Benjamin Darmouni, président adjoint du Cercle des managers de l’immobilier et président délégué du pôle Grand Paris de l’UNIS : « Nous sommes demandeurs de la création d’un Ordre pour les professionnels de l’immobilier »

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Digitalisation, confinement, relation client, télétravail, management, low-tech, data… tels furent les thèmes abordés au cours de la 6e conférence virtuelle organisée par le Cercle des managers de l’immobilier. Benjamin Darmouni, président adjoint du Cercle des managers de l’immobilier et président délégué du pôle Grand Paris de l’UNIS, revient pour le Monde du droit sur les principaux enseignements issus de cette visioconférence.

« Que va-t-il rester de la digitalisation dans l'immobilier après le confinement ? », tel était le thème de la 6e conférence virtuelle organisée par le Cercle des managers de l’immobilier qui s’est tenue mardi 5 mai 2020 et qui a rassemblé plus 1 800 professionnels du secteur. Ce Think Tank est devenu en quelques semaines la voix de la filière professionnelle au niveau national. Né au cours du confinement lié au Covid-19, de la volonté de membres actifs de l’Union des syndicats de l’immobilier (UNIS) du Grand Paris, le Cercle a pour objectif d’informer et d’élaborer des propositions issues des pratiques pour interpeler les pouvoirs publics en vue de construire des dispositifs législatifs modernes, adaptés aux réalités. Cette intelligence collective rassemble de nombreux décideurs tous acteurs de l’écosystème : agent immobilier, gestionnaire locatif, administrateur de bien, promoteur, constructeur, rénovateur, aménageur, mandataire et notaire. Parmi eux, Benjamin Darmouni, président adjoint du Cercle des managers de l’immobilier et président délégué du pôle Grand Paris de l’UNIS qui revient sur les principaux enseignements issus de cette visioconférence.

Bertrand Savouré, président de la Chambre des notaires de Paris, a relaté au cours de cette conférence la volonté de la profession de poursuivre le recours à la comparution à distance autorisée par le décret n°2020-395 du 3 avril 2020 (Le Monde du droit, 4 avril 2020) au-delà de la période de la crise sanitaire en simplifiant toutefois le processus. Il a précisé qu’un travail était en cours pour proposer d’ici 3 mois une solution technique plus adaptée. La profession devra en appeler aux pouvoirs publics pour pérenniser ce nouveau mode d’exercice du notariat. Quelles sont les initiatives numériques nées au cours du confinement, ou celles qui ont émergé dans les esprits mais qui n’ont pas été mises en place pendant cette période, qui nécessiteraient de modifier des dispositions réglementaires ou simplement des pratiques ?

L’application du décret est effectivement limitée à la période de l’état d’urgence et il a permis la poursuite de l’activité tout en répondant aux exigences de l’acte authentique (identité de client, consentement, conseil, confidentialité et conservation). Si le Président souhaite inscrire cette pratique, il a toutefois précisé qu’elle serait une faculté et non la règle pour la profession, le process n’était ni autorisé ni adapté à certaines opérations comme la VEFA, la donation ou encore le testament où la présence physique du client est recommandée.

Dans tous les métiers de la profession, et principalement celui de la transaction, un grand nombre d’actes peuvent s’abstraire de la présence physique des parties au contrat. La question qui est souvent soulevée porte sur l’utilité du présentiel dans l’acte définitif de vente. Pourquoi devoir créer à nouveau un rendez-vous alors que l’acte de vente n’est que la reprise des éléments déjà contenus dans la promesse, à l’exception des autorisations administratives qui sont, elles-mêmes, des conditions suspensives ? Une fois passées la période de rétractation de 10 jours et la réalisation des conditions suspensives, rien n’oblige à se revoir, hormis la dernière visite des lieux et la remise des clés. L’acte définitif pourrait aisément se faire à distance.

Autre exemple : la cession d’une partie commune. Le syndic n’a pas sa place au stade de la transaction. On pourrait officialiser le fait que l’on donne l’accord au syndic de signer à distance.

