Bernard Cazeneuve : « Il faut mettre en œuvre un paquet compliance européen susceptible de mieux protéger nos entreprises face au risque que représentent les procédures extraterritoriales américaines »

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Le Monde du Droit a interrogé Bernard Cazeneuve, associé, August Debouzy, président du Club des juristes, à propos du colloque Arbitrage et Compliance organisé par August Debouzy, en partenariat avec Le Club des Juristes, qui aura lieu le 27 juin prochain au Conseil économique, social et environnemental.

Pourquoi organisez-vous cette conférence ?

Cette conférence, qui plus est en présence du Premier Ministre, est l’occasion de faire un bilan des lois de vigueur et d’évoquer ses enjeux pratiques à travers un débat d’idées entre l’ensemble des parties intéressées – décideurs politiques, institutions chargées du contrôle de la compliance, entreprises qui mettent en œuvre les normes édictées... C’est aussi l’occasion d’examiner la manière dont les questions de compliance sont appréhendées en pratique, notamment par les acteurs de l’arbitrage (parties, arbitres, institutions d’arbitrage, juridictions) qui y sont de plus en plus souvent confrontés.

Cette diversité et cette complémentarité du profil des intervenants permettra sans aucun doute d’appréhender au mieux les enjeux et d’évoquer des pistes pour répondre aux défis futurs en la matière.

Quels sont les enjeux ?

La conformité est aujourd’hui devenue un élément déterminant pour les entreprises et plus généralement pour le commerce international.

La France a depuis longtemps pris des mesures importantes afin de répondre aux standards internationaux en matière de lutte contre la corruption. Son engagement n’est pas récent. Outre la loi Sapin 1, adoptée dès 1993, la France a, dans un premier temps, choisi de se conformer à certains textes multilatéraux, tels le « Code modèle de conduite pour les agents publics » du Conseil de l’Europe et la Convention anti-corruption  du 17 décembre 1997 de l’OCDE que la France a ratifiée en juillet 2000. La loi du 6 décembre 2013 a également permis la création d’un procureur national spécialisé en matière économique et financière disposant d’une compétence propre en matière de corruption d’agent public étranger ainsi qu’un service d’enquête spécialisé doté de moyens renforcés : l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales. La loi Sapin II du 9 décembre 2016 est la dernière étape en date et met cette fois-ci l’accent sur la prévention de la corruption.

Les enjeux sont, plus largement, internationaux, à travers l’édiction de normes supranationales en matière de compliance et compte tenu des enjeux majeurs en la matière, l’émergence d’un droit européen de la compliance doit également faire l’objet d’une réflexion.

Quels regard portez-vous sur le développement de la compliance dans les entreprises depuis la loi sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique, « dite Sapin 2 » ?

Si la France est aujourd’hui au niveau des meilleurs standards internationaux, il ne faut pas s’en satisfaire et aller plus loin notamment en mettant en œuvre un paquet compliance européen susceptible de mieux protéger nos entreprises face au risque que représentent les procédures extraterritoriales américaines. La mise en œuvre d’un paquet compliance européen permettrait de garantir la transposition dans l’ensemble des pays de l’Union européenne des grands principes de la lutte contre la corruption, posés par les conventions et recommandations de l’OCDE et de contribuer ainsi à l’émergence d’un véritable level playing field à l’échelle du marché intérieur.

Comment l’arbitre est-il saisi de cette question ?

L’arbitrage connaît des questions de compliance depuis longtemps, notamment à travers le contrôle de la corruption par l’arbitre et par les juridictions qui sont saisies des recours contre les sentences arbitrales. La jurisprudence est déjà abondante en la matière. Aujourd’hui, face à la multiplication des normes de compliance et à l’extension des obligations des acteurs du commerce international dans ce domaine, l’arbitre voit également son champ d’intervention s’étendre et ses propres obligations se renforcer pour garantir le respect de ces normes. Enjeu grandissant du commerce international, la compliance devient ainsi également un enjeu central dans le règlement des litiges internationaux, qui sont le plus souvent soumis à l’arbitrage.

Propos recueillis par Arnaud Dumourier (@adumourier)


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