Raison d'être et société à mission : le bilan après un an

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Le 18 juin dernier, Didier Martin, avocat associé du cabinet Gide, et Anne-France Bonnet, co-fondatrice de la Communauté des Entreprises à Mission, ont tenu un webinaire dressant un bilan sur l'application des notions de raison d'être et société à mission, introduites un an auparavant par la loi Pacte. A cette occasion, ont pris parole Philippe Renard, responsable du service de gouvernance et chef de projet Raison d'être d'Engie, et Franck Carnero, chef de mission de la transformation en société à mission de la MAIF.

La loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises, dite Pacte, et le décret d'application relatif aux sociétés à mission ont été adoptés respectivement le 22 mai 2019 et le 2 janvier 2020. Parmi les objectifs de la loi figurent la volonté de transformer la notion d'entreprise et son rôle sociétal. Cela est proposé à différent degrés.

L'intérêt social

Le premier, commun à toutes les entreprises civiles et commerciales, consiste en l'enrichissement de la notion de société à l'article 1833 du code civil, qui transcende désormais le simple partage de pertes et bénéfices par une gestion dans l'intérêt social, qui doit prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux.

Concrètement, cela requiert la mise en place d'un processus d'étude de ces enjeux lors de la prise de décisions par les dirigeants. Lors de la mise à l'écart d'une décision plus « solidaire », ces derniers devront justifier cette étude et démontrer d'avoir fait leur choix au regard de l'intérêt social. 

La raison d'être

Ensuite, l'article 1835 du même code propose aux entreprises qui le souhaitent d'adopter une raison sociale statutaire ou non, définissant des principes selon lesquels la société affectera ses moyens et qui lui permettront de se projeter sur le long terme.

Les praticiens se sont rapidement aperçus de la portée incertaine de ces engagements, en l'absence de précisions légales ou jurisprudentielles, notamment en termes de responsabilité et révocation des organes de direction.

Pour pallier cette incertitude, les praticiens doivent rédiger rigoureusement et ne pas employer des termes trop larges et dénués de sens, ou trop strictes et contraignants. Cela permettra d'immobiliser des objectifs reflétant l'intention réelle de l'entreprise et d'en éviter les modifications trop fréquentes. Par ailleurs, il est essentiel de dresser un bilan entre d'une part les risques et la portée juridiques, et d'autre part les opportunités apportées par cette consécration.

En mars 2020, le cabinet Comfluence publie un rapport estimant à 55% les entreprises du CAC 40 affichant une raison d'être, dont 64% s'en sont dotées à la faveur de la loi Pacte ou après la remise du rapport Notat-Sénard. Seulement 5% de ces entreprises semblent l'avoir inscrite dans les statuts.

Le 14 mai 2020, l'assemblée générale d'ENGIE adopte une raison d'être statutaire par un vote à 99,9%. Le processus d'adoption de celle-ci peut être divisé en deux phase. Une première au sein de la direction générale de définition de cette notion et d'enquête auprès des parties prenantes (salariés, actionnaires et investisseurs), durant environ 5 mois et permettant d'identifier les objectifs que la société veut poursuivre sur le long terme. Enfin, le dossier a été soumis au conseil d'administration, qui a approuvé le projet après 3 mois d'itération.

Pendant ce processus, s'est posée la question de savoir s'il était opportun d'inscrire ou non la raison d'être dans les statuts. La réponse positive a été finalement retenue, car l'inverse aurait fait preuve d'une confiance partielle dans le dispositif et aurait pu conforter une critique de purpose washing.

La société à mission

Enfin, est créée la qualité de société à mission à l'article L210-10 du code de commerce, désignant une volonté d'accroître son impact positif sociétal et environnemental par l'inscription de cette vocation dans les statuts. Le dispositif impose la mise en place d'un organe distinct des autres, composé d'au moins un représentant des salariés, qui suit les avancées de l'entreprise et rend un rapport joint à celui de gestion soumis à l'assemblée générale ordinaire. Ces avancées sont par ailleurs contrôlées par un organisme tiers indépendant, qui pourra révoquer la qualité de société à mission lorsque l'une des conditions ou des objectifs ne sont pas respectés.

En mai 2019, la MAIF annonce sa raison d'être, son manifeste, et l'intention d'adopter la qualité de société à mission, qui sera votée lors de l'assemblée générale prévue pour le 11 juillet 2020. Ces choix reflètent l'identité de l'entreprise mutualiste, soucieuse de son utilité auprès des clients et des sociétaires. Dans le processus de décision, l'arbitrage risques/opportunités a été appréhendé d'une part par l'identification de l'utilité de l'entreprise, qui l'a conduite à se demander ce qui manquerait au marché, si elle venait à disparaître. D'autre part, cette opportunité en termes de résilience, nécessitait d'une limitation des risques par la consultation des parties prenantes et la sécurisation juridique du processus réalisée grâce à l'accompagnement d'experts. Le comité de mission, dont la création est prévue pour l'automne, sera probablement composé d'une dizaine de représentants internes (des salariés, sociétaires et investisseurs) et externes, tels que des experts du climat et de l'égalité des chances qui aideront l'entreprise à progresser.

Des incertitudes persistent quant à la composition et la mission de l'organisme tiers indépendant. Néanmoins, ces sujets sont en cours de réflexion sous l'égide de l'AFNOR et de la CNCC.

L’État se trouve démuni face aux enjeux sociaux et environnementaux présents, ce qui le pousse à faire appel à l'action des entreprises. En découle la nécessité de repenser le rôle des entreprises dans la société à partir de l'enseignement aux nouvelles générations de la notion juridique de société.

Anne Claire Della Porta


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