Allemagne : le législateur consolide le statut d’avocat en entreprise

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Josef SieversEn Allemagne, on estime à environ 40.000 le nombre d'avocats salariés qui exercent leur métier en entreprise. Par une loi adoptée le 17 décembre 2015, le législateur allemand vient de consolider le statut d'avocat en entreprise et de poser les conditions d'un exercice indépendant du métier. Reconnu depuis le 19ème siècle, ce statut avait été fragilisé par la jurisprudence récente de la Cour fédérale des affaires sociales, influencée par la décision de la Cour de Justice de l'Union Européenne du 14 septembre 2010 (Akzo Nobel).

Les juristes d'entreprises et autres avocats en France militent, avec de très bonnes raisons, pour la reconnaissance du statut d'avocat en entreprise. Ce statut permettrait en effet aux juristes d'entreprise français de lutter à armes égales avec leurs homologues étrangers, contribuerait à la compétitivité des entreprises françaises sur le plan international et à renforcer la place du droit et des professions juridiques dans le monde économique.

En attendant, ce statut existe dans de nombreux autres pays, notamment en Allemagne où, selon une longue tradition depuis le 19ème siècle, les juristes d'entreprise et d'associations, sous certaines conditions, sont admis au barreau et inscrits comme « avocat syndic » (« Syndikusanwalt »). On estime à environ 40.000 le nombre d'avocats exerçant dans les entreprises et associations en Allemagne.

Une décision de la Cour fédérale allemande en charge des affaires sociales du 3 avril 2014, suivant dans sa motivation sur le fond les considérations de l'arrêt de la Cour de Justice de l'Union Européenne du 14 septembre 2010 (Akzo Nobel), avait pourtant fragilisé la situation des avocats en entreprise. Au motif que les avocats d'entreprise ne disposeraient pas de l'indépendance de leurs confrères exerçant en libéral, car ils sont supposés être soumis aux instructions hiérarchiques, la Cour fédérale a remis en cause leur affiliation aux caisses de retraite des avocats. Cette décision a eu pour conséquence de soumettre les avocats en entreprise au régime général des cadres, jugé moins favorable.

Cette décision a suscité de nombreuses réactions négatives, notamment de la part de l'association fédérale des juristes d'entreprise (« Bundesverband der Unternehmensjuristen »), qui ont conduit le législateur, dès la fin de l'année 2014, à envisager une réforme dans ce domaine.

La loi du 17 décembre 2015 crée désormais un véritable statut de l'avocat en entreprise et clarifie ses droits et obligations, dont l'affiliation aux caisses de retraite des avocats.

Selon le nouveau cadre légal, le statut d'avocat en entreprise reste lié à des conditions strictes, à la fois en ce qui concerne l'accès au statut et l'exercice du métier. Il appartiendra aux barreaux d'apprécier au cas par cas, lors des demandes d'inscription, au regard des caractéristiques de la fonction confiée au juriste, si les conditions légales sont remplies.

Bien entendu, comme par le passé, ne peut être admis comme avocat en entreprise que le juriste qui dispose de la même formation que l'avocat exerçant en libéral, identique à celle des magistrats (les fameux deux examens d'Etat). Ensuite, l'activité de l'avocat en entreprise doit correspondre essentiellement à l'exercice du métier de juriste : l'analyse de questions juridiques, la dispense de conseils juridiques, les activités juridiques liées à la conclusion de contrats, y compris la conduite indépendante de négociations et l'exercice d'un mandat de représentation de leur employeur.

Par ailleurs, et surtout, le législateur allemand pose explicitement les conditions pour un exercice indépendant du métier d'avocat en entreprise : l'avocat ne doit pas recevoir d'instructions hiérarchiques qui empêcheraient une analyse indépendante du dossier. Pour éviter toute ambiguïté, la loi exige que l'indépendance dans l'exercice du métier d'avocat soit garantie contractuellement et dans les faits.

Enfin, un fait remarquable du point de vue de l'observateur français : il est certes interdit aux avocats en entreprise de représenter leurs employeurs devant les juridictions lorsque le ministère d'avocat est requis. Mais, il ne leur est pas interdit de développer une clientèle personnelle dans le cadre d'un exercice libéral, en complément de leur statut de juriste d'entreprise !

En conclusion, le législateur a consolidé le statut du « Syndikusanwalt » et a posé les conditions pour un exercice indépendant du métier en entreprise. La loi s'inscrit alors dans la continuité du système allemand et contribue à un développement sain de la fonction juridique.

Néanmoins, en toute hypothèse, concernant la confidentialité des échanges, le législateur allemand n'est pas allé au bout de sa logique et il reste un point d'insatisfaction majeur pour les juristes : invoquant sa volonté de garantir l'efficacité des poursuites pénales, la nouvelle loi exclut explicitement l'avocat en entreprise du bénéfice de la confidentialité de ses échanges avec son employeur ! Ses consultations juridiques sont alors saisissables et comme tout autre employé, il peut être amené à témoigner contre son employeur dans le cadre de procédures pénales et civiles.

Josef Sievers, Directeur juridique, avocat inscrit au barreau de Düsseldorf


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