Adidas : une (nouvelle) débandade pour la marque aux trois bandes

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Adidas fait face à deux nouveaux échecs dans la défense de ses trois bandes emblématiques. La Cour d’appel de Paris a, en effet, récemment confirmé dans deux arrêts du même jour que la commercialisation de vêtements ornés de deux bandes latérales parallèles ne constitue pas une contrefaçon, ni une atteinte à la renommée de la marque aux trois bandes (CA Paris, Pôle 5, Chambre 1, 2 novembre 2022, n°20/18680 et n°21/01480).

Adidas, géant des articles de sport, a construit sa notoriété planétaire à l’appui de signes distinctifs forts parmi lesquels on trouve trois bandes parallèles apposées sur ses textiles et accessoires, également insérées dans ses logos, éléments de communication ou encore dans des marques déposées.

Les trois bandes étant un élément marketing de premier plan depuis plus de 70 ans, l’équipementier sportif a cherché depuis de nombreuses années à renforcer ses droits de propriété intellectuelle en déposant à titre de marque divers signes incorporant les 3 bandes.

Concernant la France, Adidas a déposé dès 1984 la marque figurative ci-dessous pour désigner des « survêtements en particulier survêtement de sport et de loisir » en classe 25, laquelle est décrite comme une combinaison ou disposition des couleurs : « Les trois bandes sont de même couleur contrastant avec la couleur du vêtement ; elles sont équidistantes, parallèles, séparées par deux intervalles ; elles sont apposées le long du bras, du col à l'extrémité de la manche et le long de la jambe, de la ceinture à l'extrémité inférieure du pantalon, verticalement et symétriquement de part et d'autre du vêtement » :

Image de la marque

Marque française n°1280280

Au niveau de l’Union européenne, Adidas a déposé en 2003 une marque se composant « de trois bandes parallèles de même taille et de même largeur, apposées sur des chaussures; les bandes ont été disposées sur la face supérieure des chaussures, dans le plan situé entre les lacets et la semelle » :

Image de la marque

Marque de l’UE n°003517646

Dans la même stratégie, Adidas a également déposé des marques de position similaires au niveau de l’UE pour d’autres vêtements ou accessoires de sport :

image brandsimage brandsimage brandsImage de la marqueImage de la marque

003517588                            003517661            003517612                 004269072                    006081889

Trois de ces marques (la veste, le pantalon et le débardeur) font actuellement l’objet d’une demande en annulation.

En 2014, souhaitant une protection encore plus large pour ses trois bandes, Adidas a obtenu l’enregistrement d’une marque figurative de l’Union européenne consistant en « trois bandes parallèles équidistantes de largeur égale, appliquées sur le produit dans l’importe quelle direction » et ce, pour désigner des « vêtements, chaussures, chapellerie » en classe 25 :

https://euipo.europa.eu/copla/image/CJ4JX4FZVCC523YA2TMALSKFLH2LYCNKSYKVQAZXIFY5LNZWO7IMQ6ZLRXIBST5LHMAOI4GKUGWCA

Marque UE n°012442166

Par une décision largement commentée du 19 juin 2019, le Tribunal de l’UE a cependant annulé cette dernière marque pour défaut de distinctivité.

En dépit de ses divers droits de propriété intellectuelle couvrant les « trois bandes », Adidas peine à convaincre les tribunaux judiciaires de condamner des opérateurs, notamment des marques de mode, qui offrent à la vente du textile ou des chaussures sur lesquels sont apposées des bandes latérales parallèles. Ce fut encore le cas récemment avec deux arrêts de la Cour d’appel de Paris du 2 novembre dernier.

Ainsi, Adidas a tenté de faire valoir ses droits face à la marque de mode Sandro et à la célèbre créatrice Isabel Marant qui ont commercialisé en 2017 – 2018 des pantalons, shorts, vestes à deux bandes, donnant lieu à deux litiges distincts pour contrefaçon de marque, atteinte à une marque de renommée et concurrence déloyale.