On pourrait aussi évoquer la loi ELAN du 23 novembre 2018 qui a donné la possibilité de tenir des assemblées générales en visioconférence. Cette nouveauté n’avait pas trouvé un bon accueil auprès des copropriétaires. La crise va certainement changer les mentalités. Nous avons demandé au gouvernement de modifier la législation afin que cette faculté ne soit plus une décision d’assemblée générale elle-même mais que la demande de convocation émane du conseil syndical, ce qui faciliterait sa mise en œuvre. Toutefois, la visioconférence soulève de nombreuses difficultés techniques contre lesquelles nous ne sommes pas armés. Par exemple, comment valider des signatures en cas d’interruption de réseau ? Le copropriétaire est considéré comme sortant puis rentrant. De même, comme l’a souligné François-Emmanuel Borrel, secrétaire général et président délégué du pôle Grand Paris de l’Unis, peu d’acteurs sont à ce jour en mesure de répondre aux conditions techniques imposées par les textes relatifs à la facture numérique. L’absence d’outil pour garantir l’empreinte numérique est un réel problème. Rappelons que la mise en place de la signature électronique pour les notaires a pris beaucoup de temps et exigé des investissements. Elle avait l’avantage d’émaner d’une institution représentative qu’est le Conseil supérieur du notariat qui a pu l’imposer. Cela ne fonctionne pas ainsi dans notre milieu.

Je suis persuadé que la digitalisation est l’avenir de nos professions et il existe déjà beaucoup d’actions qui passent par le numérique : conclusion de baux ou de mandats à distance, visite virtuelle d’un bien, etc. Mais pour être totalement honnête nous n’avons pas encore assez de recul pour formuler des demandes qui nécessiteraient par exemple des évolutions législatives. Pour la plupart des professionnels de l’immobilier, le numérique est entré dans leur quotidien il y a deux mois ! Il y avait une certaine réticence, des usages existants et peut-être un manque de confiance. Le digital est une question de culture, et comme l’a justement souligné au cours de notre conférence Vincent Pavanello, fondateur et président de Ret Conseil, il a fallu une pandémie pour faire avancer les choses, même si la technologie existait déjà. La profession immobilière a une responsabilité à prendre pour la construction de son futur.

Il a beaucoup été question de la gestion de la relation client à l’épreuve du Covid-19. Le digital a permis d’assurer un service de qualité équivalent à celui offert pré-confinement. Laurent Vimont, président de Century 21, Didier Siounath, directeur réseau groupe d’IAD International, David Chouraqui, directeur général adjoint de Crédit Agricole Immobilier, et Etienne Dequiriez, directeur général de SERGIC, ont mis en avant le fait que le confinement avait été bénéfique pour faire accepter et surtout faire entrer le digital dans le parcours client. Certains ont même affirmé qu’un retour en arrière ne semblait plus envisageable sans pour autant négliger la relation humaine qui est au cœur des différents métiers de l’immobilier. Maintenant que les clients ont été formés en mode accéléré à l’usage d’outils numériques, est-ce que cela va pouvoir permettre la création d’offres tout numérique ? Quelle sera la relation client post-confinement ?

L’humain est au cœur de nos activités et l’avantage que nous avons aujourd’hui repose sur le fait que c’est justement l’humain qui a décidé de changer. Nous n’avons rien imposé à nos clients. Pendant cette crise nos clients ont été demandeurs de lien social au travers de la digitalisation. Les professionnels ont mis en place les moyens numériques pour répondre à cette attente. Aussi contradictoire que cela puisse paraître, le confinement a humanisé nos métiers. En temps normal, les clients ne se déplacent plus ou très peu. Les relations sont généralement réduites aux contacts téléphoniques et aux échanges de mails. Avec le confinement et grâce à la visioconférence, nous avons revu des clients. Désireux de recréer du lien dans une période où il n’y en avait plus, ils se sont adaptés aux outils numériques mis à leur disposition.

Au cours de notre conférence, Laurent Vimont a défendu l’humain. Il a rappelé que la digitalisation a ses limites, qu’il ne faut pas séparer le digital du physique et l’on peut parler de « phygital ». Il est essentiel d’associer le présentiel et le conseil, rassurants, aux outils digitaux pour performer.

Les offres « tout numérique » ne diffèrent pas de celles déjà proposées avant la crise et elles ne représentent qu’une fraction assez mineure de l’exercice de nos professions. Ce qui fonctionne aujourd’hui, si l’on prend l’exemple de l’administration de biens, c’est le syndic de proximité. Il en est de même de la transaction : le principe même de l’acte commercial repose sur le lien avec le client. Le métier de transactionnaire ne sera jamais aussi important que dans la période post-crise car il y aura un décalage entre l’offre et la demande. L’opportunité sera donnée aux transactionnaires de faire leur métier : persuader le vendeur qu’il faut baisser son prix et l’acquéreur qu’il doit monter son offre. Les argumentaires commerciaux ne pourront pas se réduire au mail ou au téléphone post-confinement.

Le télétravail, la visioconférence… Le confinement a enfoncé des portes dans le domaine du management. Ces pratiques vont-elles perdurer dans l’organisation des structures ?

