Consultation sur la gouvernance : entretien avec Philippe Touzet

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Philippe Touzet - Avocat - Secrétaire de la Commission prospective de l'Ordre des Avocats de ParisPhilippe Touzet, Avocat au Barreau de Paris, Secrétaire de la Commission prospective de l'Ordre des Avocats de Paris, initiateur de la consultation sur la gouvernance des avocats a accepté de répondre au Monde du Droit.

 

 

 

 

 

Comment expliquez-vous la désorganisation du corps des avocats ?

Il s'agit avant tout de raisons historiques. Nous pouvons être fiers de notre histoire car notre profession a plus de 800 ans. Mais notre organisation est restée la même qu'autrefois, avec un barreau pour chaque TGI, tous indépendants les uns des autres.

Or, aujourd'hui, il y a une vraie concurrence sur le marché du droit, avec les notaires, les experts comptables etc. Nous ne pouvons plus nous contenter de nous appuyer sur le monopole judiciaire. Le conseil juridique, qui attire tant de monde, est mal protégé par le " périmètre du droit " . La seule réponse efficace est économique : il faut pouvoir se battre sur le marché, à armes égales.

Lors du colloque sur la gouvernance le 13 juillet à l'Unesco, Thierry Wickers a exprimé un point de vue tout à fait intéressant : en partant de l'ouvrage d'un auteur américain sur la puissance des organisations, il expliquait que la force d'une profession vient de son efficacité organisationnelle, pas de sa taille. En d'autres termes, une petite organisation très structurée sera plus efficace sur le marché qu'une profession plus grande, mais mal organisée. On peut dire encore que 9 000 notaires très organisés sont beaucoup plus efficaces que 55 000 avocats répartis, voire divisés dans leurs barreaux.

Or, on sait que nos concurrents sont des professions qui ont été organisées récemment. Les experts comptables et les notaires ont une organisation qui remonte à 1945, avec un système de gouvernance moderne, beaucoup plus pyramidal, et notamment un exécutif fort.

Avant 1990, et la création du CNB, nous étions une sorte d'hydre à 7 têtes, chacune pensant différemment de l'autre, mais du coup le corps ne sait plus très bien comment se mouvoir. Le CNB a été un progrès mais il reste une institution de compromis. La réforme de 1990 n'a pas été jusqu'à donner à la profession d'avocats le même type de structures que les professions réglementées modernes.

Pourquoi cette consultation ? Ce type de procédure a-t-il déjà été mis en place ?

C'est la première fois que le Barreau de Paris organise une telle consultation. A ma connaissance, d'ailleurs, aucun barreau ne l'a jamais fait, ni-même le CNB. J'ai été amené à formuler cette proposition pour plusieurs raisons. Tout d'abord, lorsque j'ai pris le dossier en charge, j'ai été surpris par l'hétérogénéité des propositions qui avaient été faites sur le sujet. La profession d'avocats n'est pas réputée pour ses qualités organisationnelles, et la réflexion sur la gouvernance n'était pas plus organisée que le reste. Les syndicats et plusieurs personnalités de la profession ont publié des rapports ou des articles, chacun développant quelques points saillants, mais il nous a semblé qu'il manquait une vision globale. Nous avons donc voulu synthétiser et comparer toutes ces positions. Par ailleurs, il nous est apparu que sur un tel sujet, les élus de la profession sont en quelque sorte en conflit d'intérêts et que seule une consultation démocratique permettrait de faire remonter l'avis des avocats du barreau de Paris.

Quelles ont été les réactions ?

On m'a d'abord objecté, de nombreuses fois, que "les confrères s'en fichent". Mais je pense que l'enjeu force l'intérêt. La gouvernance c'est un enjeu de marché, purement économique. Si on schématise à l'extrême, on peut dire qu'une meilleure gouvernance, c'est plus de dossiers pour chaque avocat. Il faut que la profession puisse prendre une décision sans passer par deux années de "concertation".

Sur le fond, on peut lire des choses délirantes, des barreaux qui publient des positions menaçant de "quitter la représentation nationale", si il leur est imposé de jouer collectif. C'est extrêmement choquant que des barreaux n'estiment pas faire partie d'un tout. Si dans une course, on a 162 bateaux et que chacun suit un cap différent, ça ne marche évidemment pas très bien...

La participation est-elle forte ? Comment comptez-vous analyser les réponses ?

L'objectif est de réellement faire évoluer les choses. Et de les faire évoluer en prenant le pouls de la profession. D'où la création du site http://www.gouvernance-avocats.fr. Après deux semaines de mise en ligne, nous avons déjà entre 700 et 800 contributions. La consultation reste accessible jusqu'au 30 septembre, et il faut que tous les confrères s'y mettent. Le questionnaire prend 7 à 8 minutes maximum. Et comme c'est un sujet particulièrement aride, nous avons choisi de le traiter sur un ton humoristique, grâce à un dessinateur de presse formidable, Antoine Chéreau. Il faut voir le site, c'est très drôle et sans langue de bois !

Qu'avez-vous prévu pour faire suite à cette consultation ?

Nous savons déjà que nous aurons un nombre suffisant de réponses. Nous en ferons l'analyse à la fin du mois de septembre, puis construire à partir de ces réponses 3 scenarii possibles de gouvernance, qui seront présentés à la profession lors de la convention nationale, puis soumis au vote le 6 décembre, en même temps que le vote pour la confirmation du bâtonnier désigné, l'élection des membres du conseil de l'Ordre et du CNB.

Nous verrons alors si les avocats parisiens sont prêts à ce que le barreau de Paris perde une part de ses prérogatives pour permettre la mise en place d'une vraie gouvernance nationale.

Au bout du compte la question qui est posée aux avocats est de savoir s'ils préfèrent un barreau fort dans une profession faible ou être tous ensemble, dans une profession forte, organisée, cohérente, et parlant d'une seule voix.


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