Les métiers du chiffre et du droit peuvent-ils encore attirer les jeunes générations ?

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Catherine Sauvat, présidente de Emerize et Olivier Baumard, Secrétaire général chez 14 Pyramides Notaires reviennent sur l’intégration des jeunes générations dans les métiers du chiffre et du droit.

Une future avocate expliquait récemment à son père que ni elle, ni ses camarades étudiants n’envisageaient de mener leur vie professionnelle comme lui ou la plupart de leurs parents l’avaient menée et la mènent encore…

L’échange se poursuivant, de profondes différences sont apparues dans l’approche même de la notion de travail, de sens au travail et d’organisation du travail.

De profondes mutations, accélérées ces dernières années, se sont opérées dans le rapport des jeunes générations au travail. Ceci dans tous les domaines d’activités, sans épargner les métiers du chiffre et du droit.

Plusieurs facteurs peuvent être avancés pour tenter d’expliquer le rapport des jeunes générations avec le monde professionnel et en particulier leur intégration dans le monde du travail. Sans les généraliser ni les exagérer, ces différentes approches apparaissent très nettement.

Un premier élément de réflexion est sans doute lié à une prise de conscience de la nécessité de prendre, ou en tout cas de maîtriser le contrôle de sa propre existence, non seulement dans la sphère personnelle mais également dans la sphère professionnelle. Là où les précédentes générations une fois leur bagage académique validé, suivaient la plupart du temps une voie toute tracée, les jeunes générations, y compris dans les métiers du chiffre et du droit, adoptent une toute autre approche.

Celle-ci est empreinte à la fois d’une culture plus individualiste, mais également et paradoxalement plus universaliste et pour tout dire sans doute plus responsable. Individualiste dans le sens où les jeunes générations s’interrogent dès les bancs de la faculté sur leurs aspirations personnelles au-delà du métier souhaitent exercer. La pandémie a sans doute été un catalyseur de cette prise de conscience. Etre avocat ou expert-comptable : oui, mais pourquoi ? Quel sens donner à mon métier ? Quelles contraintes suis-je prêt à accepter et à ne pas accepter ? Que propose l’entreprise ou le cabinet pour accompagner et développer mes compétences professionnelles mais également personnelles ? Les valeurs de la structure que j’intègre sont-elles cohérentes avec les miennes ?

Et c’est là que la dimension universaliste prend une place dont les précédentes générations n’avaient pas conscience au même âge, au moment d’intégrer le monde professionnel. Les jeunes générations se sentent davantage responsables du monde dans lequel elles évoluent et souhaitent s’impliquer. Leurs choix professionnels et la manière dont elles s’envisagent dans ce cadre doivent désormais intégrer cette dimension et l’intérêt financier ne suffit plus à attirer les talents. L’entreprise se doit d’être dorénavant un acteur à part entière dont la responsabilité est mesurable. Aux yeux de cette nouvelle génération, elle fait partie d’un écosystème dans lequel chacun doit évoluer pour le bien de tous.

Le monde du chiffre et du droit, s’il a été sans doute un peu épargné au moins au début par ces évolutions, est confronté lui aussi à ces évolutions. En manifestant leur refus ou au moins leur forte réticence face à des charges de travail ou des horaires excessifs, en souhaitant apporter du sens à leur implication au quotidien, en militant pour des organisations nouvelles du travail, les aspirants aux métiers du chiffre et du droit bousculent des pratiques et modes de fonctionnement ancrées depuis des années dans les cabinets et études.

D’abord surpris, les pouvoirs publics et acteurs économiques ont pris acte de ces évolutions. Peu à peu, la réglementation et les pratiques en entreprise ont évolué afin de répondre à ces nouvelles attentes. En invitant les entreprises à réfléchir à leur raison d’être, en créant le statut d’entreprise à mission, en renforçant les obligations en matière de parité notamment dans les instances de gouvernance, la loi PACTE de 2019 prend en compte ces nouvelles aspirations.

L’entreprise devient progressivement responsable du sens qu’elle met au travail qu’elle confie aux jeunes recrues.

Ainsi équilibre entre vie professionnelle et vie privée, droit à la déconnexion, organisation du travail délocalisée et décentralisée, atmosphère de travail inspirante, inscription dans une perspective professionnelle cohérente et jalonnée et bien entendu une rémunération attractive, forment un ensemble de revendications que l’on retrouve quel que soit le bagage académique des jeunes recrues.

La prise en compte de celles-ci, au moins pour partie, s’est faite un peu sous la contrainte dans les métiers du chiffre et du droit, compte tenu des tensions en matière de recrutement.

Le mouvement est donc enclenché et la pandémie ayant aidé, les jeunes générations revendiquent de nouvelles formes de travail, voire de non travail souvent importées des Etats Unis ou du mode start up.

De nouvelles organisations du travail sont ainsi parfois revendiquées, aux antipodes des habitudes managériales des précédentes générations… Ainsi apparait la Flexibility by design (ou Flexibilité radicale), laquelle vise à décentraliser les décisions dans les équipes qui déterminent elles-mêmes les modes de fonctionnement en fonction des souhaits de chacun et des besoins de l’activité.

Sont également avancées de nouvelles pistes telles, la prise de congés illimitée, la fixation des bonus individuels par les membres de l’équipe, la semaine de 4 jours payée 5, le 5° jour étant consacré à une passion ou un engagement citoyen, une nouvelle politique du Work From Anywhere,… bref, autant de possibles initiatives que les DRH et dirigeants devront apprendre à intégrer ou maîtriser.

Le non travail est également une nouvelle forme de manifestation. La Grande Démission, ou dans un mode moins radical, le Quiet Quitting, expriment une volonté de ne plus se laisser imposer la doxa de l’entreprise. Ces mouvements de fond arrivent peu à peu en France où sont observés des phénomènes identiques désormais.

Autant d’enjeux qui nécessitent d’apporter des éléments de réponse compatibles avec la marche de l’entreprise…

Catherine Sauvat, Présidente Emerize en collaboration avec Olivier Baumard, Secrétaire Général Emerize


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