Sans aucun doute, le télétravail va se poursuivre dans toutes les entreprises post-confinement. Les collaborateurs ont montré qu’ils étaient encore plus performants car moins perturbés par la vie de bureau. Mais tout le monde ne peut pas être en télétravail. Un comptable en gestion immobilière peut travailler à distance mais ce n’est pas le cas pour tous les métiers notamment liés à la transaction. Laurent Vimont a évoqué l’importance du collectif pour le partage des bonnes pratiques commerciales. Didier Siounath a souligné l’importance du présentiel dans le coaching des conseillers pour relever les challenges.

Le fait de rendre gratuit des outils de visioconférence a créé de la dépendance. Indéniablement, cela va changer nos habitudes de travail. On s’est rendu compte que nos réunions n’étaient pas toujours efficientes, que l’on « perdait » beaucoup de temps. En visioconférence, les participants ne prennent la parole qu’à bon escient, ils n’ont pas le besoin de donner systématiquement leurs avis. En outre, on a constaté que nos comptes-rendus de suivi de dossiers avaient gagné en rapidité et efficacité. Le souhait de tous est que l’on puisse tirer parti de tous ses enseignements dans nos organisations futures.

Le digital permet d’automatiser certaines tâches. Il offre la possibilité aux collaborateurs de se concentrer sur des activités à plus forte valeur ajoutée, ce qui nécessite parfois de suivre une formation. La crise économique qui s’annonce sera-t-elle un frein à la poursuite de la digitalisation des entités et à la progression du salarié augmenté ?

Christophe Veyrières, directeur général EXCOGIM et président de Montespan Assurance & Conseil, a souligné que nous venions de vivre « une conduite du changement accélérée », qu’il était important de s’interroger sur le devenir de l’écosystème et qu’il faudrait dans les 18 prochains mois inscrire des priorités dont en premier lieu la survie de l’économie sans oublier pour autant le capital humain. La digitalisation a permis d’automatiser des tâches. Elle dégage du temps aux collaborateurs pour performer dans l’analyse des dossiers. Cette progression n’est pas totalement due à la digitalisation ou à la crise mais au métier lui-même et aux attendes nouvelles des clients. Aussi est-il important de qualifier nos métiers qui évoluent et les services nouveaux qui y sont associés.

Vincent Pavanello, David Chouraqui, Jean-François Le Téno, directeur digital et transformation de Groupama Immobilier, et Christophe Veyrières ont pointé du doigt le recours des professionnels de l’immobilier à des outils low-tech, les carences en hardware, le besoin d’API pour faire communiquer les applications des différents acteurs de l’écosystème, les avancées des Prodtech encore trop peu exploitées et l’absence totale d’exploitation de la data générée par le secteur. Est-ce qu’il serait concevable d’imaginer demain la création d’un fonds d’innovation commun à tous les professionnels de l’immobilier ou d’un centre à l’image du groupe ADNS qui œuvre pour la digitalisation de la profession notariale ?

Partons des propos de Jean-François Le Teno. Il a énoncé que la digitalisation serait « la mémoire du bâtiment ». C’est fondamental. Si l’on prend le simple exemple de la reprise d’un immeuble par un administrateur de biens à la suite d’un changement de syndic : peu de professionnels transmettent à ce jour des informations sur une clé USB. Il se retrouve avec du papier et peine à récupérer des informations sur l’historique de l’immeuble auprès des copropriétaires. Actuellement, comme l’a souligné Christophe Veyrières il n’y a pas d'interopérabilité entre les différents systèmes et une optimisation des process serait la bienvenue.

Aussi sommes-nous demandeurs de la création d’un Ordre dans l’immobilier et j’interpelle le gouvernement ! Si nous disposions d’une telle institution, toutes les avancées technologiques (base de données, système informatique commun, analyse prédictive, etc.) dont auraient besoin les professionnels seraient alors envisageables et pourraient s’imposer à l’ensemble du secteur. Malheureusement, actuellement les progrès sont souvent le fruit d’initiatives individuelles et il est difficile d’imposer des solutions à des indépendants. La création de cet Ordre engendrerait l’union de tous les syndicats professionnels, ce qui nous permettrait aussi de parler à l’unisson aux pouvoirs publics.

Propos recueillis par Marie Beau.

Pour visualiser l’ensemble de la conférence animée par Henry Buzy-Cazaux, président de l'IMSI : https://www.cercledesmanagersdelimmobilier.com/que-va-t-il-rester-de-la-digitalisation-dans-limmobilier-apres-le-confinement-mardi-5-mai-2020-a-16h/


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