La propriété intellectuelle, un atout stratégique de réindustrialisation

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La réindustrialisation de la France est au centre de tous les débats. L’objectif de ces lignes est de mettre en lumière l’intérêt stratégique que peut présenter le droit de la propriété industrielle dans ce processus à enjeux majeurs et les avantages compétitifs que peuvent en tirer les entreprises, quelle que soit leur taille.

Au regard des charges importantes et incompressibles qu’implique une fabrication française, le seul moyen en effet, pour les entreprises, de compenser ce déficit originel de compétitivité, est de proposer des produits à haute valeur ajoutée, innovants et/ou impliquant dans leur processus de fabrication, la mise en œuvre de savoir-faire uniques.

La désirabilité des produits français, leur attractivité sur le marché national et à l’export, en dépend et sera ainsi intimement liée à cette notion d’exclusivité.

C’est précisément la fonction première d’un droit de propriété intellectuelle, quel qu’il soit (le brevet pour une invention technique d’application industrielle, la marque pour tous les signes distinctifs permettant au consommateur d’identifier l’origine d’un produit, les dessins et modèles et/ou le droit d’auteur pour le design, par exemple, etc).

Le droit de la propriété intellectuelle garantit ainsi au titulaire, un monopole exclusif, envisagé par la Loi comme un droit de propriété absolu, de même valeur que celui qui porterait sur un bien physique (un bien immobilier par exemple), sauf qu’il s’agit ici de valeurs, d’actifs, immatériels.

Le droit de la propriété intellectuelle permet donc, à la fois, pour les entreprises, de protéger les investissements consacrés pour se distinguer, et de garantir au consommateur, l’origine du produit acheté.

Par l’effet du droit de la propriété intellectuelle, le consommateur est en effet assuré que les caractéristiques qu’il est venu chercher dans tel produit, plutôt qu’un autre (et pour lequel il aura sans doute accepté de payer plus cher), il n’aurait pu les trouver ailleurs.

C’est tout l’enjeu de ce droit, qui permet, par cette contrepartie qu’est le monopole octroyé, de stimuler les investissements, la désirabilité des produits proposés et plus généralement la croissance économique.

La France se distingue, à cet égard, par les moyens solides donnés aux entreprises pour innover et se protéger, avec des institutions susceptibles d’accompagner les acteurs d’une réindustrialisation innovante (l’INPI, la BPI, etc), mais également par l’efficacité de la réponse judiciaire proposée en cas d’atteinte à un droit de propriété intellectuelle, avec une portée qui peut être européenne.

En effet, la France s’est dotée, depuis plusieurs années, de juridictions ultra spécialisées dans ces domaines de la propriété intellectuelle, réparties sur l’ensemble du territoire national, permettant ainsi aux entreprises, où qu’elles se trouvent, de défendre activement leurs droits.

Si la Justice peut avoir, dans beaucoup de domaines, des difficultés qui ne peuvent être niées, le contentieux de la propriété intellectuelle présente l’avantage de fonctionner de façon plus autonome, avec des chambres dédiées, la solidité de la réponse judiciaire ainsi apportée en cas d’atteinte étant certainement de nature à favoriser les investissements en France et la réindustrialisation.

Le déploiement de la Juridiction Unifiée du Brevet (JUB) depuis janvier dernier, dont le siège de la division centrale se trouve à Paris, et qui sera seule compétente pour connaître des atteintes et de la validité des brevets unitaires et européens, va également dans un sens favorable à la réimplantation en France de sociétés innovantes, en mettant fin notamment, à la nécessité de multiplier les actions dans différents pays européens en cas d’atteinte à un brevet d’ampleur pluri-territoriale.

Dans son discours d’inauguration de la JUB, le Garde des Sceaux a d’ailleurs rappelé que la défense des droits de propriété intellectuelle était une priorité du Ministère de la Justice, ce qui constitue, là aussi, un signal positif en faveur de l’innovation et de la création en France.

En matière de marques, le Tribunal de Paris était déjà compétent pour statuer comme Tribunal de l’Union Européenne sur les affaires de contrefaçon impliquant des marques de l’Union Européenne, avec la possibilité d’obtenir des mesures d’interdictions à l’échelle de l’Union Européenne.

Le dispositif juridique et institutionnel dédié à la défense des droits de propriété intellectuelle donne ainsi aux entreprises des moyens efficaces de défendre leur identité, l’exclusivité de leurs savoir-faire et leurs investissements.

Citons, parmi les outils à disposition, dont certains uniques en Europe, et les actions concrètes susceptibles d’être mises en œuvre, la saisie-contrefaçon, facilitant la recherche de preuves des atteintes reprochées, les demandes d’interventions auprès des services des douanes, comptant des opérateurs dédiés, suivies de possibilités de mesures de destruction simplifiée des produits appréhendés, les procédures rapides de type référé permettant d’agir à l’encontre d’atteintes caractérisées, y compris en ligne, sur des sites marchands et/ou des places de marchés (marketplaces), les possibilités de mises sous surveillance et d’alertes, notamment au bénéfice des collectivités territoriales souhaitant également protéger leurs noms ou autre actifs pour mettre en valeur les actions entreprises sur leurs territoires, etc.

Le droit de la propriété intellectuelle accompagne ainsi la renaissance d’écosystèmes entiers, certains droits étant également destinés à être exercés collectivement, par un groupe d’acteurs économiques répondant à des standards de qualité communs et/ou opérant sur un même territoire.

On pense ici en particulier aux marques collectives, aux appellations d’origine et/ou aux indications géographiques protégeant les produits industriels et artisanaux (IGPIA).

Au-delà du monopole, ces droits exercent une fonction documentaire d’importance, les savoir-faire protégés étant cristallisés dans des règlements d’usage et/ou des cahiers des charges fournis, dont la rédaction a pu mettre autour d’une même table, chercheurs, historiens, collectionneurs, etc.

Ce travail documentaire, au service de droits collectifs, permet ainsi de lutter contre la déperdition des savoir-faire et en favorise, au contraire, la transmission.

S’agissant plus particulièrement des appellations d’origine et/ou des indications géographiques, qui impliquent un lien fort avec un territoire donné, leur reconnaissance permet de redynamiser le tissu économique français d’une façon plus diffuse, moins concentrée sur les grandes métropoles.

C’est ce qui explique que les acteurs publics locaux soient très mobilisés sur ces sujets.

Il s’agit pour eux de protéger leur patrimoine et mettre en valeur leur territoire, ce qui se traduit parfois par un rebond touristique (voir l’exemple d’Espelette, qui attire plus de 300.000 visiteurs par an, avec des retombées économiques estimées, déjà en 2016, entre 65 et 70 millions d’euros1).

Pour un acteur économique, l’adhésion à ces standards et l’exploitation des signes de reconnaissance de qualité et d’origine qui y sont liés, sont des moyens de se développer.

D’autres labels d’origine et de qualité existent, au bénéfice des entreprises, permettant d’en distinguer le processus de fabrication et/ou les savoir-faire (Made In France, Entreprise du Patrimoine Vivant, etc) et susceptibles de conférer à son bénéficiaire un avantage compétitif sur ses concurrents.

Enfin, s’ajoute à cela une législation fiscale favorable à l’innovation, propre à encourager les exportations, et permettant également de monétiser, à des conditions fiscalement avantageuses, l’exploitation de droits de propriété intellectuelle, ce qui peut constituer un levier supplémentaire de compétitivité au bénéfice des entreprises.

La propriété industrielle constitue, pour ces raisons, un atout majeur de réindustrialisation.

Maître Julie Curto, Avocat (Cabinet Julie Curto)

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1- https://www.francebleu.fr/infos/economie-social/aout-2016-carton-plein-au-pays-basque-1472549030


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