Une thèse mesure l’impact de l’innovation digitale sur la transformation du marché du droit et des directions juridiques des entreprises

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Olivier Chaduteau, managing partner de Day One, a soutenu avec succès une thèse doctorale en Sciences Economique à Paris 2 Panthéon-Assas fin décembre dernier sur l'impact de l'innovation digitale sur le marché du droit et des directions juridiques des entreprises. Nous vous en présentons les grandes lignes.

Dans le cadre de sa thèse en Sciences Economiques sur « l'impact de l'innovation digitale sur le marché du droit et des directions juridiques des entreprises », Olivier Chaduteau a étudié l’évolution de la structure du marché du droit des affaires depuis ces 15 dernières années en France.

Le marché du droit des affaires connait une double rupture réglementaire et technologique entrainant une transformation de l’offre et de la demande.

Tendances dans les cabinets d’avocats d’affaires

Afin d’augmenter la « shareholder value » pour les « associés propriétaires », il apparaît que les firmes ont limité voire réduit le nombre d’associés au capital, augmenter leurs taux horaires ainsi que les objectifs d’heures facturés pour l’ensemble des avocats du cabinet.

Il dresse plusieurs constats :

- une nouvelle vague d’arrivée des cabinets américains depuis le début 2000,

- une croissance des petits cabinets français recrutant des associés quittant les firmes internationales

- la Création de cabinets de niche qui pouvaient entrer sur le marché à des prix supérieurs à leurs coûts minimum moyens.

Apparition des legaltech

La legaltech peut être considérée à la fois comme une nouvelle offre disruptive, au sens de Clayton Christensen (1995) et un produit de substitution, au sens de Michael Porter (1980) observe Olivier Chaduteau. La Legaltech accélère la production et réduit la notion de temps qui est un des éléments essentiels au business model des cabinets d’avocats.

Les legaltech permettent toutes d’accélérer, via l’automatisation, des processus décisionnels, opérationnels ou fonctionnels et de réduire les coûts de transaction sur les 3 étapes mises en avant par Coase, « pre-deal, deal making, post-deal » :

- 55% permettent de produire des contenus (« Delivering ») : automatisation de contrats, gestion de clausiers, audit de contrats…

- 30% permettent de partager (« Sharing ») : véritables plateformes bifaces de mise en relation et de partage.

- 12% permettent d’analyser des données pour prendre des décisions (« Decision making ») : justice prédictive, analyse probabiliste permettant d’éclairer l’utilisateur à travers des éléments statistiques et probabilistes.

- 4% : Autres.

Internalisation des juristes au sein de l’entreprise : le « in-house counsel movement »

Le marché du droit des affaires a connu sa première phase de réduction des coûts de transaction en internalisant les juristes au sein des entreprises ; le « in-house counsel movement » (Rosen,1989) aux Etats-Unis explique Olivier Chaduteau.

A travers deux analyses par les coûts, la thèse montre qu’à partir de 171.169 euros de dépenses juridiques externes récurrentes, l’entreprise doit internaliser la fonction juridique.

Toutefois, la théorie des coûts de transaction met en évidence que l’analyse par les coûts n’est pas suffisante. Trois critères (Williamson, 1985) doivent être analysés : l’incertitude, la fréquence et la spécificité des actifs.

De l’asymétrie de l’information à la « coopétition »

Compte tenu de la professionnalisation des Directions juridiques, l’ignorance des acheteurs, liée à une asymétrie d’information des acheteurs vis-à-vis des vendeurs, n’existent plus.

L’internalisation de la fonction juridique a permis ces dernières décennies de réduire l’asymétrie d’information entre les clients et les avocats, voire de l’inverser.

La relation peut relever de la « coopétition » relève Olivier Chaduteau concernant le capital humain et le recrutement.

L’évolution de l’offre et de la demande, et la transformation du marché impactent les prix et la perception de la valeur. La pratique du taux horaire est de plus en plus remise en cause.

Transformation de l’offre et de la demande

Cette analyse du marché du droit des affaires en France entre 2003 et 2017 a permis d’observer plusieurs évolutions et tendances :

- Interdépendance de l’offre et de la demande

- Développement d’une « nouvelle offre », celle des legaltech

- l’évolution de la demande

L’industrie du droit, du fait de la rupture technologique, de l’évolution de sa structure et de la transformation de l’offre et de la demande connait une évolution de la typologie des besoins, certains relevant du monopole des avocats, d’autres étant totalement hors monopole.

La digitalisation : seconde phase de réduction des coûts de transaction

Quatre dimensions, « Vitesse », « Collaboratif », « Données », « Exhaustivité », vont permettre aux Directions juridiques d’accélérer et de sécuriser davantage les opérations et donc de réduire les coûts de transaction ex-ante et ex-post de l’entreprise.

directions juridiques structuration

Au travers d’une étude auprès de juristes d’entreprises en France entre le 1er novembre 2019 et le 28 février 2020 avec des réponses de 334 juristes, Olivier Chaduteau a analysé *18 tâches pour l’ensemble des activités de contrat, conseil et contentieux.

Trois enseignements principaux ressortent de cette analyse de la répartition du temps des juristes d’entreprise interrogés :

- Baisse anticipée des activités administratives de -40% et des activités contractuelles de -25%,

- Augmentation des activités de management de +50% et des activités de conseil +23%,

- Stagnation des activités contentieuses.

taches juristes

Par conséquent, la valeur ajoutée du juriste pourrait se définir (d’après les répondants) par :

1. Rédaction des avis juridiques (57%)

2. Détermination de la stratégie contentieuse (54%)

3. Interaction avec le conseil externe en cas de contentieux (52%)

4. Négociation des contrats (51%)

5. Analyse de la demande en cas de contentieux (50%)

6. Analyse de la demande en cas de conseil (49%)

« Aujourd’hui, nous ne sommes pas dans une approche schumpetérienne de destruction créatrice qui mettrait en risque les professionnels du droit de se faire remplacer par la technologie, mais nous sommes plutôt sur une approche de la division du travail d’Adam Smith qui dit que, pour être plus productif, il faut segmenter son travail et de faire faire les tâches par la personne ou la machine la plus performante sur cette tâche. Par cette segmentation des tâches, il faut se demander quelles sont les tâches qui doivent être faites par un humain et celles qui doivent être faites par une machine. Cela permet ainsi de travailler sur l’efficience d’une direction juridique ou d’un cabinet d’avocats. Ensuite, il faut se demander ce qui doit être fait en interne par rapport à ce qui doit être fait en externe (« Make or Buy ») » explique Olivier Chaduteau

Arnaud Dumourier (@adumourier)

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* Les 18 tâches analysées :

- Contrat
1. Saisine du juriste
2. Etablissement / Rédaction du contrat
3. Négociation du contrat
4. Mise en visa interne du contrat
5. Mise en signature externe du contrat
6. Réception, stockage et archivage du contrat
7. Suivi des échéances contractuelles

- Conseil
8. Saisine du juriste
9. Analyse de la demande
10. Rédaction de l’avis juridique
11. Suivi

- Contentieux
12. Saisine du juriste
13. Analyse de la demande
14. Rédaction des courriers
15. Détermination de la stratégie contentieuse
16. Interaction avec le conseil externe
17. Suivi
18. Gestion des provisions


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