Deux nouvelles batailles perdues par les applications OTT (distributeurs) dans la guerre qu’ils mènent aux éditeurs de chaînes. La plateforme de télévision en ligne MOLOTOV vient de perdre successivement deux procès contre les éditeurs de chaînes TF1 et M6.
Rappelons que la révolution numérique a fait évoluer les besoins du consommateur, notamment dans sa manière de regarder un programme audiovisuel. De simple spectateur dépendant du moment de diffusion à la télévision, le consommateur veut dorénavant pouvoir regarder son programme quand il le souhaite, comme il le souhaite et sur le support qu’il souhaite. En conséquence, aux côtés de l’offre des réseaux classiques (TNT, satellite, câble et ADSL/VDSL2), des applications OTT (Over-the-Top) dont MOLOTOV proposent d’accéder, par le biais d’un portail unique, à des contenus issus de différentes chaînes de télévision linéaire d’une part avec des services associés parfois payants (recherche, rattrapage, reprise de programmes depuis le début) et d’autre part sur tous les écrans et appareils connectés.
La question était de savoir si MOLOTOV devait, ou pas obtenir l’accord de M6 et de TF1 pour diffuser leurs chaînes en streaming gratuitement sur Molotov.tv.
En 2015, MOLOTOV avait conclu des contrats de distribution expérimentaux avec M6 (le 5 juin 2015 pour une durée initiale de deux ans qui s’est poursuivie jusqu’au 31 mars 2018) et avec TF1 (le 23 octobre 2016 pour une durée initiale de 14 mois qui s’est poursuivie jusqu’au 30 juin 2019). À partir de 2017, TF1 puis M6 ont informé MOLOTOV qu’ils allaient restructurer les conditions de distribution de leurs services, en exigeant une rémunération pour le droit de distribuer leurs chaînes de la TNT en clair avec des services associés. Des négociations distinctes se sont engagées entre les chaînes et MOLOTOV. Faute d’accord, M6 a mis fin à la reprise de ses chaînes à compter du 31 mars 2018 et TF1 à compter du 1er juillet 2019. MOLOTOV est passé outre et a poursuivi la reprise des chaînes des groupes TF1 et M6 sans autorisation.
MOLOTOV avait saisi l’Autorité de la Concurrence en prétendant que l’échec des négociations était lié au lancement concomitant de SALTO, une plateforme concurrente créée par M6, TF1 et France Télévisions.
Si les chaînes de télévision ont des accords de distribution rémunérateurs avec les fournisseurs d’accès à Internet, elles demeurent concurrentes des purs distributeurs de services OTT sur Internet. Ce qui différencie principalement les applications des éditeurs de chaînes (comme TF1 ou M6) des simples distributeurs OTT (comme MOLOTOV), c’est que les éditeurs ne proposent que leurs propres chaînes, ce qui limite forcément l’attractivité de leurs services. Pour se différencier, les éditeurs de chaînes doivent donc proposer des fonctionnalités spécifiques comme des avant-premières, des programmes exclusifs et des prolongements de leurs émissions-phare et le start-over qu’elles n’autorisent pas toujours chez leurs concurrents OTT.
Le 30 avril 2020, l’Autorité de la Concurrence a débouté MOLOTOV de sa demande.
De leurs côtés, TF1 et M6 avaient saisi le Tribunal Judicaire d’une action en contrefaçon (du fait de la diffusion de leurs chaînes sans autorisation). MOLOTOV prétendait notamment qu’elle n’avait pas besoin d’autorisation de TF1 et de M6 du fait de l’obligation légale de reprise dite « must carry ».
MOLOTOV soutenait que, de par loi et ses engagements vis-à-vis du CSA, elle avait l’obligation de fournir à ses abonnés un accès linéaire gratuit aux chaînes en clair, quel que soit le mode de diffusion, ce qui impliquerait corrélativement que les sociétés du GROUPE TF1 et M6 étaient obligées de lui proposer une offre tenant compte de cette contrainte économique.
Le Tribunal a rejeté l’argument en considérant que la loi n’impose pas que les éditeurs privés de services audiovisuels gratuits soient tenus de mettre à la disposition des distributeurs leurs services mais seulement d’assurer gratuitement leur diffusion auprès de la population. Le Tribunal rappelle que ce point été déjà été jugé notamment par la cour d’appel de Paris (arrêt n°19/16422 en date du 9 octobre 2020) dans la procédure opposant la société FREE aux sociétés BFM, RMC et DIVERSITE FRANCE en jugeant « qu’aucune disposition législative ou réglementaire ne s’oppose à ce qu’un éditeur autorisé à exploiter un service par voie hertzienne terrestre et ne faisant pas appel à une rémunération de la part des usagers, subordonne la fourniture de ce service à une rémunération de la part d’un distributeur de services qui met à disposition du public, par un réseau n’utilisant pas des fréquences assignées par le Conseil supérieur de l’audiovisuel une offre de service de communication audiovisuelle comportant des services de télévision ou de médias audiovisuel à la demande ».
Le Tribunal a aussi rejeté les demandes MOLOTOV portant sur la violation par les chaînes des règles édictées par l’Autorité de la concurrence, sur la volonté des chaînes de soumettre MOLOTOV à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties et sur l’existence d’une stratégie d’éviction mise en œuvre par les chaînes.
Par un jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 2 décembre 2021, MOLOTOV a été reconnue coupable d’actes de contrefaçon de droits voisins et des marques des sociétés du GROUPE M6 depuis le 31 mars 2018 et a été condamnée à payer à ces dernières 7 000 000 € de dommages et intérêts. MOLOTOV doit également cesser de diffuser les chaînes en cause.
Par un jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 10 janvier 2022 (N° RG 19/07931), MOLOTOV a été reconnue coupable d’actes de contrefaçon de droits voisins et des marques des sociétés du GROUPE TF1 depuis le 1er juillet 2021 et a été condamnée à payer à ces dernières 8 500 000 € de dommages et intérêts. MOLOTOV doit également cesser de diffuser les chaînes en cause.
Fabrice Lorvo, Avocat associé FTPA