Peut-on encore vraiment licencier un entraîneur de football pour faute grave ?

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« Y’en a qu’ont essayé, ils ont eu des problèmes », Cette réplique du célèbre sketch de Chevallier et Laspalès n’a jamais autant concerné les clubs de football professionnel, qui tentent depuis des décennies de licencier leurs entraîneurs pour faute grave, quand ceux-ci n’obtiennent pas les résultats sportifs escomptés. Sans succès !  Un entraîneur signe un CDD avec le club qui l’emploie. Ce qui a pour conséquence que si le club souhaite s’en séparer avant le terme du contrat, il doit l’indemniser pour la durée restant à courir, tout en embauchant un nouvel entraîneur pour le remplacer.

Le salaire des entraîneurs pouvant être très élevé, les clubs sont parfois tentés de trouver des motifs leur permettant de licencier leur entraîneur sans avoir à l’indemniser. C’est à ce moment-là que la faute grave, ou faute lourde, fait son apparition.

Licencier un entraîneur sans l’indemniser : la faute grave ou la faute lourde 

Pour bien comprendre l’enjeu, il faut rappeler que la faute grave suppose que l'employeur ne peut pas maintenir le salarié dans l'entreprise, même temporairement. Elle est donc le résultat d'un fait, ou d'un ensemble de faits, qui constituent une violation des obligations du contrat de travail, ou des relations de travail. La gravité de la faute est appréciée en fonction des circonstances. Elle peut être reconnue même si elle est commise pour la première, et unique, fois.

Le Code du Travail stipule qu’un salarié licencié pour faute grave ne perçoit aucune indemnité de licenciement. Il ne pourra prétendre, sauf exception, à l’exécution d’aucun préavis ni à une indemnité compensatrice. Il bénéficie, simplement, d’une indemnité compensatrice de congés payés.

La faute lourde est, quant à elle, une faute d'une particulière gravité, révélant une intention de nuire du salarié à l'encontre de l'entreprise et de l'employeur. Elle justifie la rupture immédiate du contrat de travail. Là encore, ce dernier reçoit simplement une indemnité compensatrice de congés payés.

Et en pratique ?

En pratique, les clubs essayent régulièrement de licencier leurs entraîneurs pour faute grave. Moins pour faute lourde, cette dernière étant beaucoup plus difficile à justifier.

Mais les clubs sont, la plupart du temps, désavoués lorsque leurs décisions sont contestées en justice. L’un des derniers clubs à avoir été débouté est le Stade Olympique Chotelais (National 1), qui a amené la Cour d’appel d’Angers, dans un arrêt du 11 mars (n° 19/00138, M. A B) à déterminer les faits qui ne sauraient, selon les magistrats, être qualifiés de faute grave.

La Cour d’appel d’Angers commence par requalifier des propos de l’entraîneur considérés comme « injurieux et vexatoires » par le club, en propos « vifs et manquant de modération ».

Elle rejette la « pression morale » de l’entraîneur sur ses joueurs, ces derniers ne confirmant pas les faits, et ayant par ailleurs rejeté le besoin d’avoir un préparateur mental.

Le défaut de communication de l’entraîneur est, également, écarté, comme est écarté le fait qu’il ait déclaré ne pas vouloir s’investir à long terme dans le club.

Enfin, le fait qu’il quitte le club avec ses adjoints, ainsi que certains joueurs, n’est pas considéré comme une pratique déloyale mais comme la manifestation de la relation particulière qui lie généralement un entraîneur avec son « staff » et certains joueurs.

Le club a, par conséquent, été condamné à payer un rappel de salaire de quelques 6 000 euros, ainsi que 90 000 euros de dommages et intérêts pour rupture injustifiée du contrat de travail.

La preuve par l’image (du club)

Dit autrement, établir une faute grave en droit du travail n’est pas chose aisée. Cela l’est encore moins dans le milieu du football professionnel. Il n’aura échappé à personne qu’un entraîneur dont l’équipe gagne n’est jamais licencié. Ou extrêmement rarement. Par contre, un entraîneur dont l’équipe perd devient rapidement un problème pour son club employeur.

Mais les juges ne sont plus dupes. Ils lisent aussi parfois « l’Equipe » entre deux audiences.

Thierry Granturco, avocat aux barreaux de Paris et de Bruxelles


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