Entreprises en difficulté pendant la crise sanitaire : interview d'Alexandra Szekely

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Le Monde du Droit a interviewé Alexandra Szekely, avocate à la Cour et membre du Barreau de New York et associée du cabinet Le 16 Law. Elle revient pour nous sur le cas des entreprises en difficulté durant la période sanitaire actuelle.

Les entreprises dans la plupart des secteurs tournent au ralenti ou ont dû cesser leur activité du fait des fermetures administratives des commerces non-essentiels. Quelles sont les obligations légales du dirigeant en cas de difficulté de son entreprise ?

Le dirigeant d’une entreprise en difficulté doit prendre les mesures de nature à redresser la situation et sauvegarder les emplois.

Le dirigeant peut d’abord solliciter les mesures mises en place par le gouvernement et destinées à préserver la trésorerie des entreprises (report du paiement de certaines échéances fiscales et sociales, report de paiement des factures d’eau, gaz et électricité, suspension du paiement des loyers des locaux commerciaux ou professionnels sans risque de pénalité, de résiliation du bail ou de mise en œuvre des garanties, dispositif de chômage partiel). 

Le dirigeant pourra également tenter de solliciter un prêt garanti par l’Etat, ce dernier garantissant 90 % du montant du prêt, aux fins d’en faciliter l’octroi. A cet égard, on notera cependant que les entreprises d’ores et déjà en procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire sont expressément exclues du bénéfice des prêts garantis par l’Etat, et que les établissements bancaires restent frileux à accorder des prêts aux entreprises les plus en difficulté.  

Si ces mesures ne sont pas suffisantes, le dirigeant a en principe l’obligation de faire ouvrir une procédure de conciliation ou de redressement judiciaire dans un délai de 45 jours à compter de l’« état de cessation des paiements » de l’entreprise, à savoir à partir du moment où l’entreprise ne peut plus faire face à ses dettes échues et exigibles avec ses liquidités, et encourt une responsabilité personnelle s’il ne le fait pas. 

Pourquoi « en principe » ? Les obligations du dirigeant ont-elles évolué ? 

Oui. 

En premier lieu, le Ministère de la Justice avait annoncé le 19 mars dernier que les juridictions n’assureraient que les audiences les plus urgentes à savoir, s’agissant des entreprises en difficulté, que les ouvertures de procédures de mandat ad hoc, de prorogation de procédures de conciliation, et les audiences aux fins d’approbation de plans de cession. 

De fait, le dirigeant n’avait ainsi plus la possibilité de demander l’ouverture d’une procédure de conciliation, de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire – sauf devant les juridictions (dont le tribunal de commerce de Paris et Nanterre) qui avaient indiqué qu’elles examineraient les demandes qui leur seraient adressées de façon dématérialisée si l’urgence de la situation le justifiait.

En second lieu, par une ordonnance du 27 mars 2020, le gouvernement a décidé de geler l’appréciation de l’état de cessation des paiements d’une entreprise au 12 mars 2020. 

Par l’effet d’une fiction juridique, jusqu’à l’expiration d’un délai de trois mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, les entreprises ne sont ainsi pas considérées comme étant en état de cessation des paiements si elles ne l’étaient pas à la date du 12 mars 2020 et le dirigeant n’encourra aucune responsabilité personnelle s’il a retardé le dépôt du bilan de son entreprise pendant cette période. 

Concrètement, quelles sont les procédures à la disposition du dirigeant d’une entreprise en difficulté pendant l’état d’urgence sanitaire ?

En substance, le dirigeant dispose de tout l’arsenal des procédures préventives (mandat ad hoc et conciliation) ou de traitement des difficultés des entreprises (sauvegarde, redressement et liquidation judiciaire), à condition de démontrer l’urgence justifiant de demander l’ouverture d’une telle procédure pendant la période d’état d’urgence sanitaire et de fermeture des juridictions. 

Concrètement, si l’entreprise était en état de cessation de paiements avant le 12 mars 2020 :

  • le chef d’entreprise a toujours l’obligation légale de solliciter, dans un délai de 45 jours à compter de l’état de cessation des paiements de son entreprise, l’ouverture d’une procédure de conciliation ou de redressement judiciaire ;
  • il peut également solliciter l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire si l’activité de son entreprise a cessé ou que le redressement apparaît manifestement impossible. 

En revanche, si l’entreprise n’était en état de cessation des paiements au 12 mars 2020, le dirigeant peut, à son choix solliciter – même si son entreprise est en état de cessation des paiements depuis cette date – l’ouverture : 

  • d’une procédure préventive, à savoir un mandat ad hoc ou une procédure de conciliation, qui tendent à aboutir, dans un cadre confidentiel, à un accord amiable entre le débiteur et ses principaux créanciers afin de mettre fin aux difficultés de l’entreprise ; 
  • d’une procédure collective, à savoir une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire.

Le choix d’une procédure collective par rapport à une procédure préventive dépendra de la situation précise dans laquelle l’entreprise en difficulté se trouve. 

Si l’entreprise est dans une situation d’impasse de trésorerie, le dirigeant devrait privilégier une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, afin de bénéficier des avances de l’Assurance de garantie des salaires (AGS). Le choix entre procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire dépendra ensuite du niveau d’intervention de l’AGS requis. En effet, l’AGS peut intervenir soit uniquement pour prendre en charge le coût des licenciements (en procédure de sauvegarde) soit également le paiement des salaires que l’entreprise ne peut pas payer (en procédure de redressement judiciaire).

Propos recueillis par Arnaud Dumourier (@adumourier) 


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