Le Conseil d’Etat a-t-il confiné les pouvoirs des maires ?

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Anne Bost, avocat associé, De Guillenchmidt & Associés (DGA), revient sur la récente ordonnance du Conseil d'Etat limitant les pouvoirs du maire dans la lutte contre l'épidémie de Covid-19.

Par une ordonnance du 17 avril 2020, le Conseil d’Etat limite considérablement les pouvoirs des maires dans la lutte contre le covid-19, en leur imposant, au moyen d’une nouvelle condition jurisprudentielle, de se cantonner aux seules mesures décidées par l’Etat.

Depuis le début de l’état d’urgence sanitaire, plusieurs commentateurs reprochent au Conseil d’Etat d’être une instance de validation juridictionnelle des décisions du gouvernement.

La dernière ordonnance du 17 avril 2020 (n°440057, Port d’un masque de protection, commune de Sceaux) n’échappe pas à ces critiques, certains dénonçant même le jacobinisme zélé du Conseil d’Etat.

Le maire de Sceaux a pris un arrêté portant obligation de porter une protection couvrant la bouche et le nez, dans les espaces publics de la commune.

Le Conseil d’Etat a jugé que dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, les maires ne peuvent prendre d’autres mesures que celle décidées par l’Etat, à moins que des circonstances propres à leur commune l’imposent et à condition de ne pas compromettre la cohérence et l’efficacité des mesures prises par les autorités de l’Etat.

L’exercice des différents pouvoirs de police dans le cadre de la lutte contre le covid-19

La prévention des épidémies relève normalement de la compétence de l’Etat, mais les maires ne sont pas dénués de toutes prérogatives.

L’existence d’une police spéciale relevant de l’Etat

La loi d’urgence du 23 mars 2020 a introduit dans le code de la santé publique un chapitre relatif à l’état d’urgence sanitaire. Ces nouvelles dispositions confient au Premier ministre, au ministre de la santé et au Préfet le pouvoir de prendre toute mesure nécessaire « en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ».

Le Conseil d’Etat reconnait expressément dans son ordonnance ce pouvoir de police spéciale de l’Etat.

La coexistence des pouvoirs de police générale du maire

La police municipale ayant pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques, il revient notamment au maire « le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser,(…) les maladies épidémiques ou contagieuses » (article L.2212-2 5° du code général des collectivités territoriales).

En période d’état d’urgence, ce pouvoir de police générale du maire coexiste avec le pouvoir de police spéciale de l’Etat.

Dans le cadre de la première ordonnance de référé liée au covid-19, le Conseil d’Etat avait rappelé à trois reprises l’importance du rôle des maires (CE 22 mars 2020, n°439674, Syndicat Jeunes Médecins) et semblait alors leur adresser un signal d’encouragement dans le cadre de la lutte contre le covid-19.

Il n’en demeure pas moins que les mesures prises par les maires doivent répondre à des conditions que le Conseil d’Etat paraît durcir au terme de son ordonnance du 17 avril 2020.

Les conditions de mise en œuvre des pouvoirs de police du maire dans le cadre de la lutte contre le covid-19

Le maire peut exercer son pouvoir de police générale pour rendre plus contraignantes les mesures prises sur le plan national, dès lors que des circonstances locales particulières le justifient.

Le Conseil d’Etat juge en l’occurrence que « la police spéciale instituée par le législateur fait obstacle, pendant la période où elle trouve à s’appliquer, à ce que le maire prenne au titre de son pouvoir de police générale des mesures destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire, à moins que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’Etat ».

Le Conseil d’Etat ajoute ainsi aux critères classiques une condition examinée à l’aune de la cohérence avec les mesures décidées par l’Etat.

L’existence de circonstances locales particulières justifiant la mesure de police

Selon une jurisprudence constante, le maire peut exercer son pouvoir de police si son action est justifiée par des circonstances locales et a pour objet d’éviter un trouble à l’ordre public.

Le Conseil d’Etat a considéré que les circonstances particulières invoquées par le maire de Sceaux, tenant à la démographie de sa commune et la concentration de ses commerces dans un espace réduit, ne constituent pas des raisons impérieuses liées à des circonstances locales justifiant que soit imposé le port du masque, alors que les autorités de l’État n’ont pas prévu une telle mesure à l’échelle nationale.

Une nouvelle condition édictée par le Conseil d’Etat

Le Conseil d’Etat exige en outre que les mesures de police du maire « ne soient pas susceptibles de compromettre la cohérence et l’efficacité des mesures prises par l’Etat dans le cadre de ses pouvoirs de police spéciale. »

Cette condition, totalement inédite, réduit considérablement la marge de manœuvre et les pouvoirs de police des maires. En effet, elle revient en définitive à enjoindre aux maires de s’en tenir aux seules mesures décidées par l’Etat, au nom de la cohérence de l’action nationale.

Les magistrats considèrent en l’espèce que l’interdiction de se déplacer sans masque est de nature à nuire à la cohérence des mesures prises par les autorités de l’Etat et irait même jusqu’à « introduire de la confusion dans les messages délivrés à la population ».

Le Conseil d’Etat entérine ainsi une approche centralisée de la politique sanitaire de lutte contre l’épidémie.

Cette nouvelle condition imposée peut être entendue comme une défiance à l’égard des maires : pour les magistrats, l’édiction de mesures locales plus restrictives est de nature à gêner la stratégie nationale décidée par le gouvernement.

Anne Bost, avocat associé, De Guillenchmidt & Associés (DGA)


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