Quelques réflexions suite à la cession du Doliprane

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La cession de 50% d'Opella, la filiale de Sanofi commercialisant le Doliprane, au fonds américain Clayton Dubilier & Rice soulève des interrogations sur l'équilibre entre attractivité économique et souveraineté nationale. Dans cette analyse, Renée Kaddouch, avocate associée au cabinet Squair, met en lumière les enjeux liés à cette opération.

L’annonce par Sanofi de la cession de 50% du capital de sa filiale Opella, qui commercialise le Doliprane, au fonds d’investissement américain Clayton Dubilier & Rice, a déclenché une vague de réactions, y compris au sommet de l’État. Cette opération vise à financer des traitements innovants, notamment à base d’ARN messager, un domaine clé pour l’avenir de la médecine.

Ce débat n’est pas nouveau : comment allier l’attractivité de la France pour les investissements étrangers avec la protection de notre souveraineté nationale ?

Le cadre juridique des investissements étrangers en France

Le droit applicable en matière d’acquisition de sociétés françaises (et non d’implantation de filiales) est régi par les articles L.151-3 et suivants du Code monétaire et financier, ainsi que par le décret 2023-1293 du 28 décembre 2023. Le principe est simple : la liberté prévaut en la matière, la régulation n’étant qu’une exception. Seules les acquisitions dans des secteurs jugés « sensibles » sont soumises à autorisation préalable.

Pour être soumis à la règlementation, l’opération doit remplir trois conditions principales.

En premier lieu, l’investisseur doit être une entité de droit étranger, même immatriculée au sein de l’Union européenne. Cela inclut les sociétés et fonds d’investissement, comme c’est le cas ici avec Clayton Dubilier & Rice.

Ensuite, la société cible doit opérer dans un secteur critique pour la sécurité nationale ou l’intérêt public, tel que défini par l’article R 151-3 du Code monétaire et financier. Cela inclut notamment la défense, les télécommunications, la cybersécurité et, bien sûr, la santé et les biotechnologies.

Enfin, l’opération envisagée doit soit (i) entraîner la prise de contrôle d’une société française, soit (ii) franchir le seuil de 25 % des droits de vote dans une société française (pour les investisseurs non européens), ou (iii) porter sur l’acquisition d’une branche d’activité.

Si ces critères sont remplis, l’acquéreur doit obtenir l’approbation du ministère de l’Économie, qui peut soit valider l’opération, soit l’interdire, soit encore l’autoriser sous conditions. Ces dernières peuvent porter sur le maintien de capacités industrielles en France ou des engagements en matière d’emploi et de transfert de technologies.

Dans le cas d’Opella, on peut légitimement s’interroger : en quoi la cession de 50 % du capital d’une filiale pharmaceutique, qui commercialise un produit à base d’une molécule depuis longtemps tombée dans le domaine public, met-elle en péril la souveraineté nationale ? Le tollé provoqué par cette opération semble disproportionné. Ne serait-il pas plus pertinent de s’inquiéter du retard de la France en matière d’innovation technologique dans le domaine de la santé, vrai risque pour notre souveraineté ? Plutôt que d’entraver une transaction destinée à financer l’avenir, ne devrions-nous pas encourager ces initiatives ?

De manière plus générale, il semble pertinent de questionner l’élargissement constant de la liste des secteurs jugés stratégiques. Aujourd’hui, des technologies comme l’intelligence artificielle, la robotique ou les technologies quantiques, bien que non liées à la sécurité nationale, sont classées comme « sensibles ». Or, ces innovations nécessitent des financements privés, que l’État ne peut remplacer.

L’importance de la sortie dans une opération de capital investissement est bien connue. On le sait, c’est lors de la sortie que les fondateurs sont récompensés de leurs efforts et de leurs sacrifices et qu’un investisseur réalise la plus-value espérée lors de l’entrée dans le capital. Les opportunités de sortie sont un des facteurs, avec l’équipe et le produit, qui influencent la décision d’investir. Or, si celles-ci sont soumises à la discrétion du politique, cela peut freiner, voire limiter les décisions d’investir, particulièrement lorsque la société est mature. En d’autres termes, il conviendrait de ne pas freiner la souveraineté offensive, favorisée par l’innovation, en privilégiant une approche purement défensive de la souveraineté.

À rebours des discours sur le « patriotisme économique », autre nom du protectionnisme, si on veut préparer l’avenir et favoriser l’émergence des technologies de rupture, qui constitue la meilleure garantie de notre souveraineté, il est peut-être temps de réformer le cadre juridique des investissements étrangers. Il conviendrait par exemple de distinguer clairement entre les États de provenance des investisseurs, ressortissants de l’Union européenne ou non, de pays alliés ou non, et d’adapter le contrôle en fonction. Cela permettrait de renforcer la compétitivité de la France tout en préservant nos intérêts stratégiques.

La cession de 50% du capital d’Opella par Sanofi soulève une question cruciale : comment équilibrer la protection de notre souveraineté et l’ouverture aux investissements étrangers ? Si la réglementation actuelle cherche à garantir la sécurité nationale, elle ne doit pas non plus freiner l’innovation de rupture, seule véritable garantie de notre souveraineté, en limitant l’accès aux financements indispensables à son développement.

Renée Kaddouch, Docteur en Droit, Avocat à la Cour, Associée, Squair


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