Commotions cérébrales dans le sport : vers un casse-tête juridique ?

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Plusieurs anciens joueurs professionnels de rugby ont porté plainte en France et en Angleterre contre leurs anciens clubs et fédérations à la suite de troubles neurologiques provoqués par des commotions cérébrales.

Un sujet en première ligne

Arsène Wenger, ancien entraineur d’Arsenal, désormais directeur du développement mondial à la Fifa, affirmait en mars dernier : « A la Fifa, nous sommes très vigilants sur le jeu de tête et les microtraumatismes qu’il peut provoquer ». Au-delà du monde du football, la World Rugby (fédération internationale de rugby) a fait de ce sujet l’une de ses trois priorités de son plan stratégique 2021-2025.

Des commotions cérébrales aux multiples conséquences

A moyen et long terme, ces commotions peuvent provoquer des troubles neurologiques graves (perte de mémoire, troubles du comportement, etc.) et aboutir sur une démence.

En 2018, le Journal de Traumatologie du Sport publiait une étude démontrant que la commotion cérébrale était récurrente dans le rugby professionnel : de l’ordre d’une commotion tous les trois matchs. Une autre étude démontre que dans le football, le nombre de décès liés à des pathologies neurodégénératives est trois fois et demie supérieur à celui du reste de la population.

La protection des sportifs contre les blessures graves est devenue, au fur et à mesure de la professionnalisation du sport, un sujet d’actualité à plusieurs points de vue : sportif, médical et juridique.

Sportif : un problème pris en compte par les fédérations

Les fédérations sportives ont mis en place des mesures de prise en charge de la commotion cérébrale. En 2020, les clubs de football de Premier League ont voté en faveur de l’introduction de deux remplacements supplémentaires par match et par équipe en cas de commotion cérébrale.

En ce qui concerne le rugby, il existe un protocole commotion visant à empêcher les joueurs touchés de revenir trop tôt sur le terrain. Depuis 2012, le protocole HIA (Head InjuryAssessment) en vigueur dans les championnats du Top 14 et de Pro D2 permet la mise en place d’un protocole strict à la suite de chocs violents. Pour toute suspicion de commotion cérébrale, cette procédure impose la sortie définitive du joueur touché, un examen neurologique au bord du terrain, un second examen neurologique 48 heures après le choc, une période de repos de trois semaines, un protocole de reprise par paliers et une consultation dite de « retour au jeu ».

Médical : de nouvelles avancées dans la détection des commotions cérébrales

En complément du protocole HIA, la World Rugby a mis en place des tests basés sur deux technologies permettant de détecter les commotions. La première technologie, basée sur le suivi oculaire, permet de détecter des troubles oculomoteurs à la suite d’un choc violent. La seconde technologie se base sur des protège-dents connectés dotés de capteurs mesurant la force des impacts.

Autre avancée scientifique majeure, une étude britannique réalisée par les chercheurs de l’Université de Birmingham affirme qu’il est possible de diagnostiquer avec précision les commotions cérébrales grâce à un biomarqueur dans la salive, ces tests seraient efficaces à 94%. Ce procédé de diagnostic pourrait révolutionner les protocoles commotions déjà en place dans le monde du sport professionnel.

Juridique : certains anciens joueurs de rugby n’hésitent plus à saisir les tribunaux

En 2012, plus de 4500 joueurs de football américain ont introduit un recours collectif contre la NFL (National Football League) accusant cette dernière d’avoir dissimulé les risques des commotions cérébrales sur leur santé. Essai transformé pour les requérants, ces dernier sont obtenus de la NFL le versement de plus d’un milliard de dollars.

Fin 2020, une centaine de joueurs anglais et gallois, âgés de 20 à 50 ans ont décidé d’intenter une action de groupe en justice contre World Rugby et les fédérations anglaise et galloise pour « défaut de protection contre les risques encourus après des commotions cérébrales ». Parmi ces joueurs, Dan Scarbrough qui a rejoint la mêlée en mars 2021 après avoir été diagnostiqué de démence fin 2020, mais aussi des joueurs passés par des clubs français tels que Carl Hayman ou encore Alix Popham et Steve Thompson, deux anciens joueurs de Brive.

En France, en 2019, l’ancien deuxième ligne canadien Jamie Cudmore a porté plainte contre X auprès du procureur de la République de Clermont-Ferrand pour « mise en danger de la vie d’autrui » à la suite multiples commotions lorsqu’il évoluait à l’ASM. Plus récemment, l’ex-joueur de Chambéry, Quentin Garcia, a décidé d’attaquer son ancien club pour « blessures involontaires ».

A travers ces plaintes, les requérants souhaitent obtenir des dommages-intérêts. Les actions au Royaume-Uni sont des actions de groupe directement contre les fédérations, tandis qu’en France les actions sont individuelles, au pénal, directement à l’encontre des clubs. A l’heure actuelle, nous sommes toujours dans l’attente des décisions judiciaires. Affaire à suivre…

Neil Robertson, avocat associé au sein du cabinet Bignon Lebray


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