Le Doctorat Droit : un sésame sur un monde en mutation

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Aujourd’hui, quand on veut faire appel à l’expertise de quelqu’un en droit, notamment sur des sujets de prospective juridique, on ne fait pas systématiquement appel à des chercheurs, mais plutôt à des avocats ou à des consultants parfois même sans bagage juridique. Pourtant, les jeunes docteurs et doctorants sont les plus au fait de l’actualité juridique et des évolutions sociales, sociétales et technologiques de leur domaine de recherche et sont donc tout à fait légitimes pour éclairer les entreprises.

Les aspirations des doctorants et docteurs en droit

La situation des doctorants et docteurs en Droit en France souffre de la comparaison avec la place du doctorat dans différents pays étrangers, en particulier anglo-saxons, où le diplôme est bien mieux perçu dans les milieux professionnels. Nous vivons pourtant dans le même monde en profonde transition environnementale, sociétale, sanitaire ou encore numérique et avons plus que jamais besoin d’une recherche indépendante qui s’intéresse à ces phénomènes. Les personnes qui préparent une thèse le font car elles sont convaincues qu’il y a matière à enrichir leurs propres connaissances et à changer les choses. Il faut que la société et les entreprises saisissent les connaissances développées lors de ces travaux car il s’agit d’une expertise très précieuse dans un environnement qui est de plus en plus complexe à comprendre et à maîtriser.

L’insertion professionnelle des docteurs en droit

En France, le marché du travail des docteurs reste problématique, on remarque même une certaine méconnaissance à l’encontre du doctorat. Pour contrer cela, nombreux sont les docteurs en droit à devoir passer le diplôme d’avocat pour pouvoir ensuite devenir juriste en entreprise. Je connais plusieurs docteurs qui avaient déjà travaillé en entreprise, et qui se retrouvaient, à trente ans passés, à faire des stages, sans rien apprendre de plus, et en étant moins bien payés que certains qui sortaient d’une école et qui découvraient le sujet. Heureusement, des acteurs comme l’Association Française des Docteurs en Droit (AFDD) interviennent pour changer ce regard. On observe d’ailleurs une évolution dans la société en général, avec un regain d’intérêt des journalistes, une multiplication des articles, sur la situation des docteurs en général mais aussi en droit. Reste la barrière de l’entreprise où il n’y a pas de reconnaissance sur le temps passé à ces recherches dans les grilles d’évaluation en interne. Il faut rappeler que les doctorants ne sont plus des étudiants mais des chercheurs avec de nombreuses compétences à la clé : une expertise juridique sur un sujet pointu ; une culture juridique supérieure à la moyenne ; des qualités rédactionnelles ; une forte capacité d’analyse et de synthèse ; une autonomie dans le travail ; une force de caractère et ténacité (il en faut pour soutenir sa thèse) ; et enfin une aptitude au management grâce à l’expérience de l’enseignement.

Une dynamique pour les thèses CIFRE

Il y a aussi des entreprises qui accueillent de plus en plus de doctorants en thèses CIFRE, et contribuent à changer le regard sur eux. Ce mode de financement des thèses associe étroitement l’université (où se trouve le laboratoire de recherche), l’entreprise et le doctorant, qui déterminent en commun le thème de la recherche. Les sujets qui se prêtent le mieux à ces recherches sont ceux qui portent sur des nouvelles matières, comme le droit des nouvelles technologies, le droit de l’environnement, le droit fiscal, le droit de l’espace ou encore le droit public. Mais il n’y a pas de règle absolue, n’importe quel thème peut susciter l’intérêt d’une structure à un moment particulier. Le succès rencontré par les écoles doctorales ayant adopté une démarche volontariste de recherche de collaboration avec les entreprises est également très encourageant. Pour les laboratoires, cela permet de créer des liens avec le monde de l’entreprise, d’augmenter les débouchés pour les étudiants y compris ceux qui ne font pas de recherche après leur Master mais aussi d’irriguer la société avec des idées et des concepts nouveaux.

Des missions faites par des docteurs et doctorants en droit

Les missions que Legal Brain Avocats propose actuellement durent généralement quelques jours. Evidemment, les conférences ou formations pour sensibiliser un nouveau sujet ou une matière se concentrent souvent sur une journée. Enfin, il est aussi possible de créer un comité pluridisciplinaire avec par exemple un chercheur en Économie, un chercheur en Intelligence Artificielle et un chercheur en Droit, pour avoir un état de l’art complet ou une vision globale d’un sujet complexe. Les entreprises sont souvent favorablement surprises car les docteurs ont une manière de poser les problématiques qui va plus loin que les généralités qu’on a l’habitude d'entendre.

Pour conclure, les docteurs en Droit sont de véritables experts mais il faut leur donner l’opportunité de s’exprimer, et leur laisser une liberté de recherche. Par exemple, avec l’entrée en application du RGPD, du jour au lendemain des centaines de juristes et de non juristes se sont prétendus experts en accompagnement RGPD, alors qu’ils n’avaient aucune expertise. De l’autre côté, les véritables experts n’ont pas eu la possibilité de faire valoir leur savoir. J’ajouterai que travailler sur un sujet très pointu n’implique pas que les connaissances acquises se limitent à ce sujet. Une recherche sérieuse oblige aussi à en maîtriser les aspects périphériques, d’autant que des approches transversales sont très souvent nécessaires.

Yann-Maël Larher, Docteur en droit social, Avocat au Barreau de Paris


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