don altruiste et qui n’est pas sans rappeler la récente promotion du principe de fraternité par le Conseil constitutionnel. La mise en œuvre de ces principes positifs pourra être identifiée dans la loi et ses violations sanctionnées par le juge.
Concernant la gestation pour autrui et la recherche sur l’embryon, le Conseil d’Etat considère inutile d’en assurer une modification qui n’apporterait rien, comme pour la fin de vie. La loi dite Leonetti est encore trop récente pour inciter à la modifier et il insiste sur la nécessité de renforcer les soins palliatifs et l’appréciation éthique. Modestement, il affirme que la fin de vie n’est pas le moment du juge, d’autres étant plus utiles aux personnes en fin de vie.

Pour d’autres sujets, notamment l’autoconservation des ovocytes, l’assistance médicale à la procréation post mortem, c’est au législateur qu’il abandonne la nécessité d’apprécier l’intérêt d’une modification du régime existant. Le Conseil d’Etat affirme que notre droit ne s’oppose pas à ce que ce cadre soit modifié pour autoriser ces techniques, notamment par le recours à de nouveaux modes d’établissement de la filiation.

Il suggère au contraire des modifications pour les enfants nés d’un don de gamètes qui pourraient, à leur majorité et avec l’accord du donneur, connaître leurs origines.

Il consacre de même des développements argumentés à la situation des enfants intersexués, dont les caractères sexuels primaires et secondaires ne correspondent pas aux stéréotypes masculin ou féminin. Ils sont en effet victimes de traitements chirurgicaux et médicaux lourds, très invasifs et irréversibles, dès leur plus jeune âge, pour faire correspondre leur corps à ces stéréotypes, qu’ils n’auront pas choisis. Conformément à l’ensemble des autorités internationales saisies avant lui, le Conseil d’Etat conclut à leur caractère illicite, une première pour une autorité publique française.

Enfin, le Rapport projette notre droit dans l’avenir en étudiant la question de certains dépistages génétiques comme de l’intelligence artificielle, dont le Conseil d’Etat a compris la portée symbolique de mise en cause du magistère médical. Comme pour les algorithmes de justice prédictive, c’est l’intelligibilité de l’opération qui doit être communiquée au patient pour qu’elle soit comprise et acceptée.

Perfectible mais audacieux, mesuré mais courageux, ce Rapport saura, il faut le croire, inspirer notre législateur dans la révision prochaine des lois bioéthique.

Benjamin Pitcho, Avocat à la Cour, Membre du Conseil de l’Ordre


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