Le Brésil ou le temps de la maturité pour l’arbitrage commercial

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Marie-laure Cartier-Marraud, Avocat au Barreau de Paris, Counsel - Jones Day - São PauloLe Brésil est une terre d’avenir mais surtout de présent pour l’arbitrage commercial ainsi que le XIème Congrès annuel organisé par le Comité brésilien d’arbitrage (1) qui s’est tenu les 13 et 14 septembre 2012 à Porto Alègre l’a amplement montré.

Ce Congrès qui avait trait aux aspects économiques de l’arbitrage (“Aspectos Econômicos da Arbitragem”, "Economic aspects of arbitration") a réuni pendant deux jours de nombreux intervenants de qualité - professeurs, arbitres, avocats, consultants (2) - de toutes nationalités, pas seulement brésilienne. Outre de nombreux développements sur le thème précité (3) , il a surtout permis de mettre en lumière la maturité du Brésil dans le domaine de l’arbitrage.


1- Les grandes étapes législatives et judiciaires de l’arbitrage au Brésil

Brièvement, on rappellera que c’est seulement en 1996 que le Brésil a adopté une loi moderne d’arbitrage, faisant fi dans une certaine mesure de la méfiance des milieux conservateurs à l’égard de ce mode extra-judiciaire de règlement des conflits (4).

Mais c’est surtout la décision de la Cour Suprême fédérale brésilienne (Supremo Tribunal Federal- STF) (5) du 12 décembre 2001 affirmant la constitutionnalité de la loi brésilienne relative à l’arbitrage (6) ainsi que les décisions du Superior Tribunal da Justiça- STJ (7) - équivalent de notre Cour de cassation française- de reconnaissance des sentences rendues, notamment étrangères depuis un transfert de compétence opéré grâce à une modification de la constitution brésilienne (8), qui ont conduit les tribunaux étatiques brésiliens à rendre un corpus de décisions favorables à l’arbitrage (9) et accepter ainsi définitivement celui-ci comme mode valable de règlement des litiges (10).

La ratification en juin 2002 par le Brésil de la Convention de New York de 1958 relative à la reconnaissance et à l’exécution des sentences arbitrales étrangères, véritable pierre angulaire de l’arbitrage international avec 147 états signataires en 2012, a parachevé cette évolution.


2- La croissance brésilienne a profité à l’arbitrage et réciproquement

A l’instar de l’économie brésilienne qui a connu au cours de ces 15 dernières années un essor sans précédent, le Brésil se plaçant au 6ème rang du classement des économies mondiales en 2011 (11), l’arbitrage a lui-aussi connu un développement rapide et important.

L’amélioration des conditions économiques et l’attractivité croissante du Brésil pour les investisseurs, étrangers notamment, ont naturellement profité à l’arbitrage commercial tant domestique qu’international.

Certains conférenciers ont exprimé l’idée que si l’arbitrage a bénéficié du développement économique brésilien, l’introduction d’un droit de l’arbitrage efficace et moderne au Brésil a lui-aussi contribué à l’essor économique du pays dont l’attractivité s’est trouvée renforcée du fait de la mise en place d’une législation favorable, rassurante pour les investisseurs.

Le recours à un seul et même juge partout dans le monde, indépendamment des contingences locales, est évidemment satisfaisant et rassurant pour les acteurs du commerce international. Par ailleurs, l’adoption de règles unifiées et supra-nationales (CNUDCI, principes UNIDROIT, Convention de New-York, etc.) a permis une sécurisation plus grande de l’arbitrage, faisant de lui le mode normal de règlement des litiges dans les contrats internationaux, y compris désormais au Brésil, la clause d’arbitrage constituant parfois même une condition de signature du contrat ! (12)

S’agissant du Brésil, il n’est pas de doute que l’arbitrage figurera - et figure sans doute déjà - dans nombre des clauses de règlement des litiges des contrats et marchés conclus en vue de la Coupe du Monde de Football de juin 2014 et des Jeux Olympiques de Rio en 2016 (13).

 

3- E agora ? Une nouvelle culture de règlement des conflits définitivement installée au Brésil

Le développement économique brésilien évoqué plus haut s’est accompagné, de façon logique, d’un accroissement corrélatif des contentieux. A cet égard, tous les intervenants brésiliens au Congrès, juges étatiques compris, ont reconnu que le pouvoir judiciaire brésilien ne pouvait plus répondre efficacement à la "demande" : l’arbitrage s’impose donc partout, dans tous les Etats du Brésil, lesquels le développent activement ainsi que les autres modes alternatifs de règlement des litiges («ADR»).

Une nouvelle culture du règlement des conflits est ainsi désormais partagée par tous les Etats brésiliens en vue de permettre une gestion efficace de la masse des contentieux.

Le nombre croissant des arbitrages CCI (14) comportant une partie brésilienne atteste de cet engouement.

Ainsi, en 1995, on dénombrait parmi les procédures régies par la CCI, seulement 4 arbitrages comportant une partie brésilienne ; en 2005, elle en comptait 35 et en 2010, sur près de 800 procédures d’arbitrage CCI, 74 d’entre elles ont impliqué des brésiliens (contre 62 pour le Mexique) (15).

Pour 2011, les résultats sont encore plus criants et le Secrétaire général de la Cour Internationale d’arbitrage de la CCI d’écrire : “En cinquante ans, il [le Brésil] est sorti de l'obscurité pour assumer une position dominante, rivalisant avec des poids lourds traditionnels tels que la Suisse et les Pays-Bas et les surpassant même quant au nombre de parties à des procédures de la CCI.” (16)

Le Brésil est ainsi en cinquième position des pays dont les ressortissants ont participé à un arbitrage CCI en 2010, après les Etats-Unis (8,67%), l’Allemagne (7,41%), la France (6,11%) et la Turquie (3,54%), les brésiliens représentant 3,45% de l’ensemble des parties aux arbitrages CCI. Cette même année, le droit brésilien en tant que loi applicable au fond de l’arbitrage vient en 6ème position après les droits anglais, suisse, américain, allemand et français, la loi brésilienne étant ainsi plus souvent choisie que les lois espagnole, mexicaine, belge ou italienne.

Autre point de développement intéressant : l’arbitrage domestique est lui-aussi en plein essor au Brésil. La presse juridique brésilienne évoque même une année en or dans ce domaine pour 2012 (17).

Enfin, ultime chiffre particulièrement parlant de l’attrait présenté par le Brésil pour les procédures d’arbitrage, celui du nombre croissant d’arbitres brésiliens intervenus sous les auspices de la CCI : leur nombre s’est élevé à 40 en 2010, le Brésil se plaçant ainsi au 9ème rang s’agissant de la nationalité des arbitres (18).

Le développement des institutions locales d’arbitrage confirme encore la tendance : leur nombre s’accroît en effet régulièrement tant au niveau des Etats brésiliens qu’au niveau fédéral. Le Centre d’arbitrage et de médiation de la Camara de Comercio Brasil-Canada créé en 1975 en est un bon exemple : cette Chambre jouit d’une très belle réputation au Brésil et elle est parvenue en quelques années à obtenir la confiance des entreprises tant brésiliennes qu’étrangères, lesquelles sont de plus en nombreuses à en prévoir l’utilisation dans leurs contrats (19).

Dernier exemple parlant de l’importance de l’arbitrage pour le marché brésilien : le fait que le Brésil n’est pas en reste de la concurrence que se livrent les pays (20), tous cherchant, on le sait bien, à mettre en place la « meilleure loi » de façon à accroître ou maintenir le rayonnement de leur propre droit. Le projet actuellement envisagé de réforme de la loi brésilienne d’arbitrage et soumis à une commission du sénat brésilien va bien évidemment dans ce sens (21).


Le XIème Congrès d’arbitrage qui s’est tenu récemment au Brésil a permis de mettre en lumière la maturité de ce pays en matière d’arbitrage. La maîtrise parfaite dont ont fait montre les conférenciers brésiliens de tous les sujets épineux que soulève cette matière confirme que le Brésil est définitivement entré dans la « cour des grands » de l’arbitrage commercial international. Les rédacteurs de contrats internationaux ne doivent plus avoir peur de s’engager dans la voie de la « tropicalisation » lorsqu’ils écrivent la clause de règlement des différends.

 

Marie-Laure Cartier-Marraud, Avocat au Barreau de Paris, Counsel - Jones Day - São Paulo

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NOTES

(1) CBAr- Comitê Brasileiro de Arbitragem
(2) Ont participé aux débats des 13 et 14 septembre du Congrès du CBAr : M. Pedro Batista Martins, M. Thomas Clay, Mme Selma Ferreira Lemes, M. Quinn Smith, M. Dietmar Prager, Mme Maria Claudia Procopiak, M. Marcelo Muriel, M. Yves Derains, M. Fernando Mantilla-Serrano, M. Joaquim Muniz, M. Miguel Angel Fernandez-Ballesteros, M. Massimo Benedetelli, M. José Ricardo Ferris, Mme Nadia de Araujo, M. Marcello Inglese de Suza, Mme Ellen Gracie, M. Walid Ben Hamida, M. Giovanni Ettore Nanni, M. Christiano Zanetti, M. Luciano Timm, M. Frederico Straube, M. Gregg Taylor, M. Arif Ali, M. Edgar Pereira, M. Araken de Assis, M. Carlos Alberto Carmona, M. Guy Horsman, M. Caio Campello de Menezes, M. Antonio Pinto Leite, M. John Rooney, M. José Emilio Nunes Pinto, M. Leandro Renno.
(3) Pour plus d’informations sur le contenu du colloque : consulter le CBAr et la Revista Brasileira de Arbitragem
(4) Loi n°93.07 du 23 septembre 1996
(5) Gardienne de la Constitution brésilienne et le pendant en quelque sorte de notre Conseil Constitutionnel français
(6) En particulier, la possibilité pour les parties de soumettre à l’arbitrage les litiges portant sur les droits patrimoniaux disponibles/ aliénables (Décision en assemblée plénière du 12 décembre 2001 du Supremo Tribunal Federal).
(7) La Cour Suprême (Superior Tribunal da Justiça) traite des violations de la loi fédérale tandis que la Cour Suprême fédérale (Supremo Tribunal Federal) juge  de  la constitutionnalité des lois.
(8) Jusqu’à 2004, la tâche d’homologuer les sentences étrangères était dévolue au STF ; c’est le STJ qui s’en charge désormais. Le STJ a d’ailleurs récemment exprimé lors d’un autre congrès l’importance de l’arbitrage : “O STJ reconhece a eficácia da sentença arbitral. A arbitragem é hoje um instrumento adequado para resolver conflitos que envolvem direitos disponíveis no campo privado e público”, (“le STJ reconnaît l’efficacité de la sentence arbitrale. L’arbitrage est aujourd’hui un instrument adéquat de résolution des conflits pour les droits aliénables tant dans le champ privé que public”) a rappelé  le Conseiller João Otávio Noronha le 29 novembre 2011.
(9) Pour plus de détails sur la teneur des décisions judiciaires : L’arbitrage au Brésil : droit et pratique dans une optique CCI – Christian Conejero et Renato S.Grion- Bulletin de la Cour Internationale d’arbitrage de  la CCI – vol 17/ n°2- 2006
(10) Un sondage de 2009 réalisé par le Comité organisateur du Congrès montre qu’un nombre infime de sentences arbitrales font l’objet d’un recours en annulation devant les tribunaux ; bien plus, un très petit nombre d’entre elles sont annulées (14 sur 678 !).
(11) Taux de croissance : 7,5% en 2010, 2,5% en 2011
6ème économie mondiale en 2011 derrière les Etats-Unis, la Chine, le Japon , l’Allemagne et la France 
PIB Projection 2020: Brésil classé 3ème – Certes, les prévisions sont un peu moins optimistes pour 2012, le Brésil subissant actuellement le contrecoup de la crise financière européenne.
(12) Par exemple, la convention liant la France à Disney pour le parc Eurodisney prévoit que, en cas de litige entre les parties, les tribunaux administratifs ne seront pas compétents. Les Américains estimaient que le Conseil d'État étant une structure étatique, il ne pourrait pas être indépendant et serait à la fois juge et partie. Il a donc été convenu que, dans ce cas, une procédure d'arbitrage international serait mise en place et il a même fallu voter un texte particulier en ce sens.
(13) Une inquiétude a toutefois été récemment exprimée à juste titre par des spécialistes brésiliens de l’arbitrage à propos de la teneur des clauses d’arbitrage figurant dans les projets de contrats de concession pour le train à grande vitesse entre Rio de Janeiro et São Paulo (article 43.1) et celui de concession pour les autoroutes (BR-040/DF/GO/MG et BR-116/MG, article 35.1.1) : ces projets contiennent en effet des clauses éminemment restrictives, voire même impraticables, prévoyant notamment, s’agissant du contrat de concession pour le train, que les parties auront recours à l’arbitrage (CCI) pour tous les litiges “ne portant pas sur des questions économico-financières du contrat” (“that are not related to financial/economic issues related to the Contract”) ou encore s’agissant des projets de contrats de concession des autoroutes, excluant de l’arbitrage les discussions relatives à la restauration d’un équilibre économique dans le Contrat, ainsi que les différends économico-financiers (are removed from arbitration “discussions about the restoration of the Contract’s financial-economic equilibrium, as well as financial/economic disputes between the parties”). Pour plus d’information : Bumps in the road to infrastructure arbitration, F.E. Serec, A.M.Barbuto Neto, www.internationallawoffice.com, 18 octobre 2012.
(14) Voir L’arbitrage au Brésil : droit et pratique dans une optique CCI – Christian Conejero et Renato S.Grion- Bulletin de la Cour Internationale d’arbitrage de  la CCI – vol 17/ n°2- 2006 et 2010 Statistical Report - ICC international Court of Arbitration Bulletin vol. 22/number 1 -2011
(15) 2010 Statistical Report - ICC international Court of Arbitration Bulletin vol 22/number 1 -2011
(16) Avant-propos du Bulletin CCI vol. 23 n.1
(17) Conjur (10/12/2012)- Arbitragem alargou horizontes do direito em 2012.
(18) Le classement des nationalités des arbitres dans l’ordre décroissant (avant le Brésil) étant le suivant : suisse (180), anglaise (177), française (120) américaine (100), allemande (88), belge (48), autrichienne (46) et canadienne (45).
(19) Existent également : la Câmara de Conciliação Mediação e Arbitragem da CIESP-FIESP (Federação des Industrias do Estado de São Paulo), la Câmara de Arbitragem Empresarial – Brazil, la FGV Chamber of Conciliation and Mediation, etc.
(20) Le décret français n° 2011-48 du 13 janvier 2011 portant réforme de l'arbitrage ayant réformé et modernisé  le droit français ou encore la nouvelle loi votée en Arabie Saoudite en juin 2012 (Décret royal n°M/34 publié au Journal official du 8 juin 2012) reflètent parfaitement cette tendance.
(21) A New Arbitration Law for Brazil? Kluwer Arbitration blog- Posted: 10 Sep 2012 04:37 AM PDT by Leandro Tripodi (CISG-Brasil.Net)


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