Préserver notre État de droit

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Depuis le début de la pandémie, le barreau de Lyon appelle à la vigilance et à la mobilisation contre les mesures attentatoires aux droits et libertés durant l’état d’urgence sanitaire. En mai 2020, le Conseil de l’Ordre des avocats annonçait la création d’un Observatoire local des libertés publiques en période d’état d’urgence sanitaire, réunissant universitaires, professionnels de santé et organisations de défense des droits humains, soucieux de veiller à préserver les fondements de notre État de droit, y compris en période d’exception. Aujourd’hui, c’est à travers une tribune  que le barreau de Lyon souhaite faire entendre sa voix face à la pérennisation de fait des atteintes aux libertés et aux droits fondamentaux : il devient urgent de restaurer l’État de droit dans notre pays.

L’irruption du Covid-19 en France, au début de l’année 2020, a constitué un défi inédit pour nos gouvernants, confrontés à une pandémie sans précédent dans l’ère contemporaine, mais aussi et surtout pour notre État de droit soumis à de vives tensions depuis l’état d’urgence antiterroriste de 2015 à 2017. 

Dès les premières semaines de la crise sanitaire, le Barreau de Lyon a fait part de sa vive préoccupation face aux restrictions de grande ampleur affectant les droits et libertés fondamentaux. Atteinte à la liberté d’aller et venir, confinement généralisé de la population, impossibilité d’accompagner les mourants, affaiblissement des droits de la défense : les mesures concrètes du nouveau régime d’exception créée par la loi du 23 mars 2020 ont rapidement affecté tous les champs de nos vies personnelles et professionnelles.

Par motion adoptée le 15 mai 2020 en réaction à une première prorogation de l’état d’urgence sanitaire, le conseil de l’Ordre a créé un Observatoire lyonnais des libertés publiques, souhaitant mettre en garde nos concitoyens face à ces nombreuses atteintes aux libertés publiques dans une période exceptionnelle marquée par une concentration inédite des pouvoirs confiés à l’exécutif et un affaiblissement corrélatif des contre-pouvoirs institutionnels (Parlement et institution judiciaire).

L’évolution de ce régime d’exception - alternant ces deux dernières années état d’urgence sanitaire plein et entier et régimes transitoires de sortie de crise - a confirmé ces craintes. En banalisant les restrictions aux libertés fondamentales et en brouillant les frontières entre norme et exception, le régime juridique de l’état d’urgence sanitaire a affaibli de manière durable notre État de droit.

La loi du 22 janvier 2022 « renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique » illustre cette situation nouvelle où les pouvoirs du conseil de défense sanitaire - institution soumise au secret-défense et à la composition inconnue - sont désormais consacrés et où le rôle des parlementaires est systématiquement minoré.

Nous déplorons que cette nouvelle loi consacre des atteintes toujours plus fortes à la liberté fondamentale d’aller et venir, aux droits au secret médical et au respect de la vie privée, en instaurant un « passe-vaccinal » expérimental dont le caractère strictement nécessaire, proportionné et adapté aux risques sanitaires interpelle de nombreux juristes.

De nombreuses voix se sont élevées pour formuler des avis, des propositions et des réserves afin d’amender ce texte : le Conseil national des barreaux (CNB), la Défenseure des Droits, la Commission nationale informatique et libertés (CNIL). Aucune de ces institutions n’a été écoutée.

Opérant un contrôle restreint des mesures renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire, le Conseil constitutionnel a jugé cette loi conforme à la Constitution par décision du 21 janvier 2022 (n° 2022-835 DC), considérant les atteintes portées aux libertés fondamentales, proportionnées à l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé. 

Nous regrettons le caractère restreint du contrôle ainsi exercé, lequel tend à pérenniser un régime d’exception, fondé sur des mesures dont l’efficacité échappe à tout contrôle, malgré les demandes des autorités administratives et publiques indépendantes.

Sur ce point et à quatre reprises déjà, la CNIL a, vainement, adressé un avis au Parlement, afin d’attirer son attention et celle du gouvernement sur la nécessité, près de deux ans après le début de l’épidémie, de produire des éléments permettant d’évaluer pleinement l’efficacité des fichiers et dispositifs mis en œuvre avec TousAntiCovid, SI-DEP, Contact-COVID, Vaccin COVID et le passe-sanitaire.

Le maintien, sans limitation ferme dans le temps, de ces dispositifs et de ces mesures attentatoires aux libertés, en particulier celles portant atteinte au secret médical, devrait revêtir un caractère exceptionnel. 

Nous ne pouvons nous satisfaire d’une situation où l’accès à de nombreux lieux recevant du public mais aussi à certains transports publics longue distance est désormais subordonné à la justification de son statut médical, a fortiori d’un schéma vaccinal complet.

Le Règlement européen du 14 juin 2021 (n°2021/953), relatif à un cadre pour la délivrance, la vérification et l’acceptation de certificats COVID-19 interopérables de vaccination, de test et de rétablissement, a pourtant rappelé que « la possession d’un certificat de vaccination, ou la possession d’un certificat de vaccination mentionnant un vaccin contre la COVID-19, ne devrait pas constituer une condition préalable à l’exercice du droit à la libre circulation ou à l’utilisation de services de transport de voyageurs transfrontaliers (…) » 

Nous nous inquiétons aussi du délitement du contrôle des pouvoirs de police alors que la loi adoptée permet aux établissements recevant du public de vérifier l'identité de leurs clients.

L’accroissement des mesures de police administrative, dont l’objet est de prévenir les troubles à l’ordre public, au détriment de la police judiciaire, qui sanctionne les actions pénalement répréhensibles, est susceptible, par sa nature même, d’affecter plus globalement et plus profondément les libertés fondamentales de tous les citoyens. 

Nous déplorons l’absence de prise en compte, dans cette loi, de l’intervention du Conseil National des Barreaux qui contestait, notamment, l’exigence d’un passe-vaccinal pour se rendre à une convocation de Justice ou chez un avocat et l’impossibilité pour celui-ci de concourir au droit de la défense, exception ressortant du domaine de la loi et pourtant déjà reconnue par le Conseil d’Etat. 

Face à la pérennisation de fait des atteintes aux libertés et aux droits fondamentaux, le droit européen doit désormais servir de garde-fou. A l’heure où la France préside le Conseil de l’Union européenne, il devient urgent de restaurer l’État de droit dans notre pays. 

Madame la Bâtonnière Marie-Josèphe LAURENT
Monsieur le vice-Bâtonnier Jean-François BARRE
Les membres du Conseil de l’Ordre
Me Franck HEURTREY, Président de la commission Droits de l’Homme et Libertés publiques
Me Romain LAFFLY, avocat au barreau de Lyon
Me Rémy DANDAN, membre de la commission Droits de l’Homme et Libertés publiques
Me Florestan ARNAUD, membre de la commission Droits de l’Homme et Libertés publiques

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