Rupture de la période d’essai d’un salarié, licenciement pour motif personnel ou pour motif économique, signature d’une rupture conventionnelle... Maître Galina Elbaz, avocate au barreau de Paris, alerte les entrepreneurs sur les risques potentiels de contentieux auxquels ils pourraient être confrontés par la suite s’ils empruntaient ces voies pendant la crise sanitaire.
Le 16 mars 2020, Muriel Pénicaud, ministre du Travail a déclaré : « Pendant la période actuelle, c'est zéro licenciement » (Les Echos, 16 mars 2020). Trois jours plus tard, Bruno Le Maire, ministre de l'Economie et des Finances, précisait : « Il ne doit pas y avoir de licenciements : nous avons prévu des mesures de chômage partiel massives (...) » (France Inter, 19 mars 2020). Le 8 avril, Muriel Pénicaud a annoncé sur son compte Tweeter que le recours au chômage partiel a été demandé par 586 000 entreprises et associations, 60 % dans les entreprises de moins de 50 salariés. Ce sont 6,3 millions de salariés qui sont concernés. « Nous investissons de façon inédite pour protéger l’emploi et [les] salariés, éviter les vagues de licenciements et permettre aux entreprises de rebondir ».
Le même jour Bruno Le Maire précisait, sur France 2, que 700 000 entreprises avaient sollicité le fonds de solidarité institué par l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 et le décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 (sur ce dispositif, voir Epidémie de Covid-19 : fonctionnement du fonds de solidarité pour les entreprises, Le Monde du Droit, 31 mars 2020 et Epidémie de Covid-19 : adaptation du fonctionnement du fonds de solidarité pour les entreprises, Le Monde du Droit, 3 avril 2020).
Les entreprises sont appelées à faire bloc pour éviter toute perte de salariés. Pour autant, les mesures prises par le gouvernement pour faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de Covid-19 suffiront-elles pour soutenir l’emploi et éviter un maximum de licenciements ? Pendant cette période de crise sanitaire, aucun texte n’interdit à l’employeur de rompre la période d’essai d’un salarié, de le licencier pour motif personnel ou pour motif économique ou encore de signer une rupture conventionnelle. Maître Galina Elbaz, avocate au barreau de Paris, alerte les entrepreneurs qui emprunteraient ces voies sur les risques potentiels de contentieux auxquels ils pourraient être confrontés par la suite.
L’entrepreneur peut-il rompre la période d’essai d’un salarié pendant la période de crise sanitaire ?
La période d’essai, prévue au contrat de travail, peut être rompue à l’initiative de l’employeur sans qu’il ait à justifier sa décision. Sauf si la convention collective le prévoit, il n’y a aucun formalisme et la notification se fait par tout moyen. En cette période de confinement, un simple mail pourrait suffire, même si l’on recommande toujours d’adresser une lettre recommandée avec accusé de réception pour des questions de preuve.
Attention toutefois à ne pas rompre trop rapidement la période d’essai !
La période d’essai a pour objet de mesurer la valeur professionnelle du salarié. Une rupture pour un autre motif comme, par exemple, la situation économique conséquence du Covid-19 (ou le souhait de réduire ses charges salariales en cette période de sous-activité), donnerait lieu au versement de dommages-intérêts si le salarié saisissait le juge. Ainsi, un employeur qui rompt une période d’essai alors qu’il venait d’embaucher le salarié quelques jours avant la décision de mise en confinement pourrait voir sa bonne foi mise en cause car il n’aura pas eu le temps d’apprécier les aptitudes du salarié.
La rupture intempestive pourra constituer un coût non négligeable pour l’entreprise car l’évaluation des dommages-intérêt est fixée à hauteur du préjudice. En cette période de crise, on peut supposer que le conseil de prud'hommes pourra prendre en considération les conditions exceptionnelles de travail liées au Covid-19 (le télétravail par exemple ne permettant pas toujours de correctement mesurer les compétences du salarié) et le fait que la période post-Covid-19 sera complexe pour retrouver un emploi, notamment dans certains secteurs.
En cas de nullité de la rupture, l’employeur peut se voir imposer la réintégration du salarié si celui-ci la demande.
L’employeur qui est en sous-activité a tout intérêt à solliciter le chômage partiel et renouveler la période d’essai pour éviter tout contentieux. Il doit en informer le salarié. Le renouvellement lui permettra d’apprécier les compétences du salarié dans une période, on le souhaite, hors-confinement et de reprise de l’activité.
On rappellera que l’employeur peut prolonger la période d’essai du salarié absent pour maladie ou qui aurait contracté la maladie ou celui qui a posé un arrêt de maladie pour garder son enfant de moins de 16 ans. La durée sera au maximum celle de l’absence. Il peut aussi l’interrompre, la législation relative à la rupture de la période d’essai n’étant pas plus protectrice que celle du licenciement.
On peut s’interroger de savoir si le Covid-19 sera assimilé à un accident du travail ou une maladie professionnelle : on pense au salarié travaillant dans un commerce « indispensable à la vie de la Nation » qui est arrêté du fait de sa contamination. Le salarié devra rapporter la preuve que l’employeur n’a pas respecté les dispositions légales et règlementaires pour assurer la sécurité et la protection de la santé de son personnel. Il devra rapporter aussi la preuve qu’il a bien contracté la maladie sur le lieu de travail. Le lien de causalité sera difficile à établir : le Covid-19 ne fait pas partie à ce jour des maladies professionnelles prévues par la loi. Dans cette hypothèse, la rupture de la période ne sera pas possible.
L’entrepreneur peut-il licencier un salarié en CDI ou CDD pendant la période de Covid-19 ?
En France, il n’existe aucune interdiction générale et absolue de licencier. C’est pourquoi aucun texte n’a pu être pris en ce sens par le gouvernement français. On peut souligner que le recours au chômage partiel et toutes les autres mesures mises en place par le gouvernement pendant la période de crise ne sont pas conditionnés au renoncement de tout licenciement par l’employeur. La période de Covid-19 n’empêche pas de licencier pour motif personnel, disciplinaire ou non. De même, l’arrêt de maladie et celui pris pour garder son enfant de moins de 16 ans n’empêchent pas le lancement de la procédure. On ne se trouve pas dans le cas d’un licenciement pour maladie.
Les motifs de rupture légitime du CDD sont rares, l’employeur doit mener le contrat à son terme. Si l’employeur est dans l’incapacité de poursuivre un CDD en cours d’exécution en raison de l’épidémie du Covid-19, il devra établir que cette pandémie est un cas de force majeure qui justifie la rupture du contrat de travail. Si la force majeure est avérée, le contrat est rompu sans indemnités, seuls les congés payés sont réglés. Le nouvel article 1218 du Code civil renvoie aux critères précis de la force majeure (extériorité, imprévisibilité et irrésistibilité). Les juridictions sont peu enclines à reconnaître la force majeure comme cause de rupture légitime. Par exemple, le virus Chikungunya aux Antilles n’a pas été qualifié de cas de force majeure par la cour d’appel de Basse Terre (CA Basse-Terre, 1re ch., 17 déc. 2018, n° 17/00739). Il en fut de même de l’épidémie de Dengue (CA Nancy, 1re ch., 22 nov. 2010, n° 09/00003).
Dans le cadre d’un licenciement pour motif personnel, est-ce que la période de Covid-19 pourrait être une circonstance atténuante pour minorer la faute du salarié ?
Le licenciement doit avoir une cause réelle et sérieuse. La charge de la preuve du motif disciplinaire pèse sur l’employeur.
L’employeur doit opérer une balance entre ses propres obligations contractuelles, celles qui pèsent sur le salarié, la nature de la tâche à accomplir et les conditions matérielles pour les réaliser, avant de prendre toute sanction disciplinaire. En ces temps de crise sanitaire exceptionnelle, la détermination de la faute du salarié conduit à une analyse au cas par cas.
Le contexte dans lequel a été décidé le licenciement peut être pris en considération par le conseil de prud'hommes mais tout dépendra de la nature de la faute.
De même, la responsabilité de l’employeur pourrait être retenue lorsque, par exemple, le salarié a abandonné son poste par peur d’attraper la maladie sans mettre en œuvre son droit de retrait. Le juge vérifiera que l’employeur a bien tout mis en œuvre pour assurer la sécurité et la santé physique et mentale du personnel (actions de prévention, d’information, de formation et mise en place d’une organisation et de moyens adaptés) : respect des règles de distanciation et des gestes barrière ; tenue des réunions réduites au strict nécessaire dans le respect des règles de distanciation quand elles ne peuvent pas être tenues à distance ; annulation ou report des déplacements ; pour les entreprises recevant du public, marquage au sol, gel hydroalcoolique, masque, nettoyage des surfaces, etc. ; renvoi du salarié à son domicile quand il présente les principaux symptômes de la maladie, etc. L’employeur devra rapporter la preuve qu’il a pris toutes ces mesures.
Si le salarié a exercé son droit de retrait, une articulation sera faite entre la mise en œuvre du droit de retrait du salarié selon le secteur d’activité dans lequel il évolue et la sanction disciplinaire de l’employeur et les mesures qu’il aura prises pour assurer ses obligations de sécurité et de santé.
Le cas de négligence dans le travail est une faute liée à la disponibilité. En période de confinement, si le salarié est en télétravail et doit, par exemple, s’improviser professeur des écoles, il est peut-être moins performant que lorsqu’il travaille dans l’entreprise. On peut supposer que le juge appréciera la gradation de l’abus dans les manquements contractuels, tiendra compte des impondérables de la vie privée en temps de confinement, du laxisme ou de la bonne foi du salarié, de l’activité du secteur en cette période particulière, du mode d’organisation du télétravail, etc. L’employeur a tout intérêt à proposer des solutions intermédiaires avant de licencier.
L’insuffisance de résultat peut être une cause de licenciement non disciplinaire. L’entrepreneur prend-il un risque à licencier sur ce motif en période de Covid-19 ?
En effet, ce motif est rarement retenu. L’employeur devra établir que les objectifs ne sont pas atteints. Lorsque des objectifs ont été fixés contractuellement à un commercial, il faut vérifier si leur non-réalisation lui est imputable (manquement) ou si elle est due à des circonstances extérieures. Le juge mesurera le caractère réaliste des objectifs dans le contexte actuel : le commercial ne pouvait plus se déplacer ; il ne pouvait plus joindre ses clients eux-mêmes confinés chez eux, etc. A noter que ce manque à gagner (le variable de la rémunération) ne pourra faire l’objet d’un contentieux à l‘encontre de l’employeur, sauf primes et intéressements acquis de longue date.
Comment convoquer le salarié à l’entretien préalable en période de Covid-19 ?
La remise en main propre contre décharge est exclue si le salarié est en télétravail. La convocation par lettre recommandée avec accusé de réception ou par tout moyen permettant d’apporter la preuve de la date d’envoi sera privilégiée. Aujourd’hui certains bureaux de poste sont fermés, le recours à un huissier est dans ce cas recommandé. Le mail est à proscrire pour des raisons de preuve, même en cette période.
L’employeur doit respecter 5 jours ouvrables entre la date de réception de la convocation et la date de l’entretien. Le courrier n’étant plus distribué tous les jours actuellement, l’employeur a tout intérêt de prévoir un délai de 15 à 20 jours entre les deux dates. Ne disposant d’aucune visibilité sur la date de fin du confinement, il est préférable de convoquer a minima à trois semaines, en espérant que l’établissement sera réouvert. Pour mémoire, dans le cadre d’un licenciement disciplinaire, l’entretien préalable doit se tenir dans les deux mois du fait fautif et la lettre de licenciement doit être envoyée dans le mois qui suit la tenue de l’entretien.
Comment se déroule l’entretien préalable ? La visioconférence est-elle possible lorsque l'entreprise est fermée ?
Si l’entretien préalable a lieu sur le lieu de travail, les règles de sécurité (distanciation, gestes barrière, etc.) devront être respectées.
Si l’entretien préalable ne peut pas avoir lieu dans les locaux, ce qui risque d’être le cas le plus fréquent puisque de nombreux établissements ont fermé pour répondre aux mesures prises par le gouvernement, on peut procéder par visioconférence. Attention la Cour de cassation ne s’est pas positionnée sur les entretiens préalables par visioconférence. Les entretiens par téléphone ne sont pas non plus admis. Seules les cours d’appel retiennent la régularité de la procédure si et seulement si le salarié donne son accord (CA Rennes, 9e ch. prud’homale, 11 mai 2016 – n° 14/08483 ; CA Grenoble, ch. sociale, section A, 7 janv. 2020 – n° 17/02442). Sera aussi associée à cette visioconférence la personne retenue par le salarié pour l’assister. L’absence d’entretien préalable n’est pas une cause de nullité du licenciement mais une cause d’irrégularité de la procédure qui a des conséquences indemnitaires liées au préjudice éventuel du salarié.
L’employeur peut-il engager un licenciement économique dès à présent ?
Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques (C. trav., art. L. 1233-3).
Les conséquences économiques, financières et sociales de l’épidémie de Covid-19 pourraient répondre à ces critères. L’employeur a tout intérêt à travailler de concert avec son expert-comptable afin de faire un bilan des charges exigibles et de l’actif disponible. Si malgré toutes les aides mises en place par le gouvernement, la situation de l’entreprise s’avère irrémédiablement compromise, alors il peut mettre en œuvre la procédure sans tarder.
Le juge sera très sensible aux actions qu’aura pu mettre en place l’employeur (obligation de reclassement et de formation : C. trav., art. L. 1233-4) et pourra ordonner des mesures d’instruction. En cas de doute sur la cause réelle et sérieuse du licenciement économique, le juge prononcera la nullité.
En cette période de Covid-19, l’employeur peut-il proposer une rupture conventionnelle à un salarié ?
L’employeur peut faire cette proposition mais l’opération ne sera pas sans risque.
Tout d’abord, la rupture conventionnelle nécessite, à peine de nullité, la tenue d’un ou plusieurs entretiens, selon l’article L. 1237-12 du Code du travail. En période de confinement, le flou demeure tout comme pour l’entretien préalable au licenciement quant aux conditions de son exécution. La visioconférence serait une faculté. La charge de la preuve de l’existence réelle de cet entretien pèse sur le salarié pour justifier la nullité de la rupture (Soc., 1er déc. 2016, n°15-21.609).
Ensuite, la convention doit être homologuée par la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi ou, si le salarié est protégé, autorisée par l’inspecteur du travail. Compte-tenu de la période, la DIRECCTE pourrait refuser l’homologation estimant que la convention a été proposée pour frauder les règles strictes d’un licenciement économique, surtout si plusieurs ruptures conventionnelles sont signées en moins de 30 jours par l’employeur.
Autre risque : un contentieux à l’initiative du salarié dans les douze mois de la date d’homologation de la convention. La rupture conventionnelle prise à l’initiative de l’employeur peut être annulée en cas de vice du consentement (violence, dol, erreur) subi par le salarié. Ce dernier peut invoquer l’état de violence morale ou économique dans lequel il se trouvait au moment de la signature du fait du contexte anxiogène lié au Covid-19. L’annulation de la rupture conventionnelle produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Des indemnités de fin de contrat seront dues.
Enfin, la rupture conventionnelle donne droit au salarié de percevoir une indemnité qui, selon son ancienneté et les dispositions de la convention collective à laquelle l’entreprise est rattachée, peuvent représenter des sommes importantes pour l’employeur. Ce dernier devra consulter préalablement son expert-comptable pour trancher entre une telle rupture ou le maintien du contrat en chômage partiel.
Propos recueillis par Marie Beau