Coronavirus et COVID-19 : marques ou pas marques ?

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Géraldine Arbant et Maureen Theillet, avocates au sein du cabinet Bird & Bird, se demandent pour Le Monde du Droit si « coronavirus » et « Covid-19 » peuvent être considérées comme des marques.

Comme tout sujet d’actualité, la question de l'appropriation opportuniste des termes « COVID-19 » ou « Coronavirus » par le droit des marques se pose.

En effet, pour ne parler que de l’office national, l'Institut National de la Propriété Industrielle (« INPI ») a déjà reçu les premières demandes de marques pour les mots « Coronavirus » et « COVID-19 » :

  • le 28 février, un demande d‘enregistrement de marque pour le signe « COVID-19 » a été déposée dans les classes 18 et 25, à savoir notamment pour les produits de maroquinerie et les vêtements ;
  • le 27 mars, une demande d'enregistrement de marque du signe « Coronavirus » a été déposée, désignant une variété de produits dans les classes 16, 18, 20, 25 et 28, à savoir notamment les photographies, les parapluies, les vêtements ou les jeux de cartes.

Ces deux demandes ont été publiées, mais ne sont pas encore enregistrées et soulèvent la même question :

Les noms « COVID-19 » ou « Coronavirus » peuvent-ils être protégés par le droit des marques en France ?

Une protection en apparence possible

Depuis la récente réforme du droit des marques1, tout signe pourra constituer une marque s’il peut être représenté « dans le registre des marques de manière à permettre à toute personne de déterminer précisément et clairement l'objet de la protection conférée à son titulaire »2.

Un simple élément verbal, incluant éventuellement un nombre, comme « COVID-19 » ou « Coronavirus »  semble ainsi aisément répondre aux exigences pour être déposé auprès de l'INPI.

L'enregistrement d'une marque en France repose alors sur un examen en deux étapes distinctes : un examen préliminaire de la recevabilité et un examen matériel de la validité de cette demande de marque.

Le premier examen a pour but de s'assurer que les formalités relatives au dépôt ont été correctement effectuées par le déposant ; une marque régulière à ce stade est ensuite publiée aux Bulletins Officiels de la Propriété Industrielle (« BOPI ») ; ce qui semble être le cas en l’espèce.

Toutefois, le simple fait qu'une demande ne présente pas d'irrégularité à ce stade ne préjuge pas de sa validité.

Une protection pour le moins contestable

En vertu de l'article L.711-2 du code de la propriété intellectuelle, un signe ne peut être enregistré que si la marque est valable, c'est-à-dire notamment distinctive, non contraire à l'ordre public, dont l'usage n’est pas légalement interdit et non trompeuse.

Les signes « Coronavirus » ou « COVID-19 » n'apparaissent pas en tant que tels illicites ou trompeurs.

Qu'en est-il du caractère distinctif ?

Toutefois, l'analyse pourrait être différente en ce qui concerne le caractère distinctif.

En effet, un signe sera considéré comme distinctif s'il permet au public de faire le lien entre les produits ou services en question.

Or, l'épidémie de coronavirus a été qualifiée de pandémie par l'Organisation mondiale de la santé3, à savoir une maladie infectieuse pour laquelle il est constaté une propagation importante et continue de personne à personne dans plusieurs pays du monde en même temps.

Le caractère distinctif de tels signes est donc plus discutable et il n'est pas certain qu'il sera considéré comme une indication d'origine de produits (tels que des vêtements par exemple) ou de services.

Qu'en est-il de l'ordre public ?

Un autre axe qui pourrait également être évoqué est celui du respect de l'ordre public et des bonnes mœurs.

L'ordre public désigne l'ensemble des règles impératives affectant l'organisation de la nation et les droits et libertés essentiels de chaque individu. Les bonnes mœurs ont été récemment définies par la Cour de Justice de l’Union Européenne comme « les valeurs et les normes morales fondamentales auxquelles une société adhère à un moment donné »4.

Même si la notion de bonnes mœurs a disparu de l'article L.711-2 du code précité, une telle notion semble demeurer pertinente, et notamment au regard de la législation européenne.

Aussi, cette situation n’est pas nouvelle et à chaque fait marquant de l’actualité, des demandes de marques associées sont déposées devant l’INPI telles que « Gilets Jaunes », « Benalla » ou encore « Je suis Charlie », « Pray for Paris » ou « Je suis Paris ».

L’INPI a pu accepter ou refuser l’enregistrement de ces signes et donc leur appropriation par le droit des marques.

Le slogan « Je suis Charlie » a ainsi été refusé à l’enregistrement au motif qu’il ne répondait pas au critère de distinctivité, en raison de son large usage par la société5.

L'INPI a également refusé à l'enregistrement des slogans « Pray for Paris » et « Je suis Paris » au motif qu’ils étaient « contraires à l'ordre public »6.

L’absence de caractère distinctif ou la contrariété à l’ordre public ont donc déjà été évoqués par l'INPI et pourraient être à nouveau retenus pour refuser l'enregistrement des termes « COVID-19 » et « Coronavirus ».

Dès lors et en temps de crise, il serait bon de penser à l’impact et aux conséquences de tels mots (Coronavirus ou COVID-19) sur nos sociétés, avant de songer à se les approprier au détour du droit des marques.

Géraldine Arbant et Maureen Theillet, avocates au sein du cabinet Bird & Bird.


1. Directive (UE) 2015/2436 du 16 décembre 2015

2. Article L. 711-1 du Code de la propriété intellectuelle

3. https://www.who.int/fr/dg/speeches/detail/who-director-general-s-opening-remarks-at-the-media-briefing-on-covid-19---11-march-2020

4. CJUE 27 févr. 2020, aff. C-240/18

5. https://www.inpi.fr/fr/nationales/demandes-de-marques-je-suis-charlie

6. Communiqué de presse INPI du 20-11-2015 : Marques PRAY FOR PARIS ou JE SUIS PARIS


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