Dans ces litiges, Adidas invoquait notamment ses marques de position de l’UE n°003517588 et n°003517661 déposées en classe 25 pour désigner respectivement des  « hauts de vêtements avec manche » et des « pantalons et shorts » et se composant « de trois bandes parallèles de même taille et de même largeur, apposées sur [un vêtement de dessus] / [un pantalon ou un short]; les bandes font un tiers (1/3) ou plus de la longueur latérale [de la manche du vêtement] / [du pantalon ou du short] » :

       
    Image de la marque
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Par des jugements des 4 septembre et 9 octobre 2020, le tribunal judiciaire de Paris déboute les sociétés Adidas AG et Adidas France de toutes leurs demandes ; décisions à l’encontre desquelles les sociétés Adidas ont interjeté appel.

Afin de défendre ses droits, Adidas a principalement invoqué la renommée exceptionnelle de la marque, en soutenant notamment que « le public est habitué à percevoir le signe à bandes apposé sur le côté d’un pantalon comme une marque, et risque en conséquence de l’associer à la marque Adidas ».

Dans les deux affaires, la Cour d’appel de Paris n’a pas fait droit aux demandes d’Adidas, considérant que les similitudes entre les signes en cause étaient faibles (les différences portant sur le nombre de bandes, leur largeur et leur espacement), que le signe était utilisé par les marques de prêt-à-porter  comme un ornement plutôt qu’une marque et, enfin, que les produits étaient commercialisés sous les marques des intimées et dans leurs points de vente de sorte qu’aucun détournement de clientèle ne pouvait être caractérisé.

Plus précisément, sur la contrefaçon, la Cour d’appel de Paris a (dans ses deux arrêts) considéré que «malgré l'identité des produits en cause, et nonobstant la distinctivité et la notoriété élevée de la marque revendiquée, le consommateur concerné, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, ne pourra attribuer aux signes en cause la même origine, et ne sera pas conduit, au vu du caractère décoratif du motif incriminé et des différences relevées entre les signes, à penser que ces signes proviennent d'une même entreprise ou d'entreprises liées économiquement.  Les demandes formées par les sociétés Adidas au titre de la contrefaçon de marque par imitation seront rejetées et le jugement entrepris confirmé de ce chef » (CA Paris, Pôle 5, Chambre 1, 2 novembre 2022, n°20/18680 et n°21/01480).

Sur la renommée de la marque aux trois bandes (qui n’était pas contestée), la Cour considère, dans le contentieux contre Sandro, qu’il n’y pas d’atteinte en expliquant que « la mode des pantalons à bandes latérales, dans laquelle s'inscrit le pantalon Driss litigieux, qui n'est pas présenté sur le site comme un jogging se référant à l'univers du sport, mais comme un pantalon de détente à porter en toutes circonstances, est aussi inspirée des pantalons militaires et des smokings, ce dont il résulte que la société [M], qui a décliné de diverses manières ce motif ornemental s'inscrivant dans une tendance de la mode, et qui commercialise ses pantalons, dans ses propres boutiques, et sous sa propre marque [M] qui bénéficie de son propre pouvoir d'attraction, ne s'est pas placée dans le sillage de la marque Adidas n° 661 revendiquée pour tirer indûment profit de sa renommée » (CA Paris, Pôle 5, Chambre 1, 2 novembre 2022, n°20/18680, affaire Adidas / Sandro).

La Cour a eu un raisonnement similaire dans le litige opposant Adidas à Isabel Marant : « Il apparaît ainsi que les vêtements litigieux des sociétés [O] [W] s'inscrivent dans ce courant de la mode 'sportswear' marqué notamment par des vêtements de détente décorés de bandes parallèles contrastantes, très prégnant au moment des faits litigieux (2016/2018), auquel les sociétés ADIDAS ont concouru aux côtés d'autres acteurs du secteur des articles de sport et du monde du prêt-à-porter ou du luxe, ce courant s'étant lui-même inspiré des uniformes militaires. Il sera donc retenu qu'il n'est pas démontré que la société IM PRODUCTION en concevant ces vêtements et la société [O] [W] DIFFUSION en les commercialisant sous la marque [O] [W], qui bénéficie de son propre pouvoir d'attraction, dans des boutiques ou espaces de vente [O] [W] ou sur le site internet [08].com, se sont placées dans le sillage des marques de renommée de la société ADIDAS AG afin de bénéficier indûment de leur pouvoir d'attraction et de leur prestige » (CA Paris, Pôle 5, Chambre 1, 2 novembre 2022, n°21/01480, affaire Adidas / Isabel Marant).

La fin de la marque à trois bandes ?

Ces arrêts peuvent paraître un peu sévères pour le titulaire des marques antérieures, notamment en ce qui concerne l’atteinte à la renommée des marques aux trois bandes.

En effet, dans une décision concernant la commercialisation d’une veste et d’un pantalon de la marque « Zadig & Voltaire » comportant le long des manches et des jambes deux bandes parallèles contrastantes avec la couleur du produit, le Tribunal judiciaire de Paris avait alors retenu une position différente en considérant qu’il en résultait « l'existence d'une atteinte à la renommée des marques < ADIDAS > (l'usage des bandes empruntant à la renommée des marques leur association immédiate au sport), ainsi qu'à leur caractère distinctif (un tel usage des bandes dilue la distinctivité des marques de la société < ADIDAS > AG portant ainsi atteinte à ses investissements publicitaires, peu important à cet égard le positionnement haut de gamme de la défenderesse), tandis qu'aucun juste motif n'est expressément invoqué par la société ZV FRANCE, de nombreux autres opérateurs économiques étant au demeurant parvenus à s'inscrire dans la tendance de la mode en s'éloignant suffisamment des marques de la demanderesse » (TJ Paris, 3ème Chambre, 1ère section, No RG 17 /14422).

Il n’en demeure pas moins que la défense de la marque aux trois bandes demeure un enjeu important pour Adidas. Si la Cour d’Appel de Paris a, dans ses deux arrêtes récents confirmé, la distinctivité des marques invoquées, la question demeure incertaine tant les trois bandes sont des signes « simples ».

Ainsi, s’agissant d’une marque figurative quelque peu similaire aux marques de position invoquées à l’encontre d’Isabel Marant et de Sandro (cf. ci-dessus marque de l’UE n°012442166), le Tribunal de l’UE a considéré, dans un arrêt du 19 juin 2019, qu’Adidas ne démontrait pas valablement l’acquisition d’un caractère distinctif par l’usage de son signe « aux trois bandes ». En particulier, le Tribunal a rappelé qu’en cas de marque « extrêmement simple », une légère variation peut entraîner une altération significative des caractéristiques de la marque telle qu’elle a été enregistrée et qu’ainsi, une exploitation du signe modifié ne pourra pas être considérée comme équivalente à celle du signe tel qu’enregistré. Le Tribunal a ainsi écarté les éléments de preuve dans lesquels le schéma de couleurs était inversé, à savoir ceux montrant des bandes blanches (ou claires) sur un fond noir (ou sombre). Il a considéré que les signes apparaissant dans la grande majorité des pièces produites par la société allemande différaient significativement de la forme enregistrée de la marque contestée.

Que retenir ?

La notoriété d’Adidas n’est donc pas suffisante pour monopoliser l’apposition de bandes latérales sur des vêtements, notamment des vêtements non spécifiquement conçus pour la pratique du sport.

Un signe d’une simplicité particulière (trois bandes parallèles) reste donc fragile, et ce, quelle que soit l’enseigne à laquelle le signe renvoi. En pratique, il est donc important voire nécessaire de ne pas déposer de signes (trop) simples tant un usage à titre de marque (à contrario d’un usage à titre décoratif) ou la preuve d’un acte de contrefaçon, de parasitisme ou de concurrence déloyale seront difficiles à démontrer par la suite.

Clément Monnet, avocat à la Cour, Kenza Declercq, Norton Rose Fulbright LLP


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