Devoir de vigilance en France : où en est-on ?

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Véronique Bruneau Bayard, avocate senior counsel, De Gaulle Fleurance fait le point sur le devoir de vigilance.

Le mois dernier, c'était la fin, ou presque, d’un feuilleton à multiples rebondissements avec l’adoption par le Parlement européen de la directive sur le devoir de vigilance (Corporate Sustainability Due Diligence Directive ou CS3D) qui exige des entreprises, et de leurs partenaires, de prévenir, stopper ou atténuer leur impact négatif sur les droits humains et l’environnement. Ceci inclut l’esclavage, le travail des enfants, l’exploitation par le travail, l’érosion de la biodiversité, la pollution ou la destruction du patrimoine naturel. Les entreprises devront intégrer le devoir de vigilance dans leurs politiques, réaliser les investissements nécessaires et obtenir des garanties contractuelles de la part de leurs partenaires afin de s’assurer qu’elles se conforment à ces nouvelles obligations. La directive CS3D va donc contraindre les entreprises à adopter un comportement durable et responsable tout au long de leurs chaînes de valeur au niveau mondial.

Ces dernières années, le Parlement européen a souhaité davantage de responsabilité de la part des entreprises et une législation obligatoire en matière de devoir de vigilance. La directive CS3D répond donc à cette demande et s’ajoute à d’autres règlements : l’un de 2023 qui vise à réduire le risque de déforestation et de dégradation des forêts, un autre de 2017 qui fixe des obligations de diligence pour les importations de minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque et un projet de règlement qui permettrait à l’Union européenne d’interdire la vente, l’importation et l’exportation de biens issus du travail forcé. 

La directive CS3D a fait l’objet de nombreuses discussions et de modifications, en raison des nouvelles contraintes qu’elle va faire peser sur les sociétés européennes, dont l’un des plus notables est la réduction du périmètre d’application initial. Elle concerne les entreprises et les sociétés mères européennes employant plus de 1 000 salariés et ayant un chiffre d’affaires mondial supérieur à 450 millions d’euros ainsi que les franchises européennes réalisant un chiffre d’affaires mondial supérieur à 80 millions d’euros. Elle s’appliquera également aux entreprises non européennes, aux sociétés mères et aux franchises de pays tiers qui atteignent les mêmes seuils de chiffre d’affaires dans l’Union européenne. Chaque État devra créer ou désigner une autorité de surveillance qui sera chargée d’enquêter et sanctionner les entreprises qui ne respectent pas leurs obligations en leur infligeant des amendes pouvant aller jusqu'à 5% de leur chiffre d'affaires mondial. Les entreprises seront aussi responsables des dommages causés par le non-respect de leurs obligations en matière de devoir de vigilance et devront indemniser intégralement leurs victimes.

Avant même l’entrée en vigueur de la directive CS3D, en France, certaines sociétés sont déjà concernées par le devoir de vigilance, qui a été introduit dans les articles L225-102-4 et L225-102-5 du code de commerce, en mars 2017, avec la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre. Cette loi faisait suite à l’effondrement, quelques années plus tôt, du bâtiment Rana Plaza au Bangladesh, qui abritait une usine de textile travaillant pour des grandes marques occidentales, et qui avait causé plus de 1 100 morts. La France était alors le premier pays à se doter d’une loi sur le devoir de vigilance avec un champ d’application moins large que la directive CS3D. En effet, aujourd’hui, la loi ne s’impose qu’aux sociétés, ou groupes de sociétés, ayant leur siège social en France et employant plus de 5 000 salariés, ainsi qu’aux sociétés, ou groupes de sociétés, ayant leur siège social en France ou à l’étranger et employant plus de 10 000 salariés. Les sociétés concernées doivent établir et mettre en œuvre de manière effective un plan de vigilance comportant des mesures raisonnables afin d’identifier les risques et prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ou l'environnement résultant de leurs activités, des sociétés qu'elles contrôlent, des sous-traitants ou des fournisseurs avec lesquels elles entretiennent une relation commerciale établie. Dans cette démarche de prévention des risques, les entreprises doivent prendre en compte l’ensemble de leurs parties prenantes : collaborateurs, fournisseurs, clients, actionnaires, acteurs économiques, ONG, etc.

Si une société ne respecte pas ses obligations de vigilance, toute personne justifiant d'un intérêt à agir peut la mettre en demeure de les respecter. La notion de "personne justifiant d'un intérêt à agir" n’est pas définie par la loi mais cela comprend notamment les ONG, les organisations syndicales, les associations, les consommateurs, etc. La société dispose alors de trois mois pour répondre à la mise en demeure et se conformer à ses obligations, à défaut, elle pourra se voir assigner devant le tribunal judiciaire de Paris, éventuellement même en référé. Plusieurs actions ont déjà été engagées envers des sociétés françaises par des associations, des ONG et des syndicats concernant leurs émissions de gaz à effet de serre, le non-respect de leurs obligations de prévention des droits humains et des dommages environnementaux, la déforestation ou le travail dissimulé et la sous-traitance illicite.

La directive CS3D étendra notablement le nombre de sociétés concernées en France par le devoir de vigilance. Elle doit maintenant être officiellement approuvée par le Conseil européen et signée avant d’être publiée au journal officiel de l’Union européenne et entrer en vigueur 20 jours plus tard. Les États membres auront alors deux ans pour la transposer dans leur législation nationale. 

Véronique Bruneau Bayard, avocate senior counsel, De Gaulle Fleurance